Les années passent, le constat demeure : le marché de la presse papier, victime d'un vieillissement de son lectorat et de la fuite de ses recettes publicitaires, s'érode inexorablement. En 2015, pour la huitième année consécutive, il affiche une perte de 3 % en valeur, pour établir son chiffre d'affaires à 7,5 milliards d'euros.
Il serait pourtant inutilement pessimiste de limiter notre analyse à une oraison funèbre car les éditeurs, soutenu par l'État, ont su réagir et moderniser leur offre, malgré une rentabilité encore vacillante. La mutation digitale de la presse représente son avenir, même si elle ne compense pas encore les pertes de revenus traditionnels compte tenu d'un prix d'abonnement inférieur à celui proposé pour les versions imprimées et de recettes publicitaires limitées bien qu'en croissance continue.
Le présent projet de budget s'attache, sur le programme 180 « presse et médias », doté de 294,3 millions d'euros dont 127,8 millions d'euros d'aides à la presse, à accompagner la presse dans sa mue, en consacrant davantage de moyens au soutien aux projets de modernisation tout en renforçant les aides aux titres les plus fragiles et les plus malmenés par une révolution numérique qu'ils ont peine à accompagner.
Dans un contexte de concentration des entreprises de presse, de paupérisation des rédactions où pigistes et stagiaires remplacent trop souvent les journalistes salariés comme c'est le cas, à titre d'illustration, de la rédaction de L'Obs, d'une crise de confiance à l'égard des médias et de concurrence des réseaux sociaux qui ne manque pas d'inquiéter, la presse représente un enjeu de société et de démocratie, qui dépasse le cadre d'un projet de loi de finances et nous oblige à la réflexion tout autant qu'à la responsabilisation.
D'un point de vue budgétaire, le Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), une première fois réformé en 2014, poursuit, avec le décret du 26 août 2016, son adaptation aux besoins des éditeurs : son champ d'application est étendu à davantage de titres et, surtout, le taux de subvention des projets est relevé à 40 % voire à 70 % pour les entreprises émergentes qui souhaitent innover. 27,4 millions d'euros y seront consacrés en 2017. Parallèlement, est créé, en application du même décret, un fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse, doté de 5 millions d'euros en 2017 pour subventionner des programmes d'incubation et des bourses pour les médias émergents.
Ces initiatives doivent évidemment être saluées, même si, en termes d'aides à la presse, un déséquilibre considérable demeure entre les montants dont bénéficie la presse imprimée et les aides destinées à la presse en ligne. À titre d'illustration, sur 108 millions d'euros d'aides directes distribués en 2015, 93 % ont été attribués au support papier. En 2017, avec le renforcement des aides à la modernisation, cette proportion tombera à 75 %, signe d'une lente mais nécessaire adaptation de notre arsenal budgétaire en faveur de la presse aux défis de demain.
S'agissant du soutien au pluralisme, qui, vous le savez mes chers collègues, me tient particulièrement à coeur, le présent projet de budget opère également un effort louable avec l'élargissement à l'ensemble des périodicités de l'aide au pluralisme de la presse périodique régionale et locale en application du décret du 26 août 2016 précité. 1,47 million d'euros y sont inscrits pour 2017, qui s'ajoutent, au bénéfice du pluralisme, au 1,4 million d'euros de l'aide aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d'information politique et générale à faibles ressources de petites annonces et, surtout, aux 13,2 millions d'euros de l'aide aux publications nationales d'information politique et générale à faibles ressources publicitaires déjà ambitieusement réformée l'an passé. Certes, les crédits consacrés à ces dispositifs semblent modestes en comparaison d'autres aides à la presse, mais ils n'en demeurent pas moins indispensables à la survie des titres concernés.
