Intervention de Éricka Bareigts

Réunion du 23 novembre 2016 à 14h30
Action extérieure des collectivités territoriales et coopération des outre-mer — Adoption définitive en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Éricka Bareigts :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est pour moi un grand honneur d’être parmi vous aujourd’hui pour l’examen, en première lecture, de la proposition de loi relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, préparée par Serge Letchimy.

Cette proposition de loi a été adoptée conforme à l’issue de vos travaux en commission. Je tiens à saluer l’engagement du Sénat et de l’Assemblée nationale, ainsi que, bien sûr, l’engagement sans faille de Serge Letchimy, qui a accompli un travail de grande qualité, de nature à participer à renforcer le rôle de nos territoires et les moyens dont disposent ces derniers pour bâtir un modèle de développement s’inscrivant dans leur environnement régional.

Ce travail, aujourd’hui soumis à l’examen de la Haute Assemblée, est en un sens, me semble-t-il, une belle évolution historique et conceptuelle. Il élargit le sens des échanges jusqu’alors principalement pensés entre les outre-mer et l’Hexagone, pour créer plus d’opportunités avec de nouveaux partenaires.

C’est un moment important pour moi, qui avais cosigné la proposition de loi soumise aujourd’hui à votre examen en qualité de députée. Cette cosignature est la traduction concrète de l’attachement qui est le mien au développement de la coopération régionale pour les collectivités territoriales et particulièrement pour les territoires ultramarins, et de la conviction qui est la mienne.

Aussi, je souhaite que nous partagions ensemble cette conviction : les outre-mer ne peuvent tirer leur réussite uniquement des échanges construits avec l’Hexagone. La condition fondamentale de leur développement est de les inscrire dans les échanges mondialisés, au cœur de leur environnement régional.

Vous le savez comme moi, le monde est pris dans une phase intense de mondialisation, mais aussi de régionalisation, plaçant les États face à l’obligation de mettre en commun leurs ressources humaines, financières et culturelles au service du développement durable de leur population.

La coopération régionale contribue à cette mondialisation ; elle en est une composante. Cette possibilité revêt une importance particulièrement stratégique pour nos territoires. Ceux-ci comportent de nombreux atouts : leur situation géographique en est, sans aucun doute, le premier.

La France est magnifiquement représentée sur les trois océans. C’est le seul pays au monde à bénéficier d’une telle présence géographique. Plus qu’un défi, c’est une chance, celle de pouvoir rayonner de manière démultipliée. En effet, à son influence continentale, régionale, au sein de l’Union européenne, s’ajoute l’influence dans les différentes régions du monde permise par nos territoires ultramarins.

Il ne s’agit plus d’osciller entre repli et ouverture, entre intégration et marginalisation, comme certains semblent vouloir s’y résoudre, et ce, il faut le dire, au détriment des populations. Pouvons-nous continuer à regarder la jeunesse ultramarine et lui enjoindre de se résigner face à un monde clos, étanche, qui limiterait ses possibles et les moyens de s’émanciper ? La coopération régionale, je le dis clairement, rompt avec cette logique contre-productive qui ferme les horizons.

La coopération est un atout. Libérer davantage l’action extérieure des collectivités territoriales et favoriser la coopération régionale des collectivités ultramarines, c’est faire grandir l’influence de la France à travers le monde. C’est rendre nos territoires acteurs de cette influence.

Les collectivités ont tout à gagner à s’inscrire dans ce mouvement : l’action extérieure est devenue un enjeu majeur. Leur rôle en ce domaine est incontournable. Ainsi, plus de 4 800 collectivités territoriales françaises sont engagées dans des actions extérieures avec plus de 9 000 collectivités appartenant à 146 pays différents.

L’action extérieure est, pour les collectivités territoriales, une chance : celle d’inscrire son action partenariale en fonction de ses besoins propres. Cette approche, adaptée à chaque territoire, est celle que je porte aussi dans le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique au travers des plans de convergence. C’est une vraie innovation que de partir des réalités, des besoins et des horizons de chaque espace.

C’est vrai avec d’autant plus d’acuité pour nos territoires ultramarins. Insulaires, très éloignés géographiquement, bien que faisant partie intégrante de la France, ceux-ci répondent à des exigences propres et s’inscrivent dans un environnement géographique dont ils doivent tirer tous les bénéfices.

Liées par une communauté de destin avec leurs voisins asiatiques, africains, américains, les collectivités d’outre-mer appartiennent à un bassin dont elles doivent pouvoir se servir pour enclencher, renforcer et accentuer leur développement socio-économique, éducatif et culturel. Ce changement de paradigme les invite à regarder près d’elles, autour d’elles et chez elles dans l’Hexagone, mais pas seulement.

Essor économique, recherche universitaire, amélioration des systèmes de santé, enseignement, développement de la francophonie, voilà autant de domaines à enrichir par la régionalisation, au travers, notamment, de la mutualisation des moyens. En favorisant la mobilité et les échanges scolaires linguistiques dans les zones géographiques de nos territoires, le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer a, là aussi, souhaité tirer les conséquences de la richesse de l’environnement insulaire français. Le texte soumis à votre appréciation viendra en parfaire le cadre.

D’où partons-nous ? La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie disposent, de fait, de pouvoirs étendus en matière de négociation. Depuis la loi du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer, ont été renforcées les compétences des DROM, les départements et régions d’outre-mer, auxquels ont été confiées des prérogatives devant leur permettre de favoriser leur insertion dans leur environnement régional.

