Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, politique commerciale européenne et normes agricoles applicables à nos régions ultrapériphériques, voilà deux sujets de préoccupation lourds pour les territoires ultramarins dont les économies restent largement structurées autour de deux grandes filières héritées d’un autre âge, la banane et la canne.
Ces sujets reviennent dans notre hémicycle de façon récurrente, car le Sénat reste indéfectiblement attentif au sort de nos territoires, et je salue encore une fois l’initiative du président Gérard Larcher d’avoir engagé, en 2009, la création d’une mission d’information sur la situation des départements d’outre-mer, laquelle a conduit à la mise en place en 2011, par le président Jean-Pierre Bel, de notre délégation.
Selon une expression chère à Aimé Césaire, la délégation agit comme « éveilleur de conscience », vis-à-vis tant des gouvernements successifs que des instances européennes, notamment la Commission.
La délégation remet d’ailleurs inlassablement sur le métier la question des accords commerciaux conclus par l’Union européenne, mais aussi celle de la nécessaire prise en compte des spécificités des régions ultrapériphériques, prenant ainsi le relais des préconisations 35 et 54 du rapport d’information de 2009.
Permettez-moi de rappeler les termes de cette dernière préconisation qui, malheureusement, n’a guère été suivie d’effet à ce jour : « Tenir compte davantage des spécificités des régions ultrapériphériques dans le cadre des accords de partenariat économique avec les pays ACP et mettre en place un mécanisme spécifique et régulier d’évaluation de ces accords au regard de leur impact sur l’économie des DOM. »
Dans le prolongement de ce rapport fondateur, Éric Doligé et moi-même avions déposé, voilà cinq ans déjà, une proposition de résolution européenne pour dénoncer l’indifférence de la Commission européenne aux répercussions, sur les agricultures ultramarines, des accords commerciaux conclus avec les pays producteurs concurrents, sans véritables garde-fous, au nom du dogme du libre-échange.
Or les effets collatéraux de ces accords menacent gravement les centres vitaux de l’économie de nos outre-mer, exposés à la concurrence de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes sociales, salariales ou sanitaires. L’effet est même tangible sur les marchés locaux, inondés par une concurrence déloyale à bas coûts !
Parallèlement à cette vigilance qu’elle n’a cessé d’exercer sur les effets en outre-mer des politiques de l’Union européenne, avec quatre autres propositions de résolution relatives à la défense, respectivement de la banane, du secteur de la pêche en 2012, du rhum des DOM en 2013 et, dernièrement, des sucres spéciaux, la délégation à l’outre-mer a engagé une réflexion globale sur les normes sanitaires et phytosanitaires applicables aux agricultures ultramarines.
Ses recommandations ont été consignées dans l’excellent rapport d’information d’Éric Doligé, Jacques Gillot et Catherine Procaccia ; certaines d’entre elles seront reprises dans le rapport prochainement publié d’Odette Herviaux, qui s’est vue confier par le Premier ministre une mission sur la simplification des normes agricoles. Elle recommande, à juste titre, dans ce document que des représentants des outre-mer siègent dans le comité de rénovation des normes en agriculture, installé au mois de mars dernier.
Est également proposée la possibilité pour les RUP d’autoriser une culture locale d’une variété végétale résistante aux ravageurs tropicaux, sans que celle-ci soit nécessairement inscrite au catalogue européen des variétés.
Est enfin soulignée la nécessité de requalifier les importations de produits bio provenant de pays tiers, car cette qualification est trompeuse pour le consommateur, dès lors que ces produits bio venus de l’extérieur ne répondent pas au même degré d’exigence que ceux qui sont fabriqués sur le territoire européen.
La proposition de résolution européenne dont nous discutons aujourd’hui a le mérite de souligner la complémentarité des problématiques posées par la politique commerciale de l’Union, d’une part, et l’inadéquation des contraintes phytosanitaires qui pèsent sur les agricultures ultramarines, d’autre part.
Les procédures en vigueur et le spectre normatif en matière agricole ignorent en effet la dimension tropicale et la petite taille de nos marchés. C’est la double peine, et ce alors même que les agricultures de nos outre-mer sont vertueuses et pourraient être des ambassadrices des valeurs sociales et environnementales de l’Union européenne dans les différents océans. J’en veux pour preuve le retour de la biodiversité dans nos bananeraies, notamment en Guadeloupe et à la Martinique.
La communication de la Commission européenne du 20 juin 2012 définissant la stratégie de l’Union à l’égard des RUP laissait miroiter une embellie pour la prise en compte effective des contraintes spécifiques et de la diversité de ces régions, ainsi qu’une meilleure cohérence entre elles des politiques européennes.
Or force est de constater que l’objectif n’est pas encore atteint, et même que la Commission européenne rechigne à actionner les mécanismes de stabilisation des marchés qu’elle a pourtant acceptés. Il ne faut cesser de le répéter, elle campe sur son interprétation restrictive de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ou TFUE, malgré les évolutions jurisprudentielles favorables de la Cour de justice de Luxembourg qui, en 2015, ont étendu au droit dérivé la faculté de déroger ou d’adapter consentie par cet article. Vous l’avez dit, madame la ministre, mais il faut remettre encore l’ouvrage sur le métier. Pour faire entrer un clou dans un mur, il faut donner plusieurs coups !
Mes chers collègues, la France enrichit l’Europe de sa diversité territoriale et humaine ; elle doit continuer à défendre ses particularités et à affirmer ses modèles de qualité. Battons-nous inlassablement pour défendre cette juste cause, qui est également la clé du développement de nos économies ultramarines !
Pour toutes ces raisons, avec le groupe socialiste et républicain, je vous appelle à voter des deux mains la proposition de résolution qui nous est soumise.