Intervention de Éric Doligé

Réunion du 22 novembre 2016 à 21h30
Normes agricoles et politique commerciale européenne — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé :

Monsieur le président, madame la ministre des outre-mer, mes chers collègues, avant toute chose, je tiens à remercier le président de notre délégation à l’outre-mer, Michel Magras, de m’avoir cédé le temps de parole qui lui était dévolu en qualité de premier signataire de la proposition de résolution européenne.

La proposition de résolution que j’ai l’honneur, avec mes collègues Michel Magras, Catherine Procaccia, Jacques Gillot et Gisèle Jourda, de soumettre à l’approbation du Sénat est très directement issue des travaux de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Elle reprend une partie des préconisations destinées aux instances européennes du rapport de la délégation sur la nécessaire adaptation des normes agricoles outre-mer, rendu public au mois de juillet dernier. Elle comprend également un volet consacré aux effets des accords commerciaux, volet qui poursuit notre action en faveur d’un rééquilibrage des négociations européennes. Ces deux sujets, celui des normes agricoles et celui des accords de libre-échange, sont intimement liés, comme nos débats récents sur les traités commerciaux avec le Canada et avec les États-Unis le démontrent à l’envi.

Les agriculteurs et les éleveurs ultramarins sont confrontés à une hypertrophie normative ; ce ne sont pas les seuls… Si notre proposition de résolution met la focale sur la situation en outre-mer, c’est aussi, et surtout, parce que les problèmes d’inadéquation des normes à la réalité concrète y sont exacerbés et se manifestent dans toute leur absurdité. C’est également parce que les conséquences de la « mal-norme » sont particulièrement douloureuses dans des territoires ultramarins fragilisés par la crise, frappés par un chômage endémique et menacés par la concurrence des pays tiers voisins, jusque sur leurs propres marchés locaux.

Cette inadéquation des normes appelle des solutions d’acclimatation et de régulation différenciées selon les territoires. Si nous parvenons à faire bouger les lignes à l’échelon européen pour défendre les intérêts de nos outre-mer, qui sont bel et bien pour la France des intérêts nationaux, c’est l’ensemble du secteur agricole dans l’Hexagone qui bénéficiera de nouvelles souplesses et de nouvelles simplifications. C’est notre conviction.

Notre proposition de résolution européenne intervient dans un contexte très particulier, marqué à la fois par la multiplication des projets d’accords de libre-échange et par des projets de modification des règlements européens de 2007 sur la production biologique et de 2009 sur les pesticides. Nous devons profiter de cette fenêtre d’action pour faire avancer nos positions dans les cercles bruxellois. C’est pourquoi notre texte vise à dénoncer l’inadéquation du cadre réglementaire phytosanitaire et de la politique commerciale de l’Union et à demander une réorientation au service du développement endogène des RUP, les régions ultrapériphériques.

Depuis plusieurs années, les filières agricoles des outre-mer ont consenti de très importants efforts pour faire face à la concurrence internationale en modernisant leur outil de production et en revoyant leur stratégie de commercialisation. Les gains de compétitivité réalisés ne sont pas dus à une baisse quelconque des standards sociaux et environnementaux. Bien au contraire, les outre-mer se sont engagés dans une politique vertueuse de mieux-disant social et environnemental, marquée notamment par une réduction drastique de l’emploi des herbicides, fongicides et pesticides, avec d’ailleurs le soutien financier de l’Union européenne.

Ces efforts d’adaptation sont toutefois menacés d’être réduits à néant par des politiques européennes inadaptées et incohérentes entre elles. En effet, l’architecture de la réglementation phytosanitaire européenne est faite pour les conditions tempérées de l’Europe continentale, qui s’accompagnent d’une moindre pression de maladies et de ravageurs. Elle ne tient pas compte des caractéristiques de l’agriculture en milieu tropical. Les RUP restent ainsi dans l’angle mort.

Cela contribue fortement à la prégnance des usages orphelins dans les outre-mer. Ainsi, 29 % des usages phytosanitaires sur cultures tropicales dans les RUP françaises sont couverts ; la moyenne nationale française s’établit à un taux de couverture de 80 % des besoins.

Les filières de diversification sont très impactées, mais les grandes cultures de la banane et de la canne ne sont pas épargnées, car elles sont à la merci d’une perte d’homologation d’une poignée de produits absolument indispensables à la survie même des plantations. Les procédures d’homologation sont directement responsables de l’indisponibilité de solutions phytopharmaceutiques dans les RUP, alors même que celles-ci existent dans les pays tiers concurrents qui exportent leurs productions vers l’Union européenne.

Les RUP subissent la concurrence des pays tiers à l’export sur le marché européen pour leurs produits phares que sont la banane, le sucre et le rhum. Ils la subissent aussi sur leurs marchés locaux pour les produits issus des filières de diversification végétale et animale.

La porosité des outre-mer aux importations légales et illégales des pays tiers est avérée : la Guadeloupe vis-à-vis de la Dominique, notamment en exploitant les failles du contrôle à Marie-Galante, la Martinique face à Sainte-Lucie, la Guyane vis-à-vis du Suriname et du Brésil, Mayotte face aux Comores et La Réunion à l’égard de Madagascar.

