Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Réunion du 22 novembre 2016 à 15h15
2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales — Débat sur les conclusions d'un rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous pourrions nous féliciter de l’efficacité d’un arsenal législatif important contre les violences conjugales, la lecture de ce rapport ainsi que les cas de violence auxquels nous sommes tous confrontés dans nos territoires témoignent que le combat est loin d’être achevé.

Force est de constater que ces violences engendrent un contentieux atypique puisqu’il s’agit d’un phénomène d’ampleur, à la fois indifférent aux catégories sociales ou à la géographie de nos départements, et qu’il n’existe finalement que peu de données fiables dans la mesure où il relève du huis clos et de l’intime.

Dans les Alpes-Maritimes, nous sommes particulièrement confrontés aux violences conjugales puisque mon département est tristement classé parmi les trois plus meurtriers chaque année – treize morts en 2015…

Cette problématique fait donc l’objet d’une attention particulière afin d’apporter une réponse locale cohérente avec une mobilisation des associations, des élus et des services de l’État pour accompagner au mieux les femmes en grande détresse. La métropole Nice-Côte d’Azur, le conseil départemental, les communes et les associations spécialisées ont ainsi passé plusieurs conventions afin de créer un véritable réseau opérationnel centré sur l’hébergement, la prévention et l’accompagnement dans les procédures de droit commun.

À Nice, afin de répondre à une prise en charge sans délai des victimes et faire en sorte qu’elles bénéficient d’une protection, des places d’accueil d’urgence existent. Un centre d’accueil de jour, labellisé par l’État, a également été créé pour leur assurer un accueil pérenne et un soutien personnel. Cette structure est très précieuse, car ses partenariats institutionnels et associatifs démontrent le rôle considérable et essentiel de la concertation locale dans le parcours d’orientation des victimes. Plus de 200 femmes y ont été prises en charge en 2015. Elles y parviennent après avoir été dirigées par les hôpitaux, les assistantes sociales, les commissariats, les élus ou le centre d’hébergement et de réinsertion sociale de la ville.

En outre, renforcer le parcours d’orientation des femmes victimes de violences passe aussi par une maîtrise locale des données. À côté du rôle prépondérant joué par les associations, qui fournissent une remontée d’informations importante, nous avons créé un observatoire local des violences conjugales, en cours d’extension au niveau de la métropole, ce qui permettra de mieux cerner l’ampleur des violences conjugales sur un territoire de quarante-neuf communes et un bassin de vie de plus de 550 000 habitants.

Concernant la prévention, comme dans douze autres départements depuis 2014, les Alpes-Maritimes ont expérimenté le téléphone grave danger – malheureusement, ce dispositif de téléprotection a prouvé son efficacité… – en coordination avec une association départementale, l’HARJES, les services de police et le procureur de la République. Je partage donc la recommandation de la délégation visant à augmenter les attributions de TGD sur l’ensemble du territoire.

En matière judiciaire, je tiens à souligner les efforts menés à l’échelle de mon département, notamment depuis la reconnaissance de la lutte contre les violences faites aux femmes grande cause nationale par le gouvernement de François Fillon en 2010.

Il faut bien reconnaître que les services de police et de justice ont longtemps considéré, par le passé, que ces violences relevaient de la sphère privée, dans laquelle il convenait de ne pas s’immiscer. Une convention locale relative au traitement des dépôts de plainte a donc été élaborée pour harmoniser le traitement de la parole des victimes, avec une attention toute particulière dès la première prise en charge.

De plus, avec un protocole passé entre les deux tribunaux de grande instance des Alpes-Maritimes, les services de police et de gendarmerie, les associations labellisées d’aide aux victimes et la ville de Nice, la réponse judiciaire est particulièrement concertée.

Toutefois, les victimes soulignent un certain nombre de difficultés personnelles persistantes qui rejoignent celles relevées dans le rapport en matière de détection des violences par l’environnement extérieur, de dépôt de plainte en l’absence de blessure, d’autonomie financière et d’emploi et, enfin, de logement. Sur ce dernier point, en ma qualité de présidente de Côte d’Azur Habitat, premier bailleur social des Alpes-Maritimes, je rappellerai que les femmes victimes de violences conjugales figurent déjà parmi les cinq publics prioritaires dans la loi pour l’attribution d’un logement social.

L’élargissement aux victimes de « violences familiales » – recommandation n° 6 du rapport – ne pourrait malheureusement pas être suivi d’effet dans un territoire tendu comme les Alpes-Maritimes, puisque le nombre de logements sociaux serait insuffisant pour répondre à l’ensemble des besoins.

Pourtant, la question du domicile est effectivement le cœur du problème. Je partage donc la volonté de voir l’ordonnance de protection, qui permet d’évincer du domicile conjugal le concubin violent, fonctionner à l’avenir comme une mesure de protection immédiate. Dans la plupart des cas, paradoxalement, ce sont les victimes qui quittent le domicile pour leur sécurité, se retrouvant ainsi en situation de grande précarité.

Cependant, les victimes doivent bénéficier du logement, à la stricte condition qu’il soit un lieu de sécurité et de protection. Sans éloignement immédiat du logement de l’auteur des violences, une forme d’injustice sociale vient s’ajouter aux souffrances des victimes, l’ordonnance de protection restant alors au stade de vœu pieux.

Toutefois, ces obstacles ne sauraient nous faire douter que le combat n’avance jamais assez vite. Tant qu’il persistera un espace de souffrance et de violence, c’est à nous, parlementaires, qu’il incombe non seulement de voter les évolutions législatives nécessaires, mais aussi de porter, de communiquer et d’offrir une visibilité accrue aux mesures existantes et qui fonctionnent déjà dans nos territoires pour endiguer ce fléau.

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