Autant le dire d'emblée, le budget du programme « Création » qui nous est soumis cette année est, en quelque sorte, le budget rêvé. Cette remarque s'applique au budget pour la culture dans son ensemble, à un niveau véritablement historique puisqu'il atteint 1,1% du budget global de l'État. Avec une hausse de 8 % en autorisations d'engagement et de 4 % en crédits de paiement, il traduit clairement l'engagement du Gouvernement en faveur de la création et de leurs artisans, les créateurs.
Cela semblait, il est vrai, nécessaire après une année marquée par le vote de la loi « création » et ses deux premiers articles qui affirment tour à tour la liberté de création et la liberté de diffusion artistique. Mais il reste rare qu'une loi à l'objet ambitieux se voit donner des moyens avec un budget conséquent.
Ce budget revalorisé était absolument indispensable pour préserver la place de la culture, sujette ces dernières années à de nombreuses attaques, frontales comme insidieuses, et garantir qu'elle demeure, selon les mots de notre ministre de la culture, Audrey Azoulay, « un fondement du pacte républicain ». J'ajouterai que ce budget était particulièrement attendu par les créateurs, dans un contexte de baisse des financements croisés qui a engendré, pour la première fois en 2016, une baisse globale du niveau des aides publiques. J'ai pu mesurer les craintes qu'une telle évolution suscite.
Au final, la hausse de 2016 et la forte hausse de 2017 auront permis de renouer avec les niveaux de 2012 et d'être à la hauteur des enjeux culturels de notre pays, malgré les baisses de 2013 et 2014 que j'avais regrettées et la stabilisation de 2015. Hors investissements relatifs à la Philharmonie, les crédits de la création ont même augmenté de 4,7 % entre 2012 et 2017.
Les hausses concernent évidemment les deux actions du programme, spectacle vivant comme arts plastiques. Sur ce point, je me réjouis même de constater qu'elles sont proportionnellement plus fortes pour les arts visuels, permettant un très léger rééquilibrage dans la répartition des crédits entre les deux actions. Depuis plusieurs années, je dénonce la situation de « parent pauvre » des arts visuels au sein du budget de la création. Je suis donc satisfait de constater que mes alertes commencent enfin à porter leurs fruits. La part de l'action 2 « arts plastiques » franchit, pour la première fois, la barre symbolique des 10 % des crédits du programme en autorisations d'engagement. Le Conseil national des arts visuels dont j'appuie la création, rapport après rapport, devrait enfin voir le jour dans les prochains mois, ce qui devrait être un vrai « plus » pour contribuer à la structuration du secteur, aujourd'hui encore trop faible.
Je suis conscient qu'il ne faut pas crier victoire trop vite. La répartition des crédits du programme reste encore très déséquilibrée au profit du spectacle vivant. Bien sûr, les coûts élevés de production et l'économie globale du spectacle vivant justifient que des moyens conséquents lui soient alloués, mais ils ne suffisent pas à expliquer la persistance d'un tel écart entre les crédits des deux actions.
De nombreux défis se posent au secteur des arts visuels, auxquels il va falloir nous atteler, soit par le biais de dispositions législatives, soit en pesant de tout notre poids pour faire avancer les choses. Je pense à l'élaboration d'une convention collective des arts visuels car il n'en existe pas dans ce secteur, à l'unification des régimes de sécurité sociale qui sont pour l'heure disparates et très pauvres, à la problématique de la juste rémunération des auteurs des arts visuels et au renforcement du soutien à la photographie et au photojournalisme.
Permettez-moi de dire aussi quelques mots sur les enjeux du spectacle vivant. Ce secteur a été particulièrement touché par les attentats, avec des conséquences financières lourdes pour les établissements publics et privés du secteur. Le fonds d'urgence pour le spectacle vivant, mis en place il y a un an, immédiatement après les attentats du 13 novembre à Paris, a pu venir en aide à plusieurs centaines de structures fragilisées et leur permettre de survivre dans ce contexte difficile. Toutefois, il n'a pas vocation à fonctionner au-delà de 2018 et nous devrons donc bientôt nous poser la question de son avenir car la menace terroriste semble devoir persister après cette date.
