Intervention de Alain Grandjean

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 23 novembre 2016 à 9h05
Audition de Mm. Alain Grandjean et gérard mestrallet sur les conclusions du rapport sur le prix du carbone remis à Mme La Ministre de l'environnement de l'énergie et de la mer chargée des relations internationales sur le climat

Alain Grandjean, économiste :

L'Agence internationale de l'énergie et le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) ont travaillé à des trajectoires compatibles avec l'accord de Paris. Dans tous les scénarios, la part de l'électricité dans le mix énergétique augmente, parce que d'un pays à l'autre, le poids en carbone d'un kilowatt / heure peut varier dans des proportions considérables. Grâce à l'inventivité de nos énergéticiens, on peut produire une électricité à contenu en CO2 très réduit. C'est beaucoup moins le cas des autres vecteurs énergétiques, comme le pétrole : on peut certes produire du biofuel, mais mieux vaut réserver la biomasse à l'agriculture et au stockage du carbone - une exigence pour parvenir à la neutralité carbone. Or, une terre désertifiée ne stockera plus le carbone, et c'est bien pourquoi il faut la préserver. En outre, comme il est extrêmement difficile de faire voler des avions à l'électricité, l'aérien serait prioritaire pour le biofuel.

Dans le secteur des transports, la voie est celle d'un mix entre la voiture électrique, l'hybride rechargeable et la motorisation traditionnelle, avec une plus basse consommation. Il faut que les États et les régulateurs exercent une forte pression à la baisse des émissions de gaz à effet de serre pour favoriser toutes les technologies que je viens de citer.

Le charbon représente 30 % des émissions globales, 15 milliards de tonnes de CO2 et beaucoup d'emplois - environ 1,5 million en Chine. Sans signal économique qui évite les distorsions de concurrence, le dossier avancera très lentement. Or, si l'on se contente des accords existants, la trajectoire est celle d'un réchauffement de 3 à 4 degrés. Il faut aller plus vite. On ne peut pas perdre cinq ans de plus en atermoiements.

Je maintiens, monsieur Nègre, que l'ONU n'a pas mandat sur les questions fiscales. Certes, on a été capable de signer de grands accords internationaux. Au rebours de celui de Chicago, que vous avez rappelé, on a su signer celui de Montréal, sur les CFC, ou celui, plus récent, sur les HCFC. Je ne désespère pas d'un accord mondial, mais de manière pragmatique, ne l'attendons pas et progressons région par région.

Le capitalisme fonctionne sous le régime de la « destruction créatrice ». Nous sommes en train d'en vivre une. Soit on construit de grandes lignes Maginot, soit on va de l'avant. Les acteurs étatiques et les entreprises doivent se coaliser pour accompagner les gagnants comme les perdants de manière acceptable humainement et économiquement. Les combats d'arrière-garde, à l'image de celui que l'on a mené, naguère, pour Charbonnages de France, ne nous feront pas gagner la partie. De très gros acteurs internationaux ont déjà pris le sens du vent, et vont nous faire une concurrence redoutable.

Le charbon n'est pas seul à émettre des gaz à effet de serre : le pétrole et le gaz en émettent aussi. Dans une trajectoire 2050-2070-2080, leur part relative dans l'économie mondiale sera réduite - très progressivement en raison de l'existence d'investissements de très long terme. Le charbon est prioritaire car il est le plus polluant et peut être remplacé le plus facilement. Le pétrole, moins polluant, est extrêmement difficile à remplacer, notamment en pétrochimie. Le gaz, enfin, est le moins polluant.

Gardons-nous des effets de lock-in et de stranded assets, ou actifs échoués. En continuant à investir dans de gros équipements qui ne seront plus rentables car sous-utilisés, on créera des problèmes économiques. La transition consiste à faire naître de nouveaux instruments tout en réduisant fortement les nouveaux investissements dans le secteur des énergies fossiles, et en assurant la flexibilité du système pour éviter des coûts économiques et sociaux de désengagement extrêmement élevés.

Il faut réhabiliter l'idée d'une vision partagée à moyen et long terme.

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