Merci de votre invitation. Contre toutes les prédictions, l'économiste spécialiste du climat, le représentant des ONG et celui des industries énergétiques que nous sommes respectivement, MM. Grandjean, Canfin et moi-même, nous nous sommes mis d'accord sur tout.
Je commencerai par la bonne nouvelle de ce matin pour le climat. Alors que planait sur Marrakech la menace d'une remise en cause de l'accord de Paris, juste après son entrée en vigueur, par le nouveau président des États-Unis, quelque 400 entreprises américaines lui ont écrit pour soutenir la transition. M. Trump a changé d'avis.
En 2009, les États-Unis et la Chine avaient torpillé le sommet de Copenhague, où les entreprises étaient en retrait - à l'époque, elles considéraient le climat comme une contrainte. Aujourd'hui, le monde des entreprises - et même de la finance - est plutôt en avance sur les États, ayant pris conscience de la réalité climatique et du fait que les enjeux du climat sont aussi économiques. De fait, une catastrophe climatique serait aussi une catastrophe économique.
En amont de la COP21, le Gouvernement a organisé un business dialogue, que j'ai été chargé d'animer, entre une quarantaine de représentants d'entreprises nationales et mondiales et une quarantaine de négociateurs. Cela a créé un aller-retour entre l'évolution des négociations et les souhaits des entreprises. Le sujet du prix du carbone ne faisait pas partie du mandat, mais nous l'avons défendu et il est mentionné dans l'accord.
C'est presque un paradoxe : les entreprises sont prêtes à payer. Le réchauffement climatique est dû à un excès de CO2 dans l'atmosphère. Il faut donc en réduire les émissions en dissuadant financièrement les acteurs économiques qui en sont responsables. Or les entreprises se veulent des acteurs économiques rationnels. Pour intégrer le climat dans leurs calculs économiques, elles ont besoin de chiffres. Quand on a le choix entre une machine moins chère qui émet plus de CO2 et une machine plus chère qui en émet moins, sans prix du CO2, on est logiquement incité à prendre la machine moins chère. Pour introduire dans les calculs d'investissement les émissions de CO2, il faut donc fixer un prix du carbone. Les entreprises veulent pouvoir prévoir, rationnellement.
Après la signature du protocole de Kyoto, en 1997, l'Europe a décidé de créer le système européen d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, dit ETS, fixant le prix du carbone. Le problème fondamental de ce système est qu'il délivre un prix de 5 ou 6 euros par tonne de CO2, ce qui est totalement insuffisant pour inciter les investisseurs et les acteurs économiques à se diriger vers le bas carbone. En Europe, actuellement, il est plus rentable de produire de l'électricité à partir du charbon que du gaz, pourtant deux fois moins polluant. Résultat, un certain nombre de centrales à gaz ont été fermées par défaut de rentabilité, tandis qu'en Europe continentale, des centrales à charbon, rentables, continuent à fonctionner. En Europe continentale seulement car le Royaume-Uni a, pour sa part, institué son propre prix du carbone - environ 26 livres sterling -, pour un résultat spectaculaire : la part du charbon dans la production électrique britannique est passée de 60 % à 8 % en quelques années. Même si l'on y est moins incité en France, Engie a elle-même fermé une centrale de 1 000 mégawatts. En Australie, elle en a fermé une autre, de 1 600 mégawatts. C'est le sens de l'histoire.
Les entreprises souhaitent la fixation d'un prix du carbone, de préférence élevé. Le groupe Magritte, que j'ai contribué à constituer en 2013 et qui rassemble les douze plus grandes entreprises européennes d'énergie, dont E.on, RWE, Iberdrola, Enel et Engie, avait formulé la proposition ambitieuse de restaurer le marché européen du carbone, dont le signal prix reste beaucoup trop bas. Hier, nous nous sommes rendus à Strasbourg pour rencontrer M. Canete, le commissaire à l'énergie, et M. Sefcovic, le vice-président de la Commission européenne, avant une audition au Parlement européen. Ce groupe, qui rassemble les plus gros émetteurs de CO2, mais aussi les leaders mondiaux des énergies renouvelables, dénonce la contradiction entre un prix du carbone à 5 ou 6 euros et l'objectif de l'accord de Paris de réduction de 40 % des émissions de CO2 à l'horizon 2030 et 80 % à l'horizon 2050, , en application depuis le 4 novembre. Le prix du CO2 doit remonter.
Nous préconisons un corridor de prix entre 20 et 30 euros pour 2020, montant progressivement à 50 euros minimum en 2030. Ce corridor, avec un minimum et un maximum, donne aux entreprises qui investissent la visibilité dont elles ont besoin. Notre proposition ne sera pas intégrée dans le Winter Package qui sera publié dans les semaines qui viennent, en raison des réticences de certains pays, comme la Pologne ou la Hongrie et des interrogations de l'Allemagne.
À l'échelle mondiale, le système de prix du carbone doit être étendu. Actuellement, il ne recouvre que 13 % des émissions mondiales, principalement en Europe, dont le système est insuffisant. La Chine, phénomène nouveau, compte sept marchés locaux du carbone, dans ses sept plus grandes villes. Ce pays, qui est le plus gros pollueur et qui a longtemps freiné le mouvement - on se souvient du torpillage du sommet de Copenhague -est en train de changer de braquet. En tant que conseiller international des maires des trois plus grandes villes chinoises, Pékin, Shanghai et Chongqing, je constate que ce système fonctionne. Au 1er janvier 2017, les sept marchés seront interconnectés en un seul, qui sera le plus grand marché de carbone du monde. Le Canada, qui était en pointe, a aussi décidé d'unifier ses marchés. Aux États-Unis, on peut citer la Californie ainsi que quelques États de Nouvelle Angleterre. Le Chili a aussi un marché.
La Carbon Pricing Leadership Coalition souhaite que ces 13 % passent à 25 % en 2020 et 50 % en 2030. La moitié des émissions seraient couvertes par un prix du carbone. Ce prix ne sera pas le même partout - ce n'est pas possible.
Les entreprises, mais aussi les financiers, ont la conviction que le prix du carbone est un levier essentiel de la transition vers une économie bas carbone. Lors du Climate Finance Day, organisé avant la COP21 par Paris Europlace, et qui a rassemblé plus de mille participants, des banques se sont engagées à décarboner leurs portefeuilles, c'est-à-dire à cesser de financer de nouvelles centrales à charbon. Le rôle des financiers est très important puisque ce sont en partie les propriétaires de nos entreprises.