Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 22 novembre 2016 à 21h30
Normes agricoles et politique commerciale européenne — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de résolution européenne est issue des travaux que nous avons effectués et qui ont déjà été rappelés. Nous avons découvert tant d’aberrations que nous ne pouvions pas ne rien faire. Nous voulons faire vivre nos préconisations, qui sont précises et concrètes : le dépôt d’un texte destiné à interpeller les autorités européennes nous est apparu comme une suite logique.

Pour simplifier les normes agricoles outre-mer, les efforts doivent être menés à l’échelon à la fois national et européen. En France, le ministère de l’agriculture et l’ANSES commencent à prendre conscience des spécificités ultramarines. C’est une véritable avancée, si l’on considère le rapport que j’ai rendu en 2009 sur le chlordécone aux Antilles.

L’extrême fragilité des filières ultramarines, confrontées à de nombreux usages orphelins, n’a pas été encore complètement prise en compte. Le ministère de l’agriculture a créé un comité des usages orphelins outre-mer et a rénové le catalogue des usages agricoles pour faire toute leur place aux cultures tropicales. L’ANSES s’est dotée d’un référent outre-mer qui dialogue avec les filières en amont de la procédure d’homologation. Ce sont des évolutions intéressantes, mais encore insuffisantes pour remplir l’objectif d’une couverture à hauteur de 49 % en 2017 des besoins phytosanitaires, objectif que les autorités françaises se sont elles-mêmes fixé.

Il faut donc aller plus loin. Il est temps d’adapter aux spécificités des outre-mer les limites maximales de résidus, les LMR. Il est clair que les prescriptions associées aux autorisations de mise sur le marché, ou AMM, des produits phytosanitaires doivent être différenciées selon le climat, quoi qu’en pense Joël Labbé. Les conditions d’utilisation, comme la dose, le nombre d’applications, les cadences et les délais des traitements avant récolte, ne peuvent plus être définies de façon uniforme en outre-mer comme en Europe, car ce sont toujours les producteurs des DOM qui en pâtissent.

Pour réduire les usages orphelins et accélérer le déploiement d’une couverture phytosanitaire adaptée outre-mer, nous préconisons d’obliger les firmes pétitionnaires à joindre à tout dossier d’AMM des analyses portant sur l’utilisation du produit sur cultures tropicales. En contrepartie, les firmes bénéficieraient simultanément de l’AMM et de l’extension de celle-ci pour l’usage tropical. Cela réduirait immanquablement les délais et les coûts au bénéfice des producteurs ultramarins.

Actuellement, la plupart des produits phytopharmaceutiques utilisés ne sont pas homologués directement, notamment pour la banane, la canne à sucre, l’ananas. Ils le sont pour les grandes cultures de l’Hexagone, comme celles du blé, du maïs, de la tomate, et suivent ensuite une deuxième procédure d’extension d’autorisation pour usage mineur sur une culture tropicale. Nous souhaitons au contraire fusionner les procédures et forcer les firmes à fournir des données sur les cultures tropicales qui permettront de mieux calibrer les AMM et les conditions d’utilisation. Si nous y parvenons, ce sera une petite révolution !

Il nous paraît également essentiel d’assurer un traitement spécifique des substances indispensables à la survie des cultures. La France doit rester vigilante sur de nombreux dossiers. En particulier, elle doit veiller au maintien d’une couverture en herbicide pour la canne. À l’échelon européen, le Royaume-Uni était désigné comme État membre rapporteur pour étudier l’Asulox, dont l’AMM doit encore être renouvelée. Après le Brexit, personne ne peut nous dire si cette procédure se conclura.

Le ministre de l’agriculture devrait aussi prendre garde à ajuster les autorisations de traitement en urgence. On nous a cité, à moult reprises, l’exemple d’un fongicide autorisé en urgence pendant cent vingt jours pour protéger les plants de melon. Le seul problème est que la période fixée correspondait à la récolte du melon des Charentes, mais pas à celle du melon de Guadeloupe. Les maraîchers guadeloupéens en ont fait les frais.

Par ailleurs, certaines interprétations françaises des normes européennes sont maximalistes. Je vous remercie, madame la ministre, de l’avoir reconnu ! Ainsi, des préparations comme les biostimulants, qui sont à la frontière entre les fertilisants et les produits phytosanitaires, ne sont pas évaluées de la même manière partout. En France, si le biostimulant a un effet sur les mécanismes de défense de la plante contre un bioagresseur, il doit suivre la procédure d’AMM des pesticides. En revanche, l’Espagne et l’Allemagne évaluent ces produits comme de simples fertilisants et les font bénéficier d’une procédure d’autorisation beaucoup plus souple.

