Les crédits de la mission budgétaire « Solidarité, insertion et égalité des chances » s'élèvent dans le projet de loi de finances pour 2017 à près de 18 milliards d'euros. Cette mission comprend quatre programmes.
Le programme 157 « Handicap et dépendance » concentre près de 11 milliards d'euros et finance essentiellement l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Vient ensuite le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » qui s'élève à plus de 5,7 milliards d'euros et qui a, cette année, subi une modification importante entraînée par l'instauration de la prime d'activité. Je reviendrai en détail sur les contours et les objectifs de ce nouveau dispositif qui fait l'objet d'une analyse plus poussée dans mon rapport. Le programme 124 rassemble, pour un peu plus de 1,5 milliard d'euros, divers crédits de support qui viennent en soutien de politiques sanitaires et sociales. Enfin, le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes », s'il ne représente qu'un peu moins de 30 millions d'euros, n'est pas celui dont l'action est la moins importante car il valorise autant les initiatives menées dans le monde professionnel pour une plus grande égalité des sexes, que les mesures de prévention et de lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains.
Ainsi, 92 % des crédits de la mission sont consacrés à deux programmes visant, pour l'un, nos concitoyens frappés de handicap et, pour l'autre, nos concitoyens menacés d'exclusion sociale.
Par rapport à la loi de finances initiale pour 2016, la mission « Solidarité » enregistre une baisse d'environ 500 millions d'euros de ses crédits. Une baisse cependant essentiellement faciale dans la mesure où elle découle de transferts importants de dépenses de l'État au budget de l'assurance maladie. Les deux principaux transferts en question sont la gestion des établissements et services d'aide par le travail (Esat) pour plus de 2,5 milliards d'euros et la dotation nationale aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), pour environ 60 millions d'euros.
Cette dernière mesure n'est pas des plus lisibles et a légitimement provoqué l'inquiétude de plusieurs acteurs de terrain, surpris de voir une dotation jusqu'ici clairement identifiée au sein de la mission budgétaire, transférée sans garantie de maintien à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Malgré cela, ce transfert a tout de même le mérite de donner plus de cohérence au financement de la politique du handicap, désormais intégralement assuré par l'assurance maladie.
Ainsi, en tenant compte de ces transferts, la baisse faciale de 500 millions d'euros se traduit en fait par une hausse de 2 milliards d'euros pour 2017 par rapport à 2016. Sur ces 2 milliards, 300 millions viennent en appui de la nouvelle prime d'activité dont le succès dépasse les pronostics initiaux et 1,7 milliard d'euros renforcent la dotation de l'AAH.
Les crédits de la mission pour 2017, en affichant une progression aussi importante, révèlent ainsi des besoins particulièrement croissants de nos concitoyens les plus en difficulté.
Le dépôt, mercredi dernier, du projet de loi de finances rectificative pour 2016 conforte mon jugement sur ce point. La mission « Solidarité » arrive cette année en troisième position des missions pour lesquelles l'État demande des ouvertures de crédits supplémentaires.
Ces crédits demandés s'élèvent à près de 800 millions d'euros dont 430 millions abonderont le programme « Handicap » - autrement dit l'AAH - et 370 millions, le programme « Inclusion sociale » - autrement dit la prime d'activité. Si l'on retranche ces 800 millions d'euros de la hausse observée de 2 milliards sur l'étendue de l'exercice, on conclut à une hausse nette, pour 2017, de 1,2 milliard d'euros des crédits de la mission.
Ces deux prestations ont donc connu, durant l'exercice 2016, un recours particulièrement dynamique qui a contraint le Gouvernement a fortement réajuster à la hausse le montant des crédits qui leur sont alloués.
Le cas de l'AAH est le plus manifeste. Le chiffre de la budgétisation pour 2017 (10,5 milliards d'euros) est sensiblement plus élevé que celui de l'exécution 2016 (9,3 milliards d'euros) et concentre l'essentiel de la hausse prévue pour la mission pour 2017. Ces chiffres sont la conséquence directe des mesures prises par le Gouvernement pour faciliter et élargir l'accès à cette prestation.