L'originalité du présent projet de loi de finances, pour ce qui concerne les aides à la presse inscrites au programme 180, s'arrête ici. Pour le reste, les enveloppes de l'an passé sont reconduites pour 2017, notamment pour ce qui concerne l'aide au portage (36 millions d'euros), dont la réforme ne cesse d'être annoncée sans jamais intervenir, et son appendice l'exonération des charges patronales pour les vendeurs-colporteurs et les porteurs de presse (16,9 millions d'euros). Il en va de même de l'aide à la distribution de la presse (18,8 millions d'euros au bénéfice de Presstalis) et de l'aide à la modernisation sociale de la presse quotidienne d'information politique et générale (1,6 million d'euros correspondant à l'accompagnement par l'État des plans sociaux intervenus par le passé dans les imprimeries). En revanche, l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse est portée à 6 millions d'euros, soit une augmentation de 2,3 millions d'euros. Sachant que le revenu moyen d'un marchand de journaux s'établit à 11 000 euros bruts par an et que le réseau enregistre la fermeture d'environ 1 000 points de vente par an, c'est peu de dire que le coup de pouce est utile.
Les kiosquiers bénéficieront également d'une augmentation de 0,7 point de leur commission, troisième étape de la revalorisation de leur rémunération décidée par le Conseil supérieur des messageries de presse le 1er juillet 2014. Je m'en réjouis, comme je me réjouis qu'enfin, après des années d'efforts et au prix d'une casse sociale considérable, la société Presstalis affiche des résultats moins inquiétants avec un résultat d'exploitation à 2,1 millions d'euros en 2015, qui pourrait atteindre 5,1 millions d'euros cette année, nonobstant des capitaux propres lourdement négatifs. Le soutien de l'État et des éditeurs, les économies drastiques opérées par la direction et les sacrifices des salariés, dont le nombre a été divisé par deux en dix ans, ont payé.
Mon optimisme est nettement plus mesuré quant à l'avenir des Messageries lyonnaises de presse, victimes d'un changement brutal de gouvernance le 21 juin dernier et depuis soumises à la pression commerciale d'éditeurs souhaitant rejoindre Presstalis. Les engagements pris par la précédente direction en matière de mutualisation logistique avec Presstalis sont même remis en cause, au point que des voix s'élèvent pour que, dans ce contexte, la question de la fusion des deux messageries soit à nouveau examinée. Pour ma part, j'y suis plutôt favorable, dès lors que les inévitables conséquences sociales sont raisonnablement compensées et accompagnées. En tout état de cause, les négociations relatives aux barèmes, en cours dans chacune des messageries et avec les autorités de régulation, devront être l'occasion, pour chacun, de se responsabiliser et de donner aux messageries les moyens de fonctionner convenablement.
J'aborderai enfin l'épineux dossier de l'Agence France-Presse, doté, au titre du programme 180, de 132,5 millions d'euros, soit 5 millions supplémentaires, correspondant à 110,8 millions d'euros de compensation pour charges de service public et à 21,7 millions d'euros d'abonnements destinés aux administrations.
Je suis particulièrement inquiet à la lecture des chiffres qui m'ont été transmis - le résultat net, négatif pour la troisième année consécutive, s'établit à - 4,9 millions d'euros en 2015, le chiffre d'affaires commercial se rétracte et la dette consolidée atteint 71,5 millions d'euros -, comme de la teneur des auditions menées sur ce dossier, où transpiraient les tensions sociales et les inquiétudes pour l'avenir de l'Agence. En effet, dans un contexte de concurrence internationale exacerbée, à l'heure où un risque supérieur à 10 millions d'euros plane sur l'AFP au titre de la régularisation juridico-fiscale de ses personnels à l'étranger et où, dès 2018, des échéances de prêts pèseront un peu plus sur les comptes de l'Agence, comment croire qu'une spécialisation en « sport », domaine peu rentable pour n'importe quel média, puisse « sauver » l'Agence » ? J'en doute moi-même beaucoup et j'appelle de mes voeux un sursaut de réalisme de la part de la direction et un soutien renforcé de l'État.
Les difficultés rencontrées par la presse en matière de pluralisme, d'indépendance et de liberté, méritent plus qu'un effort budgétaire, certes louable, mais une ambitieuse réforme des aides allouées au secteur. Compte tenu de ces observations, je vous propose, mes chers collègues, de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la presse au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».