C’est un choix d’équilibre, que je revendique. La politique agricole commune a été réorientée en faveur de l’élevage.
Cela suffit-il ? Non, puisque les aides, aujourd'hui, ne permettent pas de compenser, pour les éleveurs, la perte de revenus liée à la baisse des prix. Les crises que nous connaissons en sont la preuve.
Il est donc absolument nécessaire de débattre des prix et des marchés. Après 2014 et la fin des quotas laitiers, le marché du lait s’est trouvé déséquilibré à l’échelle mondiale. La production mondiale, en particulier européenne, n’a cessé d’augmenter, ce qui a entraîné la catastrophe que l’on sait pour les prix.
Il fallait donc essayer d’enrayer l’emballement de la production. Pour faire en sorte que les États membres de l’Union et la Commission européenne s’engagent enfin à envoyer un signal de baisse de la production laitière, j’ai obtenu que soient activés les articles 221 et 222 du règlement sur l’organisation commune de marché. Je regrette qu’il ait fallu huit mois pour que cette décision soit arrêtée. La remontée des prix actuelle liée à l’instauration d’un nouvel équilibre sur le marché permet d’anticiper, pour 2017, des prix plus élevés, et partant plus rémunérateurs pour les producteurs. Cette évolution serait sans doute intervenue plus tôt si les mesures de maîtrise de la production avaient été mises en place plus vite. La difficulté est de trouver une majorité à l’échelle européenne, de convaincre la Commission européenne. C’est ce que j’ai fait à trois reprises, en septembre 2015, en février 2016 et en juin 2016, pour aboutir à la mise en œuvre du plan en septembre 2016, qui porte ses fruits aujourd'hui.
J’organiserai avec Michel Sapin une réunion du comité des relations commerciales afin de prévenir une résurgence de la guerre des prix au moment où seront renégociés les prix entre la grande distribution et les industriels du lait, alors que l’on sort d’une crise et que l’on sait que le prix du lait va remonter en 2017, comme l’indique clairement une publication récente de la Rabobank, qui finance beaucoup l’industrie agroalimentaire néerlandaise. Nous devons anticiper cette remontée, en essayant de la lisser, afin de redonner des marges à nos producteurs, qui en ont bien besoin compte tenu de ce qu’ils ont subi ces deux dernières années.
Ces efforts pour ajuster la production au marché et tenir les prix viennent en complément des aides : les uns et les autres sont liés. Bien entendu, on a davantage de prise sur les aides que sur la situation globale des marchés. Ainsi, la chute des prix des céréales est liée à la concomitance de récoltes exceptionnelles en Ukraine, en Russie, aux États-Unis et en Amérique latine : cela ne s’était jamais produit auparavant. L’offre agricole peut être supérieure à la demande. On disait volontiers que, avec 9 milliards de bouches à nourrir sur la planète, les prix agricoles allaient nécessairement flamber. On sait aujourd'hui que les choses sont plus compliquées : si toutes les grandes zones agricoles produisent au maximum de leur potentiel, la demande solvable ne suffira pas à absorber la production, d’où un risque de baisse des prix.
Devant cette réalité, au-delà du recours aux outils de la PAC, on pourrait envisager de mettre en place une politique agricole contracyclique, en mobilisant plus d’aides quand les prix sont bas et moins quand les prix sont hauts. L’idée est séduisante et logique, mais l’Union européenne n’est pas un État fédéral. Le cadre budgétaire est fixé pour cinq ou six ans, et les marges de manœuvre sont faibles. Si l’on prévoit de ne verser aucune aide l’année n, il est à peu près certain qu’il en ira de même l’année n+1 . La démarche contracyclique, en termes de compensation des fluctuations de prix, ne fonctionne donc pas aujourd’hui à l’échelle européenne, en raison d’un manque de flexibilité budgétaire. Le Parlement européen vote des dépenses, mais il n’a rien à dire sur les recettes, puisqu’elles résultent des contributions des États.
Par conséquent, il faut procéder autrement si l’on veut mettre en place une politique contracyclique. C'est pourquoi nous proposons qu’une partie des aides du premier pilier puisse être utilisée pour nourrir une épargne de précaution, disponible pour aider l’agriculteur à faire face aux aléas climatiques, sanitaires et économiques, et assortie bien sûr d’une fiscalité adaptée.
Nous aurons ce débat prochainement, lorsque le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux aura remis son rapport. Il s’agira de recenser les outils à notre disposition en vue de donner aux agriculteurs les moyens de mieux supporter les fluctuations de prix. Certes, l’idéal serait peut-être d’établir des prix planchers garantis et des aides indexées sur les prix, mais nous ne trouverons pas de majorité, à l’échelon européen, pour modifier la PAC dans ce sens. L’essentiel est de trouver un moyen de mobiliser des aides supplémentaires en cas de crise sur un marché, sachant qu’une politique publique qui attribue le même montant d’aides que le prix de la tonne de céréales soit de 220 euros ou qu’il soit de 120 euros pose légitimement question.