Depuis lors, les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, celles qui sont exclusivement visées par la présente proposition de loi – celles qui relèvent de l’article 74 de la Constitution nécessitent une loi organique pour toute modification de leur statut –, peuvent se prévaloir, pour asseoir leur action extérieure, de la possibilité de conclure, au nom de l’État, des accords bilatéraux ou multilatéraux, sous couvert d’une procédure d’approbation. Elles bénéficient du concours des ambassadeurs délégués à la coopération régionale chargés de l’animer et elles disposent d’instruments financiers comme le Fonds de coopération régionale.

Cependant, force est de constater que, malgré ces avancées, la capacité des collectivités à s’intégrer dans leur environnement régional n’est pas suffisamment permise. L’insuffisance des échanges économiques régionaux, alors que les défis communs ne font aucun doute, résulte d’un cadre procédural de décision en matière de coopération régionale complexe ou, en tout cas, insuffisamment souple.

Une nouvelle étape doit donc être assurément franchie. Tel est l’objet de cette proposition de loi ambitieuse.

Je crois, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il faut permettre à ce processus de se déployer pleinement, en le renforçant, en l’accompagnant et en le sécurisant. Car les coopérations internationale et régionale ne se décrètent pas. Elles se construisent, et c’est précisément le sens de la proposition de loi qui vient parfaire un cadre juridique jugé insuffisamment propice au rayonnement de notre pays par ses territoires.

La coopération transfrontalière exige trois présupposés : une volonté locale, qui est manifeste, nos élus ayant une réelle vision de la coopération régionale – mes nombreux déplacements au cœur des territoires l’ont prouvé ; une volonté politique, qui est réelle – le choix de la procédure accélérée en témoigne –, enfin, un cadre juridique stabilisé, dont l’objectif est de garantir une action internationale de la France cohérente, coordonnée pour être forte et crédible – c’est précisément ce que prévoit le texte soumis à votre examen.

En effet, en l’état actuel des dispositions prévues, le texte répond à l’objectif de permettre aux collectivités à la fois d’être le démultiplicateur de la présence française et de tirer profit de leur ancrage géographique pour faire en sorte que l’action internationale de notre pays intègre les spécificités de nos territoires.

Par une disposition générale, le texte vient préciser les exceptions au principe de l’interdiction faite aux collectivités territoriales de conclure une convention avec un État étranger.

Les articles 2 à 8 procèdent à une extension du champ géographique de la coopération régionale, afin de ne pas la réduire au seul voisinage de proximité. Nous défendons le « grand voisinage », comme l’a fait, en son temps, Paul Vergès.

Les articles 9 à 12 bis prévoient, quant à eux, la possibilité pour les présidents des collectivités, dans leurs domaines de compétence, d’élaborer un programme-cadre de coopération régionale à conduire dans le cadre de leur mandat. Novatrices, ces dispositions permettront, notamment, l’élaboration et la visibilité de stratégies de coopérations régionales. Validé en amont par les autorités de la République, ce programme-cadre donnera davantage de marge de manœuvre aux présidents des collectivités pour négocier des accords internationaux avec les États ou organisations régionales voisins.

Enfin, les articles 13 à 16 offrent un statut aux agents des collectivités d’outre-mer affectés au sein du réseau diplomatique français. L’article 16 permet à ces agents de bénéficier des privilèges et immunités du corps diplomatique d’État qui sont reconnus par la convention de Vienne de 1961. Cet article suppose la possibilité, au profit de l’État, de demander la présentation à l’État accréditaire, lequel demeure libre d’y accéder ou non. En ce sens, la disposition ne soulève aucune difficulté au regard de la séparation des pouvoirs et pourra être adoptée conforme, suivant en cela les conclusions de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, saisie par commission des lois du Sénat.

Dans le même temps, le texte garantit et réaffirme – c’est un point fondamental, essentiel – les prérogatives de notre État unitaire en matière diplomatique. Car la conduite des relations extérieures demeure une compétence de l’État. Si elle requiert souplesse du cadre et adaptations aux exigences du développement de nos territoires dans leur environnement, la « diplomatie des territoires » ne peut se concevoir, dans l’intérêt de chacun, que dans le respect des prérogatives régaliennes de l’État destinées à garantir la cohérence des engagements internationaux.

Agir de là où l’on se trouve sans oublier d’où l’on est, afin de construire ensemble où l’on va : ce sera également l’objectif du Livre blanc, qui a été acté lors de la semaine des ambassadeurs organisée à la fin du mois d’août dernier sous l’égide de Jean-Marc Ayrault.

Mesdames, messieurs les sénateurs, construisons une France qui se dote de moyens pour rayonner dans tous les océans ! Les outre-mer sont cette porte d’entrée sur le monde que nous devons permettre à chacun de pousser. La coopération régionale sera le bras armé pour concrétiser notre ambition. En dotant les collectivités territoriales de nouvelles possibilités d’agir, nous renforçons le développement de partenariats stratégiques, d’échanges économiques, commerciaux et culturels.

Ces possibilités sont in fine des chances pour les habitants. Elles participeront ainsi à consolider la marche pour l’égalité réelle, qui consiste à donner les capacités de s’insérer pleinement dans la société et de pouvoir se réaliser.

La proposition de loi relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, préparée par Serge Letchimy, nous permet d’avancer dans cette direction. Je suis heureuse qu’elle ait été adoptée conforme en commission et je souhaite que nos discussions se poursuivent avec cette même philosophie.

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