Michelle Demessine et moi-même sommes globalement satisfaits de l'évolution des crédits du programme 178, mais nous restons vigilants sur certains points.
Les crédits de paiement sont stables, augmentant de 0,27 % pour s'établir à 7,29 milliards d'euros. Les autorisations d'engagement diminuent de 8,8 %, à 7,27 milliards d'euros. Le projet de loi de finances pour 2017 prévoit une nouvelle augmentation de 6,8 % des autorisations d'engagement dédiées à l'entretien programmé du matériel. Cela me semble nettement insuffisant, en raison du croisement des courbes attendu en 2018 dans le domaine du maintien en condition opérationnelle du matériel terrestre.
Le nouveau modèle de maintien en condition opérationnelle à l'horizon 2025 repose sur une évolution de la maintenance industrielle, dont la part assurée par l'État va diminuer avec les crédits du titre 2. Cette baisse a pour corollaire l'augmentation des dépenses du titre 3, qui comprennent à la fois les dépenses transférées du titre 2 vers le titre 3 pour que la maintenance bascule de l'État vers le secteur industriel, la surutilisation et la surusure de nos équipements militaires - les équipements militaires s'usent six fois plus vite durant l'opération Barkhane qu'en métropole - et l'obsolescence de nombreux parcs, laquelle entraîne des coûts de maintien en condition opérationnelle exagérément hauts. On peut ainsi se demander s'il est pertinent de reconstruire des véhicules légers tactiques polyvalents P4 au prix de 300 heures de maintenance et pour un coût de 30 000 euros plutôt que d'acheter sur étagère un véhicule remplissant le cahier des charges pour un prix certainement inférieur.
L'intensité des phases de combat, le rythme des opérations, leur âpreté et la dureté physique des théâtres d'opérations conduisent à une surconsommation des équipements, donc à leur vieillissement accéléré et à l'augmentation de la casse. Il en résulte une charge de maintenance encore plus élevée, qui sera confiée au secteur privé et qu'il faudra financer. Le seul financement du délestage d'activités vers le privé a été évalué à près de 500 millions d'euros sur la période 2017-2022. Mais la sur-usure des équipements et la surintensité de leur exploitation par rapport au contrat opérationnel initial ne sont, à ce jour, pas pleinement chiffrées. Selon le chef d'état-major de l'armée de terre, le financement de ce nouveau modèle de maintien en condition opérationnelle est envisagé pour 2017 et 2018, mais n'est pas garanti au-delà. Une lourde hypothèque pèse donc sur la prochaine loi de programmation militaire, d'autant que ces difficultés concerneront certainement également le maintien en condition opérationnelle des matériels aériens. C'est le capital opérationnel de notre armée qui est en jeu !
Dans la loi de programmation en cours, l'enveloppe nécessaire pour le total des besoins de maintien en condition opérationnelle serait plus proche des 800 millions d'euros que des 500 millions d'euros distribués entre 2016 et 2017 au titre de l'actualisation de 2015. Il manque donc 300 millions d'euros. Ce montant peut être rapproché des gains liés aux coûts de facteurs, soit 317 millions d'euros issus de l'évolution favorable des indices économiques sur la période 2016-2019, transférés au programme 146. Pour l'année 2017, ce transfert représente près de 117 millions d'euros, principalement ponctionnés sur le carburant opérationnel, le fonctionnement et les petits équipements.
Nous risquons toutefois de découvrir, à l'occasion de la prochaine loi de programmation militaire, que ces économies ont été calculées trop largement. Nous recommandons donc vivement au Gouvernement d'évaluer la possibilité d'avancer les livraisons de matériels neufs lorsque cela revient moins cher que l'entretien des parcs vieillissants. Je pense au remplacement des VAB par les Scorpions, par exemple.
J'ai souhaité cette année approfondir un sujet déjà considéré comme essentiel l'année dernière, et que les chefs d'état-major ont évoqué à de nombreuses reprises : le retour des opérations de soutien à l'exportation, le Soutex.
L'exportation de nos armements était une condition sine qua non au maintien en activité de la chaîne de production du Rafale à son minimum de 11 appareils par an, sans l'achat par le ministère de la défense de 40 appareils en plus des 26 prévus dans la loi de programmation militaire. Le montant des commandes annuelles d'armement français est passé de 5,1 milliards d'euros en 2010, à 6,9 milliards d'euros en 2013, 8,2 milliards d'euros en 2014 et 16 milliards d'euros en 2015. Il avait déjà atteint ce palier en juin 2016. La condition sur laquelle reposait le financement de la loi de programmation militaire est donc satisfaite.
Le décret de 1983 organise le Soutex et prévoit que les industriels remboursent la participation des militaires. Toutefois, seules les dépenses supplémentaires sont concernées et non les dépenses courantes. Les frais supplémentaires de maintien en condition opérationnelle des matériels vieillissants, utilisés plus longtemps pour permettre à l'industriel d'exporter les frégates ou les rafales qu'il aurait dû livrer à nos armées, ne sont pas non plus pris en charge. Le maintien en service actif du Montcalm et du Primauguet en témoigne !