Je pense notamment à la possibilité pour les bénéficiaires de l'AAH1 d'augmenter de 10 ans leur durée d'éligibilité à l'aide, mais surtout à la possibilité qu'ont les salariés de cumuler l'AAH et leur revenu d'activité, nécessairement plus coûteuse du fait de la revalorisation du Smic. Pour bénéfiques qu'elles aient été auprès des publics concernés, force est de constater que ces mesures sont aujourd'hui particulièrement coûteuses et contraignent le Gouvernement à flécher, sur le programme 157, l'essentiel de l'effort budgétaire supplémentaire demandé. On peut à ce stade remarquer qu'au prix d'une meilleure anticipation de l'impact de ces mesures, le Gouvernement aurait pu s'épargner une telle augmentation des crédits de ce programme, qui ne manque pas d'étonner dans une période budgétaire tendue.
Le cas de la prime d'activité est différent. Initialement budgétée à un peu plus de 5 milliards d'euros, avec une hypothèse d'un taux de recours à 50 %, elle s'est trouvée en quelque sorte victime de son succès et a nécessité que le Gouvernement nous demande en urgence un financement supplémentaire de 370 millions d'euros. C'est certes indispensable. Mais, contrairement à l'AAH, cela rapproche le niveau de l'exécution 2016 du niveau de budgétisation pour 2017. Et contrairement à l'AAH, qui est une prestation ancienne dont le recours peut être aisément projeté, la prime d'activité est un dispositif tout neuf dont le succès n'avait été prévu par personne et qu'on peine encore à estimer.
À la fin 2016, 5,4 milliards d'euros y auront donc été consacrés, alors qu'on en prévoit « seulement » 5,7 milliards pour 2017. J'exprimerai à cet égard une inquiétude. Je ne peux que constater un décalage préoccupant entre les facilités offertes par le Gouvernement pour l'accès à cette prime - ouverte dès l'âge de 18 ans, accessible en quelques minutes grâce à une dématérialisation totale, dépouillée de tous les effets stigmatisants qu'avait le RSA activité, cumulable depuis la loi Travail avec l'AAH - et l'apparente modestie des moyens qui lui sont consacrés dans le PLF pour 2017. Tous les acteurs que j'ai pu rencontrer durant mes auditions préconisaient une rallonge nécessaire, en fin d'année 2016, d'au moins un milliard d'euros pour faire face au recours croissant de la prime. Le Gouvernement estime qu'un tiers seulement de cette somme suffira. J'émets, pour ma part, de très sérieux doutes sur la capacité des crédits 2017 à absorber les demandes de tous les éligibles.
La prime d'activité constitue une indéniable avancée en comparaison des dispositifs auxquels elle se substitue. Pour réjouissante que cette nouvelle soit, elle doit être financièrement assumée et intégrée dans le dernier budget du quinquennat pour des montants conformes à la réalité. En effet, le sérieux budgétaire, qui aurait normalement exigé que soit davantage respecté l'impératif de maîtrise des dépenses, se doit néanmoins d'anticiper les besoins futurs avec fidélité.
De façon générale, j'observe que l'inflation importante subie par les crédits de la mission « Solidarité » est essentiellement due à l'ouverture de nouveaux dispositifs dont tout porte à penser, en cette période électorale, qu'elle n'a été ni suffisamment anticipée, ni correctement contrôlée.
Je terminerai par un motif de satisfaction, que je ne pouvais passer sous silence : les crédits du programme « Égalité entre les hommes et les femmes » connaissent une augmentation de 8 %, pour atteindre quasiment les 30 millions d'euros.
Après ce tour d'horizon très général des crédits de la mission, je souhaiterais, avant de conclure, évoquer plus précisément le dispositif de la prime d'activité, sur lequel j'ai cette année porté mon attention. J'ai eu l'occasion de mener une série d'auditions variées, auxquelles certains d'entre vous ont participé et de rencontrer des économistes, des responsables administratifs et des acteurs associatifs. Leur regard sur la prime d'activité confirme, pour une large part, l'accueil favorable qui est fait à cette nouvelle prestation mais nombreux sont ceux à m'avoir averti que cette approbation risquait de reposer partiellement sur un malentendu. Les réjouissances qui entourent la création de la prime d'activité pourraient davantage être liées à la communication gouvernementale réussie qui l'a entourée, plutôt qu'à de véritables vertus intrinsèques qui inciteraient à la reprise d'un emploi.