C’est seulement en trouvant une voie pour permettre aux agriculteurs de constituer une épargne de précaution, des provisions, que l’on pourra définir des mesures contracycliques, sauf à changer l’organisation de l’Union européenne de sorte que les budgets puissent être gérés sur une base annuelle : c’est un autre sujet, éminemment politique !
La compétitivité du secteur de l’élevage tient à deux éléments.
Le premier est le soutien à l’investissement, en particulier dans les bâtiments d’élevage et la structuration des exploitations, afin d’obtenir des gains de compétitivité.
Je rencontrerai ce soir l’Association des régions de France pour discuter du plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations, le PCAE. Le transfert de deux rubriques du premier pilier vers le deuxième pilier a déjà permis, en deux ans et demi, environ 600 millions d’euros d’investissements dans les bâtiments d’élevage. Cela prouve qu’il y a une demande de la part des agriculteurs ! L’État a porté sa contribution à 85 millions d’euros, mais le dispositif fonctionne tellement bien qu’on me suggère d’aller au-delà. La demande reste en effet importante, par exemple pour réaliser des investissements dans les dispositifs de biosécurité là où la grippe aviaire a frappé, dans le Sud-Ouest. Cela vaut également pour les autres zones d’élevage de volailles. On atteindra sans doute le milliard d’euros d’investissements en cinq ans, notamment pour assurer le respect des règles de bien-être animal dans l’élevage ou financer des bâtiments neufs pour réduire la consommation énergétique. Tout cela permettra aux éleveurs de disposer d’un outil de production plus performant, et donc d’être plus compétitifs.
Le second élément de compétitivité est l’allégement des charges. Le plan de soutien à l’élevage a permis de diminuer de sept points, soit de 765 millions d’euros, les cotisations sociales supportées par les exploitations agricoles. En ajoutant les « exonérations Fillon », on arrive à 1, 1 milliard d’euros d’exonérations de cotisations sociales.
Mais, pour améliorer la compétitivité des élevages, il faut aussi agir sur les charges opérationnelles, qui ont beaucoup augmenté au cours des dernières années, notamment en raison de l’utilisation de produits, phytosanitaires et autres, coûteux.
Aujourd’hui, les systèmes agricoles les plus compétitifs sont ceux qui nécessitent le moins d’investissements en capital. Par exemple, dans le domaine de la production laitière, la Nouvelle-Zélande a misé sur l’optimisation de la gestion des pâturages. Sans faire la même chose, nous devons, nous aussi, mettre en œuvre des stratégies de baisse des charges opérationnelles.
Investir, diminuer les coûts de production, réduire le coût du capital pour les jeunes agriculteurs à travers la dotation jeune agriculteur, la DJA : tels sont nos axes d’action. Les prêts bonifiés étant moins utiles quand les taux d’intérêt sont voisins de 0, 25 %, nous avons décidé de transférer les crédits destinés à leur financement vers la DJA, en ajoutant une clause d’investissement pour une part de celle-ci, ce qui répond à une demande des jeunes agriculteurs. Ces derniers estiment que cela permettra de financer les investissements de façon beaucoup plus simple et rapide qu’avec les prêts bonifiés, dont la mise en œuvre impliquait une relation avec les banques. Maintenant, avec la DJA, tout se passe entre l’État et les jeunes agriculteurs, sans intermédiaire.
En ce qui concerne le handicap que représente l’inflation des normes pour la compétitivité, je connais le sujet par cœur ! Je n’ai pas ajouté de normes. J’en ai plutôt supprimé, conjointement avec les ministres de l’environnement successifs, en particulier Philippe Martin. Qu’il s’agisse des installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE, ou de la procédure d’enregistrement, que nous avons mise en place pour la production porcine avant de l’étendre à l’aviculture et, bientôt, à la production de viande bovine, nous avons procédé à une simplification.
Lorsque je suis arrivé à la tête de ce ministère, la France était en contentieux avec l’Union européenne au sujet de la directive nitrates. Nous avons dû revoir les cartes des zones vulnérables. Le débat fut vif, à l’époque. Aujourd’hui, le problème est réglé, nos plans d’action ont été validés par l’Europe. Maintenant, c’est l’Allemagne qui est rattrapée par ce contentieux. Les Allemands ont tellement développé l’élevage intensif, en particulier dans l’est du pays, qu’ils ont à présent un gros problème de gestion des excédents de nitrates par rapport à la capacité d’absorption de leurs terres agricoles. L’ensemble du territoire allemand est aujourd’hui classé en zone vulnérable !
Cela étant, je suis d’accord, nous devons encore avancer dans la simplification. Lors de la réunion, à Chambord en septembre, d’une vingtaine de ministres de l’agriculture européens – cela constitue largement une majorité qualifiée du Conseil, malgré l’absence du ministre italien, pour cause de tremblement de terre, et de la ministre espagnole, pour cause de constitution du Gouvernement –, quatre points de consensus se sont dégagés.
Premièrement, nous voulons le maintien du budget de la PAC.
