Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 novembre 2016 à 9h05
Loi de finances pour 2017 — Audition du général pierre de villiers chef d'état-major des armées

Photo de Jean-Pierre RaffarinJean-Pierre Raffarin, président :

Nous ressentons tous aujourd'hui le soutien de l'opinion publique à l'armée. Mais ce soutien est fragile et nous devons rester extrêmement vigilants.

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. - S'agissant de la fin de gestion 2016, la copie est claire : 32,1 milliards d'euros en LFI, 590 millions d'euros de reports de crédits de l'année 2015 et 830 millions d'euros de surcoût OPEX, ce qui doit donc faire, au total, 33,5 milliards d'euros.

A défaut, cela constituerait une entorse à la LPM et aux décisions prises par le Président de la République. Cette entorse se traduirait par une augmentation des reports de charges et par un report des commandes de matériel, ce qui n'est pas envisageable dans le contexte actuel de tensions capacitaires.

Concernant le MCO aéronautique et la disponibilité des hélicoptères, c'est ma principale préoccupation pour les opérations. Nous souffrons plus globalement, dans la troisième dimension, d'une insuffisance de drones et de capacités ISR (intelligence, surveillance, reconnaissance) ainsi que d'une insuffisance de flotte de transport.

Concernant les hélicoptères, la réponse recouvre deux catégories de mesures. D'une part, d'un point de vue quantitatif, il faut adapter à la marge notre modèle 2025 issu du Livre blanc et de la LPM et qui reste, globalement bon. Nous avons besoin de davantage d'hélicoptères d'observation, de transport et d'attaque. L'atteinte des 2 % du PIB doit nous permettre d'acquérir ces hélicoptères supplémentaires. Ils sont absolument nécessaires pour mener les opérations. 2 % du PIB, cela signifie 0,23 point de PIB supplémentaire. En 2020, cela représenterait 8 milliards d'euros de plus que la ressource allouée par le PLF 2017. La pente sera raide en 2018, avec 2 à 3 milliards d'euros supplémentaires par rapport à 2017.

D'autre part, il faut améliorer le maintien en condition opérationnelle des hélicoptères. Pour cela nous travaillons avec la direction générale de l'armement et l'industriel, à un plan d'actions d'urgence qui comprend différents domaines, car plusieurs causes sont à l'origine de l'indisponibilité d'une partie du parc. La résolution de l'ensemble des problèmes prendra du temps. Il y a toujours des délais, entre le moment de la décision et ses effets. Depuis deux ans, nous avons amélioré la disponibilité des hélicoptères en opération, c'était ma priorité. Nous sommes dans la bonne direction car nous avons identifié les marges d'amélioration. Souvenons-nous qu'il y a quelques années, nous étions confrontés à des problèmes de disponibilité des « Rafale ». Aujourd'hui, nous avons amélioré la disponibilité des Rafale de 10 %, ce qui est considérable.

S'agissant des effectifs, nous sommes en phase avec nos prévisions de recrutement. Je n'ai pas d'inquiétude. C'est un gros effort en volume pour l'armée de terre avec la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre de 11 000 hommes en 2 ans. Elle a recruté 15 000 militaires en 2015, sans diminuer la qualité du recrutement. Je suis impressionné par les jeunes que nous recrutons. Ils ne viennent pas seulement pour trouver un métier, mais ils s'engagent de plus en plus parce qu'ils recherchent, au sein des armées, des valeurs, une utilité, du respect, de l'égalité avec l'uniforme et une grande cause à défendre : la France. Leur motivation est extraordinaire. Cela met en évidence, depuis quelques années, une évolution très sensible des mentalités de notre jeunesse. Cela explique aussi les améliorations que vous constatez sur le terrain dans la relation Armée-Nation. Nous recrutons des jeunes qui, parfois, sont déstructurés, au bord de la désespérance, et, en quelques mois ou années, peuvent devenir des héros. Nous avons recruté 26 000 jeunes en 2016. Dans une société qui doute parfois d'elle-même, c'est un signe très encourageant d'espérance.

L'accélération du programme Scorpion est l'un des objectifs qui motive notre souhait d'un modèle d'armée à 2 % du PIB. Nous devons accélérer le remplacement de matériels très anciens, sur usés et sur utilisés, comme les VAB qui ont plus de 30 ans, les avions ravitailleurs qui ont plus de 50 ans et certains bâtiments de la marine qui ont plus de 35 ans. Pour cela nous devons avancer la mise en service d'un certain nombre de programmes, dont les BATSIMAR, les EBRC, les VBMR ou les MRTT. En outre, il est préférable de se doter de matériels modernes que de rénover à coût élevé les matériels très anciens. C'est un calcul économique autant qu'opérationnel.