Cette porosité contribue à enfermer les économies ultramarines dans un cercle vicieux. Plus la concurrence sur le marché local est rude, plus les filières de diversification végètent et ne peuvent ni résoudre le problème des usages orphelins ni s’engager dans des démarches de labellisation ou d’agriculture bio. Les économies des outre-mer restent éminemment dépendantes des grandes cultures de la banane et de la canne. Or celles-ci sont elles-mêmes fragilisées par le changement climatique – salinisation, sécheresse, épisodes violents – et surtout touchées de plein fouet par la multiplication des accords de libre-échange. L’Union européenne troque trop facilement les productions agricoles tropicales des RUP contre l’ouverture putative des marchés industriels et de services des pays tiers. La seule réponse de l’Union européenne est de prévoir des compensations financières via le POSEI, le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité.

Cela ne fait que miner les capacités de développement endogène des RUP et accroître leur dépendance aux subventions. Les outre-mer ont besoin d’un cadre normatif adapté, propice à la mise en valeur de leur potentiel agricole. Ils ont aussi besoin d’une politique commerciale qui leur permette de lutter à armes égales avec leurs concurrents.

Aujourd’hui, seuls les outre-mer disposant de la maîtrise normative, comme la Nouvelle-Calédonie, paraissent bénéficier d’un corpus normatif et de systèmes de contrôle adaptés à leurs besoins de développement des activités agricoles.

Les membres de la délégation à l’outre-mer n’ont eu de cesse d’alerter le Gouvernement et les autorités européennes sur la nécessité de prendre en compte les spécificités des régions ultrapériphériques. Nous avons ainsi fait adopter des résolutions sur la banane, sur la politique de la pêche, sur la fiscalité du rhum et, encore cette année, sur les sucres spéciaux pour infléchir les termes de l’accord commercial avec le Vietnam. Elles n’ont pas été vaines, puisqu’elles ont contribué à arracher à la Commission européenne soit des prorogations de dispositifs de protection, soit des inflexions des équilibres négociés avec des pays tiers. Il n’en reste pas moins que la Commission européenne n’a pas encore modifié en profondeur et de manière pérenne son approche des outre-mer.

J’en veux pour preuve l’adhésion prochaine de l’Équateur à l’accord de libre-échange avec la Colombie et le Pérou conclu au mois de décembre 2012. L’Équateur est déjà le premier exportateur de bananes sur le marché européen. L’abaissement des droits de douane après son adhésion à l’accord de libre-échange provoquera inévitablement un afflux d’importations qui frappera durement nos planteurs. Ce pays traite ses bananes quarante fois par an avec une gamme de cinquante produits phytopharmaceutiques. Par comparaison, les bananiers français ne disposent que de deux produits autorisés et réalisent sept traitements par an.

C’est dans cette politique inéquitable que réside le nœud du problème. Il paraît aberrant de procéder simultanément à l’abandon des tarifs douaniers et au démantèlement des protections non tarifaires. C’est pourquoi nous estimons indispensable que les autorités communautaires garantissent la cohérence entre elles des politiques agricole, sanitaire et commerciale de l’Union européenne. Nous invitons en particulier la Commission européenne à acclimater les normes en matière d’agriculture et d’élevage aux contraintes propres des RUP en tenant compte des spécificités de la production en milieu tropical.

Il reste beaucoup à faire, en particulier à l’échelon européen, pour défendre les intérêts de nos territoires, trop facilement oubliés. L’adoption de notre proposition de résolution permettra d’associer l’ensemble du Sénat à notre action et de soutenir très directement les efforts de nos collègues parlementaires européens, non seulement français mais aussi espagnols et portugais, pour faire reconnaître les spécificités des régions ultrapériphériques.

Pour conclure, permettez-moi de revenir brièvement sur le rapport qui a donné naissance à notre proposition de résolution. Son élaboration nous a donné l’occasion de découvrir une autre facette de la richesse des outre-mer.

Nous avons appris à connaître toute une gamme de champignons, bactéries et ravageurs. Je mentionne par exemple le papillon piqueur des agrumes et le citrus greening, la lucilie bouchère, dont le nom latin signifie « mouche mangeuse d’hommes », ou encore la fourmi manioc. Nous avons aussi découvert avec intérêt combien l’inventivité de nos chercheurs était inépuisable et leur contribution irremplaçable. Ils ont mis au point en particulier des méthodes de synchronisation de la floraison des ananas par charbon enrichi à l’éthylène et des techniques de piégeage de masse du charançon de la patate douce par confusion sexuelle ; je ne vous expliquerai pas tout en détail. §Tous ces noms évocateurs vous laissent imaginer l’étendue de notre champ d’investigation.

Nous souhaitons ardemment que ces efforts et ces trésors de créativité soient récompensés. Nous entendons, par le truchement de la présente proposition de résolution européenne, faire entendre la voix des outre-mer à Bruxelles et vaincre les obstacles qui entravent le développement de leur agriculture.

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