Je viens d'évoquer le succès rencontré par cette prestation qui se substitue au RSA activité et à la prime pour l'emploi (PPE), succès dont il y a tout lieu de se réjouir, même si on peut en déplorer l'impréparation.
Alors que le RSA activité n'était demandé que par 30 % des personnes qui y étaient éligibles, les dernières estimations de la direction du Budget donnent un recours anticipé de la prime d'activité à environ 65 %.
Par ailleurs, la prime d'activité constitue pour les travailleurs pauvres, à n'en point douter, un outil efficace de lutte contre la pauvreté. Davantage ciblée que la PPE, elle permet d'élever pour un montant moyen mensuel de 160 euros les revenus compris entre 0,3 et 0,8 Smic.
Construite sur la même logique que les prestations de solidarité, elle est un dispositif dont la composante principale est familialisée, ce qui signifie que les montants versés sont en proportion plus importants pour les personnes seules que pour les personnes vivant en couple. Elle tente néanmoins d'éviter l'écueil de la désincitation au travail du conjoint en introduisant une dimension individualisée de la prestation : le bonus individuel mensuel pouvant aller jusqu'à 70 euros par mois.
La prime d'activité présente donc une innovation intéressante apportée à la lutte contre la pauvreté, qui s'inspire en partie de la réflexion récente menée sur la rationalisation des minima sociaux et qui doit être croisée avec les conclusions de la mission d'information sénatoriale sur le revenu de base, présidée par M. Vanlerenberghe et rapportée par M. Percheron.
Mon opinion est que la prime d'activité n'est cependant pas allée suffisamment loin dans la réforme et qu'un immense chantier s'ouvre encore devant nous en la matière. Je suis d'avis, pour ma part, qu'en matière de solidarité, si l'on veut aller au-delà de la simple logique compassionnelle, et véritablement donner aux personnes en situation de précarité les moyens de s'en sortir, il nous faut dépasser la familialisation des prestations sociales et aller vers plus d'individualisation. Pour être plus clair : rationaliser les aides, mieux cibler les éligibles, individualiser le versement.
Il va de soi qu'une telle opinion entraînerait une redéfinition profonde des minima sociaux dans leur globalité et concernerait, au premier rang d'entre eux, le revenu de solidarité active. Je ne désire pas rallumer un débat qui ne rentre pas stricto sensu dans les contours de la mission dont j'assure le rapport, mais je regrette que les négociations menées entre l'ADF et le Gouvernement n'aient pas abouti à un accord qui aurait pu aider au soulagement des finances départementales dont on sait qu'elles sont accablées par le fardeau du RSA. Au moins peut-on espérer, dans les années à venir, qu'une prestation redéfinie, mieux ciblée et individualisée, pèsera moins sur les budgets de ceux qui sont chargés de son versement.
Pour conclure sur la prime d'activité, j'émettrai un dernier bémol qui porte moins sur les modalités de sa construction que sur la communication gouvernementale qui l'a accompagnée. Cette prime se revendique de la grande et extensible famille des dispositifs visant l'incitation financière au retour à l'emploi. Mes chers collègues, je veux l'affirmer devant vous, toutes les études et toutes les auditions que j'ai menées ont pu me le confirmer : l'incitation financière au retour à l'emploi ne s'est jusqu'ici traduite que par des échecs.
Autant il me paraît souhaitable de permettre aux travailleurs pauvres de cumuler leur revenu d'activité avec différentes aides, autant il est fallacieux de faire croire à la population que ce cumul contribuera à la résorption du chômage. Le seul outil véritablement efficace en la matière est simple : la création d'emplois et le soutien à ceux qui sont à leur origine. Sans emplois proposés, vous aurez beau inciter les bénéficiaires de minima sociaux, il leur sera bien impossible de se réinsérer sur le marché du travail. C'est donc prendre le problème dans le mauvais sens que de penser que la prime d'activité servira la diminution du nombre des demandeurs d'emplois.
Sur ces considérations, et malgré les réserves que l'on peut légitimement formuler sur l'augmentation notable des crédits de la mission, je recommande, en cohérence avec l'avis émis par la commission des finances, que notre commission donne un avis favorable à l'adoption de ces crédits.