Force est de constater que les principaux blocages pénalisant les agricultures ultramarines se situent à l’échelon européen. Nos territoires d’outre-mer demeurent largement invisibles pour les autorités communautaires, qui ne les prennent en considération ni dans l’élaboration des normes phytosanitaires ni dans l’évaluation des risques.

En particulier, l’Autorité européenne de sécurité alimentaire, l’EFSA, a clairement admis devant nous que les spécificités de l’agriculture des RUP n’étaient pas prises en compte dans ses travaux. En d’autres termes, les RUP restent délibérément hors du champ d’investigation de l’Agence, qui n’est donc pas en mesure d’infléchir ses avis.

Par exemple, le potentiel de contamination des eaux souterraines par une substance active est évalué par l’EFSA en considérant neuf lieux représentatifs des grandes zones de productions agricoles en Europe. Le site de Châteaudun est retenu pour la France, continentale comme ultramarine. Les conditions spécifiques des sols et des climats en milieu tropical ne sont pas considérées malgré d’énormes différences qui jouent sur la diffusion des polluants. Difficile, il faut l’avouer, d’extrapoler quelque chose de la culture du blé dans la Beauce pour définir des normes applicables aux Antilles, en Guyane ou à La Réunion…

De même, les évaluations d’exposition des consommateurs aux résidus de pesticides sont basées sur les régimes alimentaires inclus dans un modèle appelé PRIMo, qui prend en considération vingt-deux régimes européens. Aucun régime ultramarin n’en fait partie. Les spécificités alimentaires des populations caribéennes ou de l’océan Indien sont totalement ignorées. Mais c’est en matière d’encadrement des moyens de lutte biologique que les normes européennes apparaissent les plus pénalisantes. Cela ne peut manquer de surprendre, alors que leur faible nocivité en fait une alternative de choix aux traitements chimiques.

Nos instituts de recherche, comme l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, y travaillent activement et sont déjà fortement implantés outre-mer. Mais, comble du paradoxe, ce sont les pays tiers avec lesquels nous menons des coopérations qui sont en mesure d’exploiter ces techniques !

La question des normes applicables aux phéromones est particulièrement importante. Certaines phéromones pourraient être utilisées pour compenser les usages orphelins sur les cultures fruitières et légumières des DOM. Mais les phéromones sont considérées comme des substances actives au plan européen. Elles sont soumises à la procédure du règlement « pesticides » de 2009 et doivent obtenir une AMM, comme n’importe quel produit phytopharmaceutique. Malgré leur efficacité, les méthodes de l’INRA pour lutter contre le charançon de la patate douce, par exemple, ne peuvent pas légalement être utilisées par les producteurs en l’absence d’AMM, même si cette phéromone n’est pas en contact avec la culture et n’est pas dispersée dans l’environnement.

Malheureusement, la longueur et le coût de la procédure d’homologation sont trop élevés pour intéresser une firme. Nos instituts de recherche français n’ont ni les moyens financiers ni la vocation de s’y substituer, si bien que les résultats de la recherche restent lettre morte dans les territoires pour lesquels ils ont été mis au point.

Le problème est identique pour l’emploi de substances naturelles. Des produits de traitement à base d’extraits d’huiles essentielles, autorisés en Floride ou en Californie, ont été développés par l’INRA et le CIRAD, notamment pour lutter contre le citrus greening, qui décime les agrumes. Ces travaux valorisent des traditions locales, issues d’un savoir-faire ancien. Mais la réglementation est telle que l’EFSA évalue ces substances naturelles comme s’il s’agissait de produits chimiques.

Nous préconisons en réponse une mesure forte pour dynamiser la lutte biologique : il faut dispenser d’homologation tous les moyens de biocontrôle, phéromones et extraits de plantes, dès lors qu’ils sont développés et validés par les instituts de recherche nationaux, comme l’INRA et le CIRAD. Pour réduire les usages orphelins et rétablir en même temps la balance entre les outre-mer et les pays tiers, je demande, comme mes collègues, à la Commission européenne d’établir une liste positive de pays dont les procédures d’homologation sont équivalentes à celles de l’Union. À partir de cette liste, les autorités françaises pourront autoriser directement l’usage en outre-mer d’un produit déjà homologué dans l’un des pays de la liste.

Par ailleurs, nous devons faire cesser les importations de pays tiers où les conditions de production sont laxistes. En l’état du droit européen, les denrées des pays tiers, dès lors qu’elles respectent les limites maximales de résidus de pesticides, sont acceptées sur les marchés européens, même si elles ont été traitées par des substances interdites pour les producteurs européens.

Nos propositions sont fortes et ambitieuses, mais à la hauteur des problèmes auxquels est confrontée l’agriculture de nos outre-mer.

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