Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 novembre 2016 à 9h05
Loi de finances pour 2017 — Audition du général richard lizurey directeur général de la gendarmerie nationale

Photo de Jean-Pierre RaffarinJean-Pierre Raffarin, président :

J'accueille à présent le Général Richard Lizurey, directeur général de la Gendarmerie nationale. Mon Général, notre procédure nous oblige à examiner les rapports législatifs en première partie de matinée et nous avons ainsi délibéré, au sein de notre commission, avant de vous entendre. L'avis de la commission est globalement plutôt défavorable, mais chacun pourra s'exprimer. Vos propos nous sont fort utiles une fois dans ce contexte où nos deux rapporteurs ont exprimé leurs avis divergents. Notre commission a en effet bien noté les évolutions tendancielles et les problèmes ponctuels de la Gendarmerie qui nous donnent un sentiment mitigé. Mon Général, je vous laisse la parole avant que ne s'engage un débat avec les membres de notre commission.

Général Richard Lizurey, directeur général de la Gendarmerie nationale. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis ravi de m'exprimer devant vous alors que j'ai pris mes fonctions à la tête de la gendarmerie nationale le 1er septembre dernier. Dans un contexte sécuritaire où émergent continuellement de nouveaux défis, cette audition m'offre l'opportunité de dresser un bilan du chemin parcouru et de vous présenter les grandes orientations que je retiens pour 2017 au regard des moyens budgétaires qui sont alloués à la gendarmerie par le projet de loi budgétaire.

Il me paraît en effet essentiel d'échanger sur la dynamique engagée. En effet, la gendarmerie est aujourd'hui en mouvement. Les événements sont nombreux, qu'ils soient programmés ou relatifs à la menace terroriste, et impliquent la disponibilité du gendarme. Il lui faut ainsi être dans l'action et disposer des équipements nécessaires pour assumer les missions qui lui sont confiées. La menace terroriste impacte de plus en plus notre activité et nous oblige à revoir nos modes d'action et de raisonnement. C'est donc là une opportunité d'évoluer, de manière concertée et coopérative, avec l'ensemble des autres partenaires de la sécurité intérieure.

J'en viens à présent aux différentes menaces et aux évolutions auxquelles il nous faut faire face. L'année 2016 a été exceptionnelle à maints égards. Au niveau opérationnel d'une part, cette année a été marquée par le renforcement des effectifs, à hauteur de 2 188 ETP, induit par la mise en oeuvre du plan de lutte anti-terroriste (PLAT), du plan de lutte contre l'immigration clandestine (PLIC) et du pacte de sécurité (PDS). Une telle démarche est assez exceptionnelle dans le contexte actuel. Ces nouveaux effectifs nous ont permis de renforcer nos moyens d'intervention et les unités territoriales. Un escadron de gendarmerie mobile a ainsi été créé à Rosny-sous-Bois et vingt-deux escadrons ont été dotés d'un cinquième peloton, afin d'assumer les missions sur le terrain qui sont en nombre croissant, avec 230 jours de déplacement annuel par unité. Au total, trois antennes du GIGN ont été créées en métropole auxquelles se sont ajoutées trois antennes résultant de la transformation de trois PI2G. En outre, une septième antenne du GIGN a été créée à Mayotte dont la situation est problématique, en raison de l'immigration massive et permanente et des tensions sociales explosives qui s'y font jour. Ce département est ma première préoccupation en Outremer. Nous avons également renforcé, à hauteur de 183 ETP, des unités territoriales situées dans les zones frontières et sur les axes de circulation dans le cadre du contrôle des flux. Notre ambition est ainsi d'être présent sur les axes de communication, afin d'y mettre en place des dispositifs de lutte contre le terrorisme, la délinquance et, résiduellement, de police de la route. Il s'agit d'y surveiller les mouvements de terroristes et de délinquants, afin de recueillir de précieux renseignements.

