Intervention de Éricka Bareigts

Réunion du 22 novembre 2016 à 21h30
Normes agricoles et politique commerciale européenne — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Éricka Bareigts, ministre :

Sur ce point comme sur d'autres, si la vigilance et le principe de précaution s'imposent, il faut sortir du complexe du bon élève. Il s'agit donc d'inviter la Commission européenne à acclimater les normes européennes agricoles au milieu tropical.

Le ministère de l'agriculture prend de plus en plus largement en compte les régions ultrapériphériques. J’en profite d’ailleurs pour saluer l'action de Stéphane Le Foll.

Ainsi, le ministère peut délivrer des autorisations de mise sur le marché en urgence, en cas de crise phytosanitaire. Ses services suivent attentivement les besoins des filières agricoles ultramarines, notamment ceux des grandes cultures exportatrices.

À cela s'ajoutent les activités des instituts de recherche nationaux : l'Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, et l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, l’IRSTEA. Ces trois organismes publics dépensent en moyenne 60 millions d’euros par an dans les outre-mer.

Le travail de ces différentes institutions témoigne donc d'une volonté de remédier aux contraintes normatives pesant sur les agriculteurs ultramarins. Pour moi, il est important que cet effort public soit maintenu, voire amplifié, durant les prochaines années.

Parallèlement, je souhaite saluer les efforts entrepris et les importants progrès enregistrés en matière environnementale, au regard de la qualité des produits, par les producteurs agricoles ultramarins.

J'en veux pour preuve, à la suite à la mise en œuvre des plans successifs « Banane durable », la production de la banane française dans les Antilles, qui a considérablement diminué son recours aux produits phytosanitaires : moins 85 % en dix ans, avec un usage dix fois moins important que dans certains pays voisins.

Pour les espèces cultivées en outre-mer et soumises à la réglementation européenne, la demande de dérogation à cette réglementation que vous formulez ne nous paraît pas forcément constituer la priorité pour parvenir à la diffusion de variétés résistantes aux ravageurs. L'enjeu est avant tout de résoudre la difficulté à identifier les variétés résistantes et leurs mécanismes de résistance, ainsi que de créer des variétés intégrant ces résistances. Il s'agit donc plutôt d'une problématique de recherche.

À cet égard, il conviendrait de demander à la Commission européenne un soutien adapté en faveur des organismes de recherche que j’ai mentionnés tout à l'heure, et de pouvoir développer davantage de démarches partenariales.

Dans le même objectif, je vous annonce ce soir que le ministère de l'agriculture va très prochainement publier une nouvelle version du plan « Semences et plants pour une agriculture durable ». L’une des actions de ce plan porte spécifiquement sur les territoires ultramarins : elle prévoit de définir des objectifs de sélection des variétés pour les principales espèces tropicales cultivées dans les outre-mer.

J'en arrive au développement de l'agriculture biologique dans les outre-mer. Vous avez souhaité donner une place centrale, dans votre proposition de résolution, à la question de l'équivalence des normes biologiques entre les RUP soumises à la réglementation européenne et les pays tiers qui exportent vers les RUP, les normes applicables entraînant une concurrence sur les mêmes produits agricoles tropicaux.

Il ne sera pas possible d'évoquer ce soir tous les aspects de ces problèmes, très techniques. J'aborderai seulement un point clé.

Afin de clarifier davantage encore les règles qui s'appliquent dans les pays tiers, dans le nouveau projet de règlement bio en cours de révision, la Commission européenne a proposé, ce que la France soutient fortement, de remplacer le régime d'équivalence délivrée aux organismes certificateurs par un régime de conformité. Cela constituera un gage de confiance pour le consommateur et garantira des conditions de concurrence équitables pour les producteurs européens. Le Conseil et le Parlement européen appuient cette proposition. Vous le constatez, nous avançons dans la bonne direction.

Sur l'ensemble de ce dossier, l'approche défendue par les autorités françaises est de réussir à maintenir un standard européen exigeant. C’est tout aussi essentiel en métropole que dans les RUP, au regard de l'importance de ce marché pour l'Europe dans son ensemble, à l’échelle mondiale.

Ce qu'il faut que l'on parvienne à faire, c'est imposer nos critères aux autres pays, sur les produits tropicaux comme sur les autres. Pour cela, l'un des leviers à activer plus fermement, au-delà du renforcement de la réglementation européenne et de l'assurance de la bonne tenue des contrôles douaniers, c’est la recherche permanente d'une meilleure valorisation des productions tropicales françaises.

La qualité de nos productions, au plan environnemental, sanitaire et social, par rapport notamment à celle de certains de nos voisins, doit nous rendre fiers. Des instruments existent dans la réglementation européenne, comme le logo RUP, pour mettre en avant la qualité des produits européens. Il convient de renforcer de tels mécanismes.

