Intervention de Michel Magras

Réunion du 22 novembre 2016 à 21h30
Normes agricoles et politique commerciale européenne — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Michel MagrasMichel Magras :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je crains qu’il n’y ait quelques redites dans mon intervention – je vous prie de m’en excuser par avance –, mais le sujet l’impose.

Nos agriculteurs ultramarins veulent produire et exporter en se positionnant sur des secteurs haut de gamme. C’est un combat honorable et difficile, face à une concurrence impitoyable et alors que les acteurs ne jouent pas à armes égales.

Au début de l’année 2016, nous sommes intervenus par voie de résolution pour rappeler que l’Union européenne avait très opportunément financé la modernisation de la filière canne à sucre ultramarine et son positionnement sur les sucres roux. À l’unanimité, nous avons estimé absurde de ruiner ces efforts en ouvrant brutalement le marché des sucres spéciaux à des pays où le coût de la main-d’œuvre était dix-neuf fois moins élevé. Il s’agissait en l’occurrence du Vietnam, qui risquait de se voir offrir un boulevard pour se positionner sur ce segment.

Notre démarche a été couronnée de succès – cela vient d’être rappelé –, puisque l’accord définitif avec le Vietnam inclut une clause de contingentement strict des importations de sucres roux. Partant de 20 000 tonnes indifférenciées, on en est finalement arrivé à une limitation spécifique de 400 tonnes pour les sucres roux. Cela change tout !

Madame la ministre, je tiens à vous remercier, ainsi que l’ensemble du Gouvernement, de votre mobilisation sur ce dossier. Je vous invite à prêter une attention toute particulière au sort réservé aux productions ultramarines dans les mandats de négociation. En effet, le caractère flou du mandat confié à la Commission européenne, comme dans le cas du traité transatlantique, peut être extrêmement préjudiciable.

Ainsi que cela avait été alors annoncé, je vous présente aujourd’hui un texte plus général, même s’il répond aussi à une préoccupation immédiate concernant le secteur de la banane. La version initiale de ce texte a été cosignée par cinq membres de la délégation à l’outre-mer : Éric Doligé, que vous venez d’entendre, Jacques Gillot, Gisèle Jourda, Catherine Procaccia et moi-même. La commission des affaires européennes a pleinement souscrit à ce travail, puisqu’elle a adopté la proposition de résolution sans modification et à l’unanimité. Comme son intitulé l’indique, ce texte comporte deux volets : les normes agricoles européennes et la politique commerciale de l’Union.

Le thème des normes agricoles a été abordé par notre commission des affaires économiques au milieu de l’année 2016, mais principalement sous l’angle hexagonal. Dans son excellent rapport d’information, notre collègue Daniel Dubois constate que l’avalanche de réglementations handicape l’agriculture métropolitaine, qui est pourtant l’une des plus performantes du monde, et il invite à retrouver le chemin du bon sens avec seize propositions.

Nous sommes ici aujourd’hui pour rappeler que la situation est encore bien pire pour les outre-mer. Cela ressort du rapport d’information élaboré par la délégation sénatoriale à l’outre-mer. En 300 pages, qui rendent compte des nombreuses auditions effectuées auprès des acteurs de terrain, nous démontrons que les dispositifs phytosanitaires conçus pour l’Europe continentale s’imposent dans les régions ultrapériphériques en ignorant totalement les caractéristiques de l’agriculture en zone tropicale, tant et si bien que cette application uniforme conduit à une véritable impasse agricole.

Un seul exemple parmi tant d’autres : la fameuse fourmi manioc, présente à la Guadeloupe et en Guyane, est capable de détruire, en vingt-quatre heures seulement une culture de patates douces, d’ignames ou d’agrumes. Or aucune solution efficace ne peut être utilisée aujourd’hui sur des cultures de plein champ. En bref, la sécurité des récoltes ultramarines n’est pas garantie. Comme cela a été rappelé, 29 % des « usages phytosanitaires », c’est-à-dire les moyens de défense contre les attaques des ravageurs, sont couverts dans les départements d’outre-mer, contre 80 % en métropole. Pourtant, les produits existent, et ils sont utilisés par nos concurrents. Mais, en Europe, les procédures d’homologation sont si complexes et coûteuses que, pour les fabricants, le jeu n’en vaut pas la chandelle. Le marché ultramarin est trop étroit pour amortir le coût des formalités administratives.

Quand les produits sont autorisés, c’est leur mode ou leur fréquence d’utilisation qui fait l’objet de normes européennes inadaptées. Par exemple, l’Équateur, pays déjà mentionné, qui est le premier exportateur de bananes, traite ses cultures quarante fois par an avec une gamme de cinquante produits phytopharmaceutiques. Pendant ce temps, les bananiers français ne disposent que de deux produits autorisés et réalisent sept traitements par an.

Nous ne demandons évidemment pas à abuser des produits phytopharmaceutiques. Nous voulons simplement être traités de manière équitable face aux concurrents qui, comme nos régions ultrapériphériques, ont droit d’accès sur le marché européen.

Voilà pour vous donner un aperçu de la situation inextricable que nous connaissons face à une concurrence sans merci !

Pour réduire ces handicaps, la délégation à l’outre-mer a énoncé vingt recommandations. C’est le socle du volet « normes agricoles » de la présente proposition de résolution. J’en résume ici les trois axes.

Premièrement, adapter les normes, ainsi que les processus d’homologation pour garantir la sécurité des récoltes. Sortons du labyrinthe des procédures en dressant une liste positive de pays dont les procédures d’homologation sont équivalentes à celles de l’Union européenne.

Deuxièmement, mieux contrôler les échanges pour rééquilibrer les contraintes imposées aux producteurs.

Troisièmement, promouvoir une stratégie de labellisation des produits ultramarins pour orienter les productions vers le haut de gamme et les marchés de niche.

L’autre grand volet de la proposition de résolution porte sur les accords commerciaux et concerne plus particulièrement le secteur de la banane.

Je rappelle que, conformément aux accords de libre-échange conclus en 2012 avec l’Amérique centrale, les droits de douane sur les bananes importées dans l’Union européenne seront passés de 176 euros à 75 euros par tonne entre 2009 et 2020. Les volumes importés ont bondi, et la perte de parts de marché qui en résulte pour nos producteurs concernés met en péril l’avenir de la filière.

Sur le papier, des mécanismes de protection sont prévus en cas d’augmentation excessive des importations de bananes depuis les pays partenaires. Dans la pratique, jamais depuis 2013 la Commission européenne ne les a activés, alors que l’évolution du marché pouvait, à plusieurs reprises, le justifier.

En réponse à cette carence, la proposition de résolution suggère un déclenchement quasi automatique dès que les seuils de déclenchement prévus sont atteints. Elle demande également la prorogation de ces mécanismes de stabilisation au-delà de 2020. Il faut aussi disposer de mesures fiables des prix et des revenus pour les grandes filières exportatrices des outre-mer. La résolution appelle enfin, comme nous l’avons déjà demandé à plusieurs reprises, à la réalisation systématique d’études d’impact préalables sur les outre-mer des accords commerciaux passés par l’Union européenne.

Tous ces éléments démontrent le caractère crucial des enjeux pour nos outre-mer et l’importance des initiatives prises par le Sénat en la matière. Aussi notre commission des affaires économiques vous invite-t-elle à approuver la présente proposition de résolution, qui repose sur un objectif de rationalisation des politiques européennes actuellement contradictoires, sur le principe d’une plus grande loyauté de la concurrence internationale et sur une stratégie de montée en gamme des produits agricoles ultramarins.

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