Ces évolutions de structures ont induit celles des méthodes de travail et de la coopération entre les forces de sécurité intérieure. Sous l'égide du Ministre de l'intérieur, nous avons mis en place le schéma national d'intervention qui marque une évolution culturelle importante. Jusqu'à présent, chaque force disposait de sa propre dynamique en matière d'intervention spécialisée de haut niveau, comme le GIGN pour la Gendarmerie et le RAID pour la Police nationale, ainsi que la BRI pour la Préfecture de police de Paris. Désormais, en cas d'alerte attentat, dans le cadre du plan d'alerte d'urgence, la force la plus proche de la zone concernée interviendra la première. La proximité l'emporte ainsi. Ce nouveau dispositif a d'ailleurs été mis en oeuvre à Saint-Etienne-du-Rouvray et, plus récemment, à l'occasion de l'alerte donnée dans le quartier des Halles à Paris. Ce schéma d'intervention représente ainsi une avancée majeure en termes de méthodologie et de coopération inter-forces.

La loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 a permis de nous doter de nouvelles compétences pour conduire des manoeuvres en parfaite intelligence avec la Police nationale, au sein du service central de renseignement territorial et, pour les menaces les plus avérées, avec la Direction générale de la sécurité intérieure. Dans ce domaine également, le décloisonnement des informations a bien évolué. Les nouveaux moyens matériels conférés par les différents plans nous ont permis d'organiser la protection balistique de nos personnels, y compris ceux des brigades territoriales. Notre dispositif de formation a également été rationalisé à l'occasion de l'incorporation exceptionnelle de quelque quatorze mille nouveaux personnels, qu'il s'agisse des gendarmes-adjoints volontaires et des sous-officiers ou encore du renouvellement des départs en retraite ou encore des effectifs supplémentaires. A cette occasion, nous avons diminué de trois mois le présentiel en école pour les anciens gendarmes-adjoints volontaires. Nous avons créé à Dijon, dans une ancienne base aérienne que la Gendarmerie a racheté pour quinze millions d'euros au Ministère de la Défense, une école supplémentaire qui fonctionne depuis le 18 octobre dernier et qui a vocation à terme à intégrer jusqu'à six compagnies d'élèves-gendarmes. Je tiens à cet égard à saluer la coopération avec l'Armée de l'air dans cette opération.

Le budget 2017 va nous permettre de poursuivre la dynamique enclenchée et de réfléchir à de nouvelles pistes en matière notamment de maillage territorial. Des postes budgétaires ont été créés pour lutter contre le terrorisme et la délinquance. 255 nouveaux postes ont ainsi vocation à renforcer les unités territoriales et les antennes du renseignement territorial qui y ont été instituées depuis ces deux dernières années. Les personnels affectés à ces antennes répondent fonctionnellement aux directions départementales du renseignement territorial tout en étant intégrés au dispositif de la Gendarmerie. En 2017, vingt-cinq antennes supplémentaires, parmi lesquelles neuf seront placées dans les aéroports et les aérodromes en métropole, devraient être créées sur l'ensemble du territoire. Les unités territoriales devraient être renforcées par deux cents renforts dont la nécessité est avérée, suite à l'entrée en vigueur de la directive européenne sur le temps de travail. En outre, 144 ETP devraient être intégrés dans les pelotons de surveillance et de protection de la Gendarmerie. Bien que ces effectifs, qui renforcent la sécurité des centrales nucléaires, soient payés intégralement par l'Opérateur EDF, ils apparaissent dans notre schéma d'emplois et résultent uniquement de l'adaptation de nos forces au nouveau temps de travail induit par l'entrée en vigueur de la directive.

L'année 2017 devrait également être marquée par la montée en puissance de la réserve de la Gendarmerie, dont le commandement vient d'être créé le 1er novembre dernier. Celui-ci a vocation à poursuivre l'action conduite par les 25 800 réservistes opérationnels d'aujourd'hui et par les 1 300 réservistes citoyens. La réserve, qui est une composante indispensable du service public que nous délivrons à nos concitoyens, est totalement intégrée à notre dispositif. Il me paraît essentiel d'augmenter la présence sur le terrain des réservistes, qui sont déjà au nombre quotidien de 1 600, afin d'apporter plus encore de service public de sécurité à nos concitoyens. La réserve de la Gendarmerie a vocation à être gérée à plusieurs niveaux : départemental, avec des cellules réserve qui seront officiellement créées, mais aussi régional et national. La création de la Garde nationale, qui labellise les réserves existantes, repose sur deux piliers : celui de la Défense, avec la réserve des armées, et celui de la sécurité intérieure, avec les réserves de la Gendarmerie et de la Police nationales. Si le mode de fonctionnement et l'organisation de ces piliers n'ont pas vocation à être modifiés, ceux-ci doivent en revanche être intégrés dans une dynamique commune incarnée par le Secrétaire général de la Garde nationale qui peut être appelé à porter des sujets transverses. Le sujet de la forfaitisation des réservistes est également un sujet important afin d'éviter la complexité des modes de calcul actuels et de diminuer substantiellement l'ensemble des charges administratives lié à la convocation des réservistes. Je propose également que soit alignée la logistique médicale de ces réservistes, qui implique notamment une visite médicale annuelle, sur celle des personnels d'active. Le Secrétaire général de la Garde nationale doit ainsi apporter sa plus-value à l'ensemble des réservistes et il faudra certainement aller plus loin, notamment en matière budgétaire, afin d'assurer la montée en puissance de cette nouvelle structure.