L'année dernière, j'avais interpellé le ministre en séance publique afin qu'il évalue l'incidence des exportations d'armement et chiffre la compensation nécessaire. Un groupe de travail a été mis en place pour étudier les adaptations nécessaires du décret de 1983 afin que les armées récupèrent la totalité des recettes liées au remboursement des prestations de Soutex. La refonte envisagée vise à abolir la distinction entre dépenses courantes et supplémentaires, afin d'en simplifier l'utilisation par les services du ministère et de permettre le retour au budget du ministère de la défense de la totalité des rémunérations perçues, suivant la procédure des attributions de produit (rattachement aux programmes qui ont supporté la dépense). Le groupe de travail ad hoc a élaboré un projet de document en ce sens en mars 2016. Il nécessite encore des aménagements rédactionnels et une étude d'impact.
Cette évolution est encourageante. Il faut aller plus loin, pour que les industriels prennent en compte l'effort de soutien à l'exportation réalisée par nos armées et baissent le coût du maintien en condition opérationnelle.
Enfin, je souhaiterais qu'on mette en place au sein des armées, certainement sous le contrôle du chef d'état-major, une direction commerciale, chargée d'étudier l'impact économique des activités militaires. Elle veillerait à la valorisation des avancées spectaculaires du SSA qui a notamment mis au point le sang lyophilisé désormais universellement reconnu et utilisé sans en tirer les bénéfices économiques. Elle prendrait également en compte l'impact du Soutex sur la croissance et le développement des industries d'armement. Elle veillerait globalement à la valorisation des actions de notre armée sur le modèle des services de valorisation de la recherche universitaire.
Enfin, dans la mesure où la commission s'est rendue au Val-de-Grâce en avril l'année dernière, j'attire votre attention sur la mise en oeuvre progressive du nouveau modèle d'organisation du Service de santé des armées (SSA), découlant de son projet de service intitulé « Service de santé des armées 2020 ». La réforme engagée me semble très bien menée, comme j'ai pu le constater lors d'une journée de travail au Val-de-Grâce et des auditions organisées sur place avec le directeur de l'école du Val-de-Grâce, le médecin-chef du SSA et ses services. Le service de santé des armées s'est pleinement approprié cette réforme, il ne la subit pas, il l'utilise pour se renforcer.
Je tiens à saluer l'action du service de santé qui a contribué au soutien des populations civiles au cours et dans les suites des attentats de 2015. L'action du SSA a été particulièrement significative non seulement dans la prise en charge des blessés physiques mais aussi dans celle des blessés psychiques : parmi les 52 blessés pris en charge dans la nuit (17 à Percy et 35 à Bégin proche de certains lieux d'attentats), 18 étaient des urgences absolues. Il y a eu 50 interventions chirurgicales en 48 heures et 13 admissions en réanimation.
Ces blessés ont bénéficié de stratégies et techniques de prise en charge largement utilisées et éprouvées en Opex, notamment le Damage control et la transfusion de plasma lyophilisé qui est systématiquement utilisée en première intention en cas d'hémorragie sévère d'origine traumatique dans tous les hôpitaux d'instruction des armées (HIA) comme en Opex.
L'entière capacité des hôpitaux militaires était reconstituée dès le dimanche soir, grâce à ceux qui se sont présentés spontanément pour assurer la relève du personnel engagé dans la nuit du 13 au 14 novembre. Dès le matin du samedi 14 novembre, à la demande de la direction générale de la santé, une cellule d'aide médico-psychologique a été mise en place sur le site de l'École militaire pour armer un dispositif d'aide aux familles.
En outre, depuis plusieurs mois, le SSA fait bénéficier la communauté médicale de son expérience en matière de médecine de guerre. À la demande de la direction générale de la santé et de la direction générale de l'offre de soins, le SSA, en collaboration avec le centre national des urgences hospitalières (CNUH), a participé à l'ingénierie d'une formation à la chirurgie de guerre, en particulier au Damage Control, au profit des praticiens civils. Deux sessions nationales de formation de formateurs ont eu lieu à Paris, à l'École du Val-de-Grâce en avril et à au CRHU de Lille en mai. Environ 350 formateurs y ont assuré la formation d'un millier de praticiens, en priorité dans les régions concernées par l'organisation d'Eurofoot 2016. Ces actions s'inscrivent dans le cadre de la participation du SSA à la résilience de la nation que je tenais à saluer.
Je m'en remets à la sagesse de la commission sur l'adoption des crédits du programme 178. Mais serait-il courageux de s'abstenir ? Peut-être pourrions-nous voter positivement malgré les nombreuses réserves que je vous ai exposées.