Bien sûr, nous avons pris connaissance du projet de directive européenne sur le temps de travail, mais quand on mesure le degré d'engagement de nos soldats, le temps passé hors de chez eux et le besoin d'assurer la sécurité de nos concitoyens, le débat est un peu... décalé. Nous travaillons à l'élaboration d'une réponse adaptée.

Pour répondre à la question de la programmation et de sa mise en oeuvre, nous ne pouvons que nous réjouir de la conduite vertueuse du processus (Livre Blanc, LPM, actualisation de la LPM et son adaptation), mais aussi de la programmation et de l'exécution budgétaires annuelles qui se sont trouvées en phase avec la programmation. Le modèle est bon. Certes, il s'use, mais je note que c'est la première fois qu'une LPM est exécutée au-delà de la programmation initiale. Les circonstances l'exigeaient. Grâce au soutien des parlementaires et, notamment, des sénateurs, la nation a consenti à l'effort immédiat nécessaire.

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. - Aucune armée européenne n'intervient plus que nous dans le monde. Nous sommes estimés à notre juste valeur par nos alliés, notamment américains. Le modèle que nous avons construit est bon. Il faut le maintenir et le moderniser. Ce modèle a été conçu pour répondre aux deux lignes de conflictualité que j'ai précédemment exposées. Il faut l'adapter aux nouveaux enjeux et procéder à quelques ajustements capacitaires.

S'agissant de la méthode, je préconise de rester dans le même processus vertueux, tout en l'accélérant par rapport à ce qui s'est fait en 2012 car nous sommes en guerre. Il faudra, avant la fin de l'année 2017, procéder, de manière cohérente, à l'adaptation du Livre Blanc, au vote de la LPM et à celui du budget 2018.

À titre personnel, je tiens à remercier M. Daniel Reiner, et le binôme qu'il a constitué avec M. Jacques Gautier, symbolique du rassemblement nécessaire pour les questions de défense.

Oui, il faudra poursuivre l'augmentation du budget de l'EPM, mais ce n'est pas un puits sans fond et je pourrais vous démontrer, flotte par flotte et matériel par matériel, l'intérêt d'un euro supplémentaire investi.

S'agissant de l'opinion publique, les armées se sentent soutenues, aujourd'hui plus que jamais. Ce soutien est total, y compris s'agissant des décisions d'ordre budgétaire. Les Français ont confiance dans leurs armées pour les protéger. Ils apprécient, par ailleurs, cette institution stable, avec des valeurs pérennes. Nous n'avons aucune difficulté à recruter des jeunes.

Sur le financement des OPEX, il faut doter le budget de la défense à hauteur des surcoûts OPEX pérennisés, plutôt que de les imputer en interministériel. Ce surcoût doit être intégré au budget de la défense, dans le cadre de l'objectif des 2 % du PIB.

J'apprécie vos propos sur l'opération Sentinelle. Oui, il faut aller plus loin. Mais nous nous réformons en permanence. Plus de mobilité, plus d'imprédictibilité sont souhaitables, car le terrorisme d'aujourd'hui n'est pas celui des années 1980. Nous le connaissons, ce terrorisme, grâce à nos opérations extérieures. Nous savons ce qu'il faut faire et ne pas faire. L'effet de surprise est un atout essentiel. Notre collaboration avec les forces de sécurité intérieure a progressé. Il faut continuer, en particulier en matière d'échange d'informations. Le contrôle des flux arrière dans les zones frontalières, la coordination avec la gendarmerie sont également des aspects essentiels. Nous avons beaucoup progressé. Il reste encore à faire, mais cette opération Sentinelle, qui relève bien sûr du choix politique, me semble efficace et utile, car le premier devoir des soldats français est de protéger la France et les Français là où ils sont.

Je soutiens évidemment l'amendement d'exonération fiscale sur les indemnités versées pour la participation à l'opération Sentinelle. L'important est ici de trouver le bon calibrage, en élargissant la mesure à tous ceux qui contribuent à la protection du territoire national, de façon équitable en interarmées.

Au sujet des résultats des élections américaines, j'en ai déjà dit un mot dans mon propos liminaire. Les militaires sont habitués au temps long et ils savent que, parfois, il faut éviter toute précipitation. Dans quelques jours, j'appellerai mon homologue américain, nous en parlerons et nous étudierons ensemble les conséquences en matière de défense et en matière militaire. Indépendamment des élections américaines, il faut faire un effort de coopération avec les pays européens, dans un équilibre subtil entre l'intergouvernemental et le communautaire, entre la défense de l'Europe et la défense européenne.