Le budget pour 2017 comprend également des crédits hors T2 destinés à sanctuariser les moyens consacrés au fonctionnement et à relancer l'investissement pour consolider et développer les capacités opérationnelles des unités. A cet égard, le véhicule représente un outil de travail essentiel du gendarme qui lui permet d'accéder à l'ensemble du territoire et de venir au contact des populations. Sur les 30 000 véhicules dont dispose la Gendarmerie, 3 800 sont effectivement réformables avec plus de huit ans d'âge et de 150 000 kilomètres au compteur. Or, ceux-ci doivent être maintenus en fonction afin d'éviter un trou capacitaire. Le renouvellement annuel de 3 000 véhicules permet d'obtenir une flotte opérationnelle ; ce que nous avons réussi à faire durant l'année 2016. Le retard est donc important et doit être rattrapé dans la durée. En 2017, les crédits permettront d'acheter à nouveau 3 000 véhicules et d'amorcer une tendance vertueuse, même s'il faudra plusieurs années pour résorber le trou capacitaire hérité du passé.

L'immobilier a servi pendant trop longtemps de variable d'ajustement budgétaire. Pour la troisième année consécutive, en 2017, 70 millions d'euros y sont consacrés dans le plan d'urgence. En 2015, nous avons rénové 3 000 logements et en 2016, 5 000 ; l'année prochaine, nous devrions en rénover 4 000 autres. Ce n'est certes pas suffisant, mais ces rénovations domaniales améliorent les conditions de travail et le moral des personnels. D'autres travaux sont inclus dans ces 70 millions d'euros et concernent l'urgence sécurité des casernes. Il faudra que cet effort soit poursuivi dans la durée, voire amplifié si possible.

Le budget comprend également des mesures catégorielles qui visent l'ensemble des statuts de la Gendarmerie et représentent 77 millions d'euros. Ces mesures relèvent du protocole du 11 avril 2016 conjointement signé par le Ministre de l'intérieur et le Groupe de liaison du CFMG, alors qu'était signé un protocole équivalent avec les syndicats de la Police nationale. Cette démarche est assez exceptionnelle puisque ce protocole fournit aux gendarmes un signal fort de la reconnaissance de leur engagement et de leur disponibilité.

Un effort sera également conduit pour les Outremer. A Mayotte, où les difficultés sociales induisent des impacts collatéraux en matière de sécurité, une antenne GIGN forte de 32 personnels a été créée. Nous allons remplacer dès que possible un moyen nautique actuellement en panne et professionnaliser le centre opérationnel. Il faudra cependant engager d'autres moyens dans les années à venir pour répondre aux besoins exponentiels sur ce territoire. Par ailleurs, le niveau de violence dans les Antilles-Guyane connaît une augmentation importante et les gendarmes, ainsi que les policiers, doivent tenter de la combattre. Enfin, la situation de la Nouvelle-Calédonie est préoccupante. A la suite de la réunion du comité des signataires des Accords de Nouméa qui vient de se tenir avec le Ministre de l'intérieur, un effort sera conduit, dès 2017, pour augmenter les effectifs en Nouvelle-Calédonie et mieux assurer la protection de nos personnels. En effet, la Nouvelle-Calédonie est le territoire d'Outremer où le nombre de tirs directs par arme à feu sur les gendarmes est le plus important. Plus le référendum s'approche, plus le niveau de violence augmente. Il nous faut ainsi nous préparer, le jour du référendum, à mettre en oeuvre un dispositif du maintien de l'ordre public.