Deuxièmement, nous voulons que la PAC tienne compte des grands enjeux liés à la protection de l’environnement, à la citoyenneté, au bien-être animal et à la traçabilité, sujet dont nous allons traiter sans attendre à l’échelon national, par exemple en mettant en place, à titre expérimental, la mention obligatoire de l’origine de la viande intégrée dans les produits transformés. Les premières étiquettes seront apposées à la fin de cette année ou au début de la prochaine. Le logo « Viandes de France » a permis, selon l’interprofession nationale porcine, INAPORC, de réduire de 20 % environ les importations de viande porcine. Ce logo se rencontre aujourd’hui dans presque tous les linéaires des petits, moyens et grands distributeurs. C’est un bouleversement, qui contribue incontestablement à la sécurisation d’une partie du débouché national.
Troisièmement, nous voulons de la simplification.
Quatrièmement, les ministres qui étaient présents à Chambord sont d’accord pour la mise en place de systèmes de mutualisation et d’assurance à l’échelle européenne. Un ministre est même allé au-delà, en proposant la création d’un troisième pilier de la PAC, dédié à la gestion des aléas. Ce serait là une vraie avancée à mes yeux.
L’accord de plus de vingt pays européens sur ces quatre points va permettre d’envisager différemment l’avenir de la PAC.
S’agissant des retards dans le versement des aides, je rappelle que la France, rattrapée en 2013 par un apurement européen, a dû corriger entre 0, 5 % et 0, 8 % de ses surfaces éligibles aux aides européennes. Nous avons dû refaire l’orthophotographie de 26 millions d’hectares, soit un travail colossal qui, au moins, n’incombera pas à mon successeur. C’est la raison pour laquelle nous avons pris un an de retard dans les paiements ; ce retard va être rattrapé.
Certains ont souligné que le solde 2015 n’avait pas été versé. Avec la réforme de la PAC, nous sommes passés du droit au paiement unique, ou DPU, aux droits à paiement de base, ou DPB. Cela nécessite de se caler sur une référence historique pour le calcul du montant des aides à verser. Or, en cas de modification concomitante de parcelles, on ne peut plus se référer à la DPU. Nous avons donc parfois rencontré des problèmes de calcul liés à l’agrandissement de certaines exploitations, ce qui a entraîné des retards techniques de paiement, mais tout sera réglé d’ici à la fin de l’année. Il en ira de même pour les retards de versement des primes ovines.
Par ailleurs, les ICHN ont déjà été versées à concurrence de 89 %, mais il reste encore 4 800 dossiers à régler : ils le seront, eux aussi, d’ici à la fin du mois de décembre. Nous délivrons des attestations pour rassurer les agriculteurs sur les aides qu’ils recevront et nous allons apurer le plus vite possible les retards de paiement.
La question des zones défavorisées simples, les ZDS, a été soulevée à la suite d’une décision de la Cour de justice des communautés européennes de 2003 et d’une réforme décidée en 2010, qui doit entrer en vigueur en 2018. J’aurais pu laisser à mon successeur le soin de traiter le dossier, mais j’ai préféré agir. Nous avons élaboré une première carte, établie exclusivement sur la base des critères européens. Elle a suscité des débats, certaines communes se trouvant exclues. Nous avons, ce matin, mis la dernière main à une deuxième carte, qui prend en compte le critère des prairies permanentes, de l’herbe, avec des taux de chargement que nous avons fixés, après discussion, à 1, 3 ou 1, 4 unité gros bétail par hectare. Avec cette nouvelle carte, les surfaces classées progressent de 4 % par rapport à la première. Elle permet de régler un certain nombre de problèmes, en particulier dans l’Est, le Limousin et le Sud-Ouest.
Nous devons prendre en compte d’autres critères encore pour pouvoir aller plus loin. Tous les départements sont concernés. Nous avons eu ce matin une réunion avec les représentants du monde agricole, qui s’est plutôt bien passée. Nous allons travailler à la refonte de cette deuxième carte d’ici au 6 décembre. Mon objectif est de ne pénaliser personne et de faire en sorte que, partout où il y a de l’élevage, on puisse obtenir le classement en zone défavorisée et bénéficier ainsi de l’ICHN. Nous progressons vers cet objectif, par des discussions extrêmement sérieuses avec les responsables de la profession agricole.
En attendant l’élaboration de la troisième carte, la deuxième sera mise à disposition, ce qui permettra déjà de rassurer certains d’entre vous. Je le redis, la troisième carte permettra d’accroître encore les surfaces classées en ZDS : tenez-en compte quand vous examinerez la deuxième mouture. Nous avançons progressivement, à mesure de la prise en compte de nouveaux critères, sans oublier personne.
L’élevage tient une place très importante dans notre pays, sur le plan économique, bien sûr, mais aussi du point de vue environnemental. À cet égard, ceux qui, comme les vegans, voudraient que l’on ne mange plus de viande ont-ils conscience qu’il n’y aurait alors plus de prairies permanentes ? Il n’y aurait plus de Normandes, de Charolaises, de Salers, de Limousines, de Rouges des Prés, de Blondes d’Aquitaine, de Gasconnes, de Montbéliardes, de Brunes des Alpes, d’Aubrac, de Vosgiennes…