Intervention de Alain Grandjean

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 23 novembre 2016 à 9h05
Audition de Mm. Alain Grandjean et gérard mestrallet sur les conclusions du rapport sur le prix du carbone remis à Mme La Ministre de l'environnement de l'énergie et de la mer chargée des relations internationales sur le climat

Alain Grandjean, économiste :

Avant la COP21, le Président de la République nous avait demandé, à M. Canfin et moi-même, de rédiger un rapport sur les financements pour le climat. Nous y avions abordé plusieurs grands sujets, dont les aides potentielles du Nord au Sud ou l'évolution de la finance dans le sens d'un soutien aux activités favorisant la transition vers le bas carbone. Nous avions notamment suggéré la mise en place d'un corridor de prix du carbone. Avec M. Mestrallet, M. Canfin et moi-même, nous avons décomposé cette idée très globale, à la demande de Mme Royal, ministre et présidente de la COP21.

Le changement climatique ne fait plus débat chez les scientifiques. Quant aux économistes, ils s'accordent désormais sur l'idée que l'on n'ira pas vers le bas carbone sans incitation. On dispose, pour cela, d'une unité de mesure simple, à laquelle les émissions de gaz polluants peuvent être ramenées : la quantité de gaz à effet de serre, en tonnes de CO2, émise par les activités. Il est simple de sanctionner les émissions selon le principe du pollueur payeur, soit par la fiscalité, soit par un marché de quotas de CO2, soit par l'édiction de normes et standards - un moyen dont l'Union européenne sait fort bien user : le bâtiment doit être peu émissif ou peu énergivore, les voitures de plus en plus sobres et de moins en moins émettrices de gaz à effet de serre.

Il revient aux politiques publiques d'organiser ce système en fonction des secteurs d'activité. Il n'est pas possible, cependant, d'instaurer une taxe internationale sur le carbone. Dans un monde qui reste westphalien, les grandes instances onusiennes que sont la COP21 et la COP22 ne peuvent traiter d'enjeux fiscaux ou parafiscaux, qui sont du ressort des États-nations souverains.

Les réflexions sont de nature différente selon que l'on se place à l'échelon national, européen ou mondial. À l'échelon mondial, nous avons proposé la création d'une commission internationale, présidée par Nicholas Stern et Joseph Stiglitz, destinée à positionner les valeurs sociales du carbone. En France, en 2009, une commission présidée par Alain Quinet, inspecteur des finances, avait ouvert la voie, en recherchant quel niveau de prix du carbone serait propre à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une trajectoire de prix, définie après de nombreux mois de travail, a servi de référence lors des discussions sur la contribution climat-énergie.

S'il y a consensus sur la nécessité d'établir des ordres de grandeur mondiaux, tel n'est pas le cas sur l'échelon auquel fixer un prix. Doit-il être mondial, régional, national ? Actuellement, le signal-prix est varié : en Suède, il dépasse 100 euros par tonne de CO2 ; en France, il est à 20 euros ; dans d'autres pays, il est à 5 euros, tout comme celui du marché de quotas européen. Et les économistes ne sont pas d'accord sur le niveau de prix. D'où l'idée de charger une commission internationale de définir un corridor de prix, en concertation avec les grandes économies concernées.

Pour établir des fourchettes de prix, il faut aussi prévoir des niveaux de croissance afin d'éviter de provoquer un choc économique trop fort. En effet, une taxe carbone ou un quota de CO2 produisent de gros effets de déformation de l'économie. La bonne méthode consiste à débuter par un prix raisonnable que l'on fait croître, de sorte que les acteurs économiques puissent prévoir une trajectoire.

À l'échelon européen, nous avons formulé des propositions d'amélioration du système de quotas de CO2. Notre but est que les émissions soient intégrées dans le système de quotas. Le prix, très bas, donne de mauvaises indications aux acteurs économiques. Aujourd'hui, la préférence va au charbon plutôt qu'au gaz, alors qu'il émet bien plus de CO2 et qu'il constitue le premier levier sur lequel agir pour réduire les émissions : le charbon est de fait responsable de 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit 15 milliards de tonnes de CO2.

À l'échelon national, nous proposons une solution à l'anglaise, qui consiste à compléter, par une taxe, le prix du CO2 délivré par le marché de quotas européen s'il est trop bas, afin que le prix payé soit suffisant pour orienter les choix nationaux vers des équipements industriels de production d'électricité moins carbonés. Fallait-il établir une taxe sur le gaz et le charbon, sur le charbon seul ou un dispositif administratif propre à acheminer vers la fermeture des centrales au charbon ? Telles sont les options sur lesquelles nous avons apporté un éclairage, avant d'apprendre que la solution retenue, celle d'un prix plancher, ne serait finalement pas retenue dans le projet de loi de finances pour 2017.

Mon avis est simple : la transition est une affaire de transition. Systémique, globale, elle concerne l'ensemble de la vie économique et chacun de nous, en tant que consommateur, citoyen, industriel. On ne peut pas séparer le climat du social, de l'industrie, de l'économie.

Il est évident que la fermeture des centrales à charbon déplaît au millier de personnes concernée et que les représentants, parlementaires et élus locaux, ont leur mot à dire. Pour avoir été industriel, je sais ce qu'est un plan social. Il est clair qu'il faut organiser la concertation, dans les territoires. Chacun sait, alors qu'EDF est engagé dans le programme grand carénage, que des emplois seront créés dans le secteur énergétique, mais chacun sait aussi que cela ne se fera pas d'un claquement de doigt. On peut donc comprendre que les organisations syndicales soient mobilisées. Il ne suffit pas de lancer un prix du carbone, comme un yoyo, dans l'économie. Car étant fait pour induire une transformation de l'économie, il a inévitablement des conséquences sociales, qu'il faut intégrer.

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