Sur le coût des facteurs, je l'ai inclus dans les facteurs de risque et cela me semble prudent. Pour 2017, on a intégré 205 millions d'euros de coût des facteurs - carburant, inflation - à partir des hypothèses économiques pour les trois années qui viennent. Ces hypothèses ont fait l'objet de deux des rapports de l'Inspection générale des finances (IGF) et du Contrôle général des armées (CGA). Ces rapports précisent d'ailleurs que les charges additionnelles, hors loi de programmation militaire (LPM), sont supérieures aux économies liées à l'évolution du coût des facteurs.

Sur l'Irak, nous progressons à Mossoul conformément à la planification de la coalition. Nous sommes même en avance dans la partie centrale : l'Iraqi Counter Terrorism Service (ICTS) y est entré il y a neuf jours. La coalition fait face à des adversaires résolus, préparés, et qui ont pris le temps de valoriser le terrain avec des mines, des pièges, des fossés, des snipers... Cela sera difficile, mais nous allons gagner.

Sur la Syrie, Raqqa est notre objectif stratégique. Nous avons obtenu de la coalition que les forces démocratiques syriennes se déploient plus vite que prévu : elles ont d'ailleurs commencé à intervenir pour isoler Raqqa.

Sur la Libye, nous sommes vigilants face au message d'al-Baghdadi de cette semaine qui appelle les djihadistes à ne plus rejoindre l'Irak et la Syrie, mais à aller en Libye. Schématiquement, la Libye est partagée en deux camps : le camp du Gouvernement d'entente nationale de transition (GEN) de M. Sarraj et le camp de l'Armée nationale libyenne (ANL) avec le général Haftar. Il y a néanmoins de nombreux autres camps, par exemple celui de M. Ghweil qui se revendique à la tête du Groupement de salut national (GSN). La situation est donc extrêmement complexe avec « une marqueterie » de mouvements. Il y a 170 milices à Tripoli, dont certaines possèdent des moyens de combats lourds comme des chars. Nous sommes donc très vigilants à l'égard de la situation en Libye et nous nous concertons avec nos alliés, en particulier américains et britanniques. La France soutient le gouvernement Sarraj, en privilégiant le dialogue. A ce stade, c'est un problème plus diplomatique que militaire.

Sur la contribution des pays européens pour nous aider à financer les opérations extérieures (OPEX) et la protection que nous apportons à l'Europe, j'estime avoir déjà répondu. On peut sans doute s'interroger aussi sur le dispositif de financement des OPEX en lien avec le calcul du déficit public et du plafond des 3 %, mais c'est, là encore, un sujet plus politique que militaire. Il est cependant clair que nous apportons à nos amis européens une protection que nous payons.

Je n'ai pas parlé de la mission Sangaris, parce que l'opération est terminée depuis la fin de semaine dernière. Cela ne veut pas dire que nous abandonnons la République Centrafricaine (RCA). La France y reste présente au travers de trois dispositifs : premièrement une capacité de soutien national, deuxièmement l'European Union Training Mission (EUTM), mission dont nous fournissons 60 % des effectifs ainsi que le général qui la commande - l'opération est sur les rails et nous appelons à sa poursuite après juin 2017 - et troisièmement, la présence française dans la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine (MINUSCA), au travers de l'état-major mais aussi des capacités - nous allons projeter, en liaison avec l'ONU, nos drones tactiques SDTI (système de drone tactique intérimaire) en RCA dans les semaines qui viennent, pour qu'ils soient opérationnels début 2017. Cette opération est réussie : nous avons évité un massacre interethnique ; il y a eu des élections démocratiques ; il y a un président et l'Etat se reconstitue progressivement. Nous n'avons pas vocation à suppléer la communauté internationale qui, au travers de la MINUSCA, déploie plus de 10 000 hommes capables de prendre le relais. La situation en RCA ne sera pas stabilisée avant des années, une quinzaine d'années selon moi.

Enfin, vous m'avez interrogé sur l'équilibre entre le Soutex et le maintien en condition opérationnelle (MCO). Cette question est prise en compte dans le cadre des travaux d'optimisation du modèle d'armées. Aujourd'hui, le surcoût en effectifs et en crédits lié au Soutex n'est pas intégré à la LPM ; il s'agit d'une charge additionnelle. Je me réjouis de la réussite des entreprises françaises. Les armées sont prêtes à apporter leur soutien aux exportations. Elles le font bien et le feront d'autant mieux qu'elles auront les crédits et les effectifs pour cela. La remontée de l'effort de défense à hauteur de 2% du PIB intègrera cette dimension. Il y a une équipe France et un engagement fort du ministre. N'oublions pas que la réussite opérationnelle compte également pour beaucoup. Peut-être n'en parlons-nous pas suffisamment.

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