Par ailleurs, il n'apporte son soutien qu'aux structures privées puisque les opérateurs et scènes subventionnées ne sont pas éligibles. Le budget prévoit donc d'allouer une enveloppe de 4,3 millions d'euros pour la sécurisation des établissements publics en 2017 répartie en 2,3 millions d'euros pour les opérateurs de l'État et 2 millions d'euros pour aider les labels à reconstituer leurs marges artistiques, ce qui permet d'indemniser d'éventuelles pertes et surcoûts liés à la sécurité.
Le dernier sujet que je souhaitais évoquer devant vous est le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV). Le problème posé par le plafond de la taxe affectée au CNV est un sujet récurrent au sein de notre commission. Je rappelle que le plafonnement a des effets désastreux sur la santé financière du CNV et des conséquences sur le montant des aides sélectives octroyées, puisque lorsque le secteur est en croissance, le plafond se traduit mécaniquement par des pertes pour l'établissement, contraint de verser les 65 % de l'écrêtement en droit de tirage. À quoi bon se développer si l'on doit être privé du bénéfice de ce développement ?
Je me réjouis donc qu'après les tentatives infructueuses de certains de nos collègues députés lors de l'examen du budget à l'Assemblée nationale, le Gouvernement ait finalement décidé de proposer de relever le plafond de la taxe, comme nous l'a indiqué Audrey Azoulay lors de son audition le 9 novembre dernier. Nous devrions ainsi éviter que le CNV puisse se retrouver en défaut, ce qui aurait inévitablement pénalisé la vitalité économique du secteur du spectacle vivant.
La seconde partie de mon propos portera sur le soutien public au cinéma, d'abord pour me réjouir de la vitalité du fleuron des industries culturelles. Le cinéma, loisir culturel intergénérationnel et populaire, enregistre, depuis 2014, plus de 200 millions d'entrées par an avec, fait exceptionnel en Europe, des oeuvres nationales qui totalisent plus de 70 millions d'entrées. La production française, particulièrement dynamique, atteint, en 2015, le niveau record de 234 oeuvres, à la rentabilité commerciale toutefois inégale.
Pilier du soutien public au cinéma, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) bénéficiera, en 2017, du versement de taxes affectées pour un montant estimé à 671,1 millions d'euros. Ces crédits enregistrent une très légère augmentation de 0,7 %, qui masque de grandes inégalités de rendement. Ainsi, la taxe sur les éditeurs progresse de 7,8 % alors que celles sur les distributeurs et sur les entrées en salles stagnent et que la taxe sur la vidéo, plombée par un marché en constante érosion, diminue de 4,6 %. En additionnant à cette somme, déjà considérable, 36 millions d'euros mobilisés sur la réserve de solidarité pluriannuelle, le CNC versera 701,1 millions d'euros d'aides en 2017, majoritairement au bénéfice de la production et de la distribution. Dans ce cadre, bien que pour des montants encore modestes, l'accent sera porté sur l'exportation des films français, avec la création d'un fonds de soutien automatique doté de 9 millions d'euros, et sur le soutien aux films « d'art et essai » à hauteur de 5 millions d'euros. Les salles d'art et d'essai revêtent une importance majeure pour nos territoires, notamment lorsqu'ils sont privés de salles plus importantes.
Partenaires indispensables du CNC, les chaînes de télévision contribuent à hauteur d'environ 35 % au financement des productions d'initiative française. Leur participation, couplée à leurs obligations de diffusion, représente un maillon essentiel du dispositif d'aide au cinéma. Pour cette raison, je m'inquiète des conséquences que pourrait avoir un désengagement, même limité, de Canal + sur l'équilibre économique et le dynamisme de la filière. Confrontée à des difficultés financières que l'on dit sérieuses, la chaîne semble aujourd'hui vouloir tenir ses engagements, tout en demandant des facilités considérables dans le cadre des négociations relatives au prochain accord professionnel sur la chronologie des médias. Jusqu'où faut-il aller pour « sauver » Canal + et préserver l'actuel modèle de financement du cinéma français ? La question est délicate, le secteur s'interroge et nous ne saurions y répondre qu'avec beaucoup de précautions tant les informations qui filtrent quant à la nature exacte des difficultés de la chaîne sont limitées et, parfois, contradictoires. Plus de transparence sur cette situation financière et de clarté sur le projet global du groupe permettrait de donner plus de visibilité au secteur concerné pour qui cette chaîne constitue un véritable poumon.
Compte tenu de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Création », au sein de la mission « Culture », dont le niveau est véritablement exceptionnel !