Notre deuxième axe de travail vise à remettre la brigade territoriale, véritable brique de base de la Maison, au centre de notre dispositif. Par le passé, nous avons consacré beaucoup d'efforts aux activités de police judiciaire et aux interventions. Un groupe de travail sur ces brigades territoriales a permis d'évoquer un certain nombre de pistes et mon souhait est de travailler sur leur périmètre de mission. Près de cinq cents de ces brigades connaissent d'importantes difficultés de fonctionnement, du fait de leurs faibles effectifs, de l'étendue des territoires qu'il leur faut couvrir et de l'ensemble des missions qu'il leur faut assumer. L'évolution de leur maillage doit être reconsidérée : depuis une dizaine d'années, près de cinq cents brigades ont été dissoutes et nous sommes passés à 3 100 brigades afin de rationaliser notre dispositif. Deux options s'offrent à nous : soit le regroupement des effectifs dans des unités plus importantes se poursuit, soit, partant du constat des difficultés de fonctionnement des brigades à moins de six gendarmes générées notamment par l'application de la directive européenne sur le temps de travail, le maintien de l'implantation et des personnels, mais en reconsidérant leur contrat capacitaire et en y évinçant toutes les activités qui ne relèvent pas du contact avec les populations. Le service public de sécurité serait toujours présent et on reviendrait à la mission originelle du gendarme qui est d'être sur le terrain et au contact avec les populations. Les missions de police de la route seraient alors assumées par les brigades motorisées situées à proximité et les missions de police judiciaire par les unités de police judiciaire placées en renfort. Une telle démarche permettrait de maintenir le maillage et de demeurer dans la profondeur du territoire, dans le contexte de menaces qui est le nôtre. On rendrait alors aux élus leurs gendarmes. Pendant trop longtemps, on a perdu de vue le contact humain qui relève de l'expérience quotidienne et qui ne relève pas d'une logique strictement budgétaire, mais d'une logique de conception du service. Certaines expérimentations vont ainsi être lancées début 2017, afin de remettre à l'honneur cette mission fondamentale qu'est le contact humain.

Je souhaite que soit également mis en place en 2017 un centre national de formation à la sécurité publique destiné aux départementaux.

Notre troisième axe de développement concerne la modernisation de la Gendarmerie et la diffusion des technologies électroniques qui permettent notamment de lutter contre la cybercriminalité. Dans ce cadre, nous travaillons à l'élaboration du véhicule de patrouille du futur. Il faut ainsi disposer d'un temps avance pour conduire des actions efficaces.

La directive temps de travail me pose aujourd'hui difficulté. Sa mise en oeuvre - s'agissant notamment des onze heures de repos physiologique quotidien - se solde par une baisse de 5 % de l'activité horaire, soit l'équivalent de 5 000 ETP. Sa dernière clause, qui porte sur les 48 heures d'activités maximales hebdomadaires, doit être transposée avec le Ministère de la Défense et je ne vous cacherai pas mon inquiétude sur sa transposition définitive.

Je terminerai mon propos en évoquant à l'état d'esprit des gendarmes qui sont inquiets. Ceux-ci sont sensibles aux risques de leurs camarades policiers et sont en empathie avec leur inquiétude. L'expression de cet état d'esprit demeure dans le cadre des structures de concertation de notre Maison dont le groupe de liaison du Conseil de la fonction militaire Gendarmerie (CFMG) a été reçu à la fois par le Ministre de l'intérieur et le Président de la République. Je veille au maintien d'un dialogue très régulier non seulement avec la hiérarchie - commandants de groupement et de région -, mais aussi avec la chaîne de concertation qui demeure le second pilier de la Maison dont le premier est la voie hiérarchique. Notre chaîne de concertation a été dynamisée par l'élection au suffrage indirect du nouveau CFMG dont la majorité des soixante-quinze nouveaux membres détiennent un mandat local. C'est une chance pour la Maison que d'avoir dynamisé notre chaîne de concertation. A l'inverse, les APNM doivent dépasser leur logique actuelle de rébellion pour s'engager dans la voie d'un dialogue constructif où chacun écoute l'autre.

Merci mon Général pour votre intervention. Je passe tout d'abord la parole à nos deux collègues rapporteurs, MM. Alain Gournac et Michel Boutant, ainsi qu'à notre collègue M. Alain Marc de la commission des lois, qui assiste à notre réunion de ce matin.

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