Intervention de Michelle Demessine

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 novembre 2016 à 9h15
Projet de loi de finances pour 2017 — Mission « défense » - programme 178 « préparation et emploi des forces » - examen du rapport pour avis

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine, rapporteure pour avis :

Je partage le jugement paradoxal du général de Villiers : le budget est bon, mais des inquiétudes sérieuses persistent, notamment sur la disponibilité technique opérationnelle (DTO).

Alors que le niveau des engagements extérieurs de la France n'a pas diminué et que les achats d'équipement se traduisent très lentement en livraison d'équipements nouveaux, les efforts budgétaires et les réformes structurelles engagées commencent à porter leurs fruits de sorte que les objectifs de la DTO sont en légère augmentation. Pour autant, si la DTO des hélicoptères de manoeuvre de l'armée de terres augmente de 15 % par rapport à 2016, elle ne permet de remplir que 57 % du contrat opérationnel.

La disponibilité des chars Leclerc souffre de l'engagement du personnel en charge de sa maintenance sur l'opération Sentinelle, et celle des chars AMX 10 RCR du vieillissement du parc, malgré les efforts de prolongation de sa durée de vie. Le parc des VAB souffre d'un déficit de régénération, celui des VBCI des actions de rétrofit qui augmenteront l'encours chez l'industriel.

Dans le même temps, le coût de la fonction de maintien en condition opérationnelle, mesuré par l'indicateur n° 6-2 du projet annuel de performance, augmente. Les coûts sont passés de 61 à 65 euros entre 2014 et 2017 pour le coût moyen de la fonction maintien en condition opérationnelle (MCO) terrestre par matériel et jour de préparation opérationnelle. La cible est fixée à 63 euros pour 2017, mais il est d'ores et déjà prévu qu'elle soit en dépassement. Le coût transitoire de la fonction MCO navale par jour de disponibilité de la flotte est passé de 57 000 à 61 000 euros entre 2014 et 2015. Ce coût semble se stabiliser depuis 2016 à 57 000 euros. Mais la cible pour 2017 remonte à 59 000 euros.

En revanche, le coût moyen de la fonction MCO aéronautique à l'heure de vol est passé de 11 149 euros en 2014 à 10 706 euros. La cible pour 2017 est de 10 268 euros. Cette évolution s'explique par la diminution des vieux équipements, coûteux en entretien, et la tendance à la baisse du coût moyen d'heure de vol des matériels de nouvelle génération au gré de la maturation des équipements et du système de MCO : il s'agit des effets de plans de fiabilisation, de la rentabilisation des systèmes de MCO et des économies d'échelle liées à l'augmentation du parc livré aux forces. Cela justifie les réflexions formulées devant notre commission sur le modèle économique du maintien en condition opérationnelle. Comme mon collègue, j'ai été frappée par le fait que l'accélération des livraisons d'équipements neufs engendrerait des économies sur les crédits d'entretien programmé du matériel et des gains d'efficacité de nos forces, si elle était soutenable par l'industriel. Elle améliorerait également le moral des troupes.

Près de 5 milliards d'euros sont consacrés au MCO, dont 2 milliards de masse salariale destinés à la rémunération des catégories de personnel du ministère, militaires et civils, chargés de ses fonctions, et 3 milliards consacrés à l'entretien programmé du matériel. Ce type d'externalisation est assez captif dans la mesure où les industriels font ce qu'ils savent, veulent et peuvent faire. La qualité de l'entretien programmé du matériel, notamment hors de France, suscite des questions, notamment sur les délais. J'ajouterai que la projection sur les théâtres d'opérations des catégories de personnel non militaire chargées de l'