De la même manière, pour ce qui est de la consommation locale, le renforcement de l'usage de la mention valorisante « produit pays » s’impose. Une véritable politique alimentaire en faveur de la qualité et des produits locaux doit être conduite, en particulier à destination des jeunes générations et de la restauration collective. Il faut diffuser, défendre et valoriser nos saveurs d'outre-mer.

J’en viens à la question des accords commerciaux.

En matière de commerce, la situation, vous l’avez souligné et je l’ai moi-même rappelé dans mes propos introductifs, est préoccupante et déséquilibrée.

Ainsi, en 2015, les bananes de Guadeloupe et de Martinique ne représentaient que 4, 5 % de l'approvisionnement de l'Union européenne. Pour ce qui concerne le sucre, en 2014, la part de marché des DOM français s'élevait à 2, 5 %. Celle-ci, s’agissant du rhum, atteignait certes 24 % du marché européen, mais elle était en diminution de moitié par rapport au niveau de 1986, année où elle s’établissait à 51 %.

Or, nous le savons, les régions ultrapériphériques ne sauraient concurrencer les pays tiers sur le terrain des coûts salariaux et de la protection sociale. Personne de sensé, heureusement, n'envisage un nivellement par le bas ; ce serait absurde et mortifère.

Le maintien et le développement des parts de marché des producteurs ultramarins reposent donc exclusivement sur une stratégie de montée en gamme.

Juridiquement, des mécanismes de protection sont prévus sous deux formes : la clause de sauvegarde spécifique et le mécanisme de stabilisation. Mais vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, jamais, depuis 2013, la Commission européenne n'a activé ces dispositifs.

Je tiens à souligner devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que la position de la France est constante : la politique commerciale européenne doit répondre, Mme la rapporteur l’a rappelé, aux exigences d'ambition, d'équilibre et de bénéfice mutuel.

Le Gouvernement, par la voix de Matthias Fekl, porte ce message depuis 2015 et l’a encore fait récemment, s'agissant du projet de traité transatlantique.

Le Premier ministre, Manuel Valls, l’a également souligné avec force, il faut que l'Europe, en matière de négociations commerciales, sorte de l'innocence. Nos intérêts économiques et nos emplois doivent prévaloir sur les théories, les postures et les dogmes.

Le Gouvernement a pleine conscience des enjeux pour les régions, notamment pour les RUP et leurs filières. Il est attentif, à l’échelon européen, à la prise en compte des territoires ultramarins dans les négociations.

Vous avez eu notamment l'occasion de débattre de la place des sucres spéciaux dans l'accord entre l'Union européenne et le Vietnam conclu en 2015. L'accord commercial a fait l’objet d’évolutions pour être pleinement satisfaisant.

C'est pourquoi la France insiste pour que les études d'impact que présente la Commission soient désormais aussi solides et rigoureuses que possible avant tout accord, et prennent dûment en compte les sensibilités agricoles des États membres de l'Union européenne, ce qu'elle s'est engagée à faire.

La France est ainsi active à l’échelon européen pour que des solutions concrètes soient trouvées afin d’améliorer le suivi du marché de la banane et de rendre les dispositions de sauvegarde plus opérationnelles.

S'agissant du mécanisme de stabilisation et de la clause de sauvegarde, les dispositions permettant leur déclenchement sont trop contraignantes et les délais incompressibles d'analyse du marché limitent l'efficacité des dispositifs et la capacité de la partie européenne à réagir rapidement.

Quant aux bases de données permettant le suivi du marché de la banane, les autorités françaises souhaitent, sur ce point aussi, proposer des évolutions. L'amélioration de l'outil statistique outre-mer est d'ailleurs l’un des objectifs importants contenus dans les dispositions du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer.

Il est également nécessaire de ne pas s'arrêter à de simples études de prix ou de marché. Ce qui fait la stabilité du marché européen, c'est aussi et surtout la situation économique et sociale réelle de ses producteurs. Celle-ci doit être évaluée dans chaque région et dans les territoires ultramarins évidemment, par le biais d’une étude sur l'évolution de l'emploi et de la prise en compte des différences en termes de structures, de capacités de production et d'exportation.

Enfin, je veux conclure mon propos en vous remerciant, monsieur le président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, de votre engagement au service des outre-mer et de vos travaux. Ils nous permettent d'enrichir tant notre réflexion que notre action et de mener des politiques publiques toujours plus pertinentes pour les outre-mer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le constatez, ce gouvernement est déterminé à défendre les intérêts des RUP au sein de l'Union européenne.

Les spécificités des outre-mer doivent être pleinement prises en compte afin de soutenir l'activité économique et l'emploi – surtout l’emploi – au sein de ces territoires.

Nos régions sont riches de leur agriculture, de la qualité de leur production et de leur savoir-faire : nous pouvons en être fiers.

Les outre-mer disposent de formidables atouts. Donnons-leur toutes les chances d'en tirer pleinement avantage !

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