Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui confirme le caractère inéluctable du puissant mouvement de décentralisation, qui touche l’organisation de nos pouvoirs publics et rappelle la nécessité de confier les bonnes compétences aux bons échelons et aux bons acteurs.
Qu’il me soit permis, en préambule de l’examen de ce texte, de rendre hommage à Paul Vergès qui, au-delà de nos divergences et de nos différentes sensibilités politiques, figurait parmi les grandes figures ayant marqué la vie des collectivités locales d’outre-mer. Je souhaite dire à Mme Hoarau, qui retrouve une assemblée qu’elle connaît bien, que la disparition du doyen du Sénat a affecté ses collègues sur toutes les travées.
Aujourd’hui, l’action extérieure des collectivités territoriales, que l’on nommait jadis « coopération décentralisée », est une réalité qui requiert une base législative adéquate pour offrir tout le potentiel qu’elle porte déjà en son sein.
L’ampleur de cette « diplomatie des territoires » – expression évoquée lors de l’une des séances de la semaine des ambassadeurs du mois d’août 2016 – illustre l’importance du sujet. Elle concerne en effet 4 800 collectivités territoriales françaises, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la ministre, pour des actions extérieures en relation avec 146 pays et impliquant 9 000 collectivités étrangères. L’enjeu est de taille, puisqu’il représente un total de 12 700 projets, à hauteur de 1 milliard d’euros.
Situation unique au monde, nos territoires ultramarins sont aux avant-postes du rayonnement et de l’influence de la France sous toutes les latitudes. Insérés dans un environnement économique et stratégique, ils sont aux avant-postes, et leur position est un atout précieux pour eux-mêmes et l’ensemble du pays.
Actuellement, force est de constater que le cadre légal actuel pour pouvoir exploiter pleinement tout le bénéfice potentiel de cette position est devenu trop étroit. En effet, si la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie se voient attribuer par la République des pouvoirs autonomes étendus en matière de négociation, ce n’est pas encore le cas pour les autres collectivités territoriales régies par l’article 73 de la Constitution.
Les départements et régions d’outre-mer possèdent, depuis la loi du 13 décembre 2000, la possibilité de conclure des accords avec des États étrangers, au nom de l’État. Ils disposent de plusieurs instruments en matière de coopération régionale, comme la conclusion d’accords multilatéraux ou le concours des ambassadeurs délégués à la coopération régionale, ainsi que divers instruments financiers.
Toutefois, si la loi de 2000 leur a permis de mener des actions que l’on peut qualifier de « diplomatiques », ces collectivités manifestent le besoin de recevoir de nouvelles compétences, qui leur permettront de renforcer leur intégration régionale et, par là même, d’accroître le périmètre de leur influence.
Cette volonté est constamment manifestée par les représentants ultramarins, et elle s’est encore exprimée en octobre 2012, lors des États généraux de la démocratie territoriale, organisés sur l’initiative de la Haute Assemblée.
La proposition de loi adoptée par les députés et dont vous avez été cosignataire, madame la ministre, comme vous l’avez rappelé, a deux objets : d’une part, augmenter la capacité des territoires ultramarins relevant de l’article 73 de la Constitution de bénéficier d’outils renforcés et étendus en matière de coopération régionale et, d’autre part, résoudre les difficultés rencontrées dans leur politique d’intégration régionale.
Ces difficultés sont les suivantes. Actuellement, les collectivités rencontrent des difficultés pour contractualiser avec des États dans lesquels n’existent pas de collectivités territoriales. L’article 1er de la proposition de loi permet donc de déroger au principe général leur interdisant de signer des accords avec un ou plusieurs États étrangers.
Il convient de créer un périmètre géographique plus adapté aux réalités de leur politique de coopération régionale. Les articles 2 à 8 de ce texte apportent une réponse en la matière, en ouvrant vers une extension géographique la notion de coopération régionale. Chaque collectivité pourra désormais nouer des partenariats avec un nombre d’États élargi.
Ces restrictions constituaient des freins au développement d’une vision à long terme et, pour les exécutifs, à l’élaboration de projets à l’échelle du mandat.
Afin de débloquer ces verrous, les articles 9 à 13 de la proposition de loi offrent aux présidents des collectivités concernées la possibilité d’élaborer des programmes-cadres de coopération, afin de définir les objectifs qu’ils entendent poursuivre en la matière durant toute la durée de leur mandat.
Cette mesure, pour laquelle l’accord des autorités de la République devra être obtenu, a pour objet d’entretenir un dialogue continu et fructueux entre les autorités de l’État et les élus ultramarins sur la question de la coopération régionale.
Dans la mesure où des agents publics émanant de ces collectivités seront appelés à les représenter dans le cadre de leurs missions diplomatiques, les articles 13 à 15 prévoient le régime indemnitaire adéquat, ainsi que le remboursement des frais engagés dans l’exercice de leurs missions.
Enfin, l’article 16 permet à ces agents de bénéficier des privilèges et immunités du corps diplomatique d’État qui sont reconnus par la convention de Vienne. Lors de son examen en commission, ce dernier point a soulevé des interrogations d’ordre juridique et diplomatique, et je tiens à remercier Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, d’avoir bien voulu nous éclairer sur ces dispositions. Il nous a ainsi été précisé que l’ambassadeur restera bien la seule autorité compétente pour proposer à l’État accréditaire les agents aux fins d’obtention des privilèges et immunités.
La commission a donc approuvé les dispositions adoptées ajoutées lors de son examen par l’Assemblée nationale, puisque celles-ci ne remettent pas en cause les prérogatives d’un État unitaire comme le nôtre en matière diplomatique, mais ouvrent de belles perspectives pour les collectivités d’outre-mer, en élargissant leurs compétences.
Certes, certains articles de la proposition de loi auraient gagné en clarté, avec une meilleure rédaction. Cependant, amender ce texte et, par voie de conséquence, poursuivre la navette parlementaire à quelques mois de la fin de la législature n’a pas semblé judicieux à la commission des lois. Celle-ci estime qu’il est nécessaire – je dirais même opérationnel. D’ailleurs, madame la ministre, j’en profite pour déplorer que le Gouvernement ne l’ait pas inscrit plus tôt à l’ordre du jour de nos travaux dans les semaines qui lui sont réservées.
Il s’agit donc aujourd’hui pour les territoires d’outre-mer d’une avancée majeure et d’une marque de confiance renouvelée de la République envers ses collectivités. Et il s’agit aussi, bien sûr, d’une vision d’avenir pour les Ultramarins, qui pourront agir par eux-mêmes sur leur destin en contribuant à la nouvelle page de l’histoire que la France écrit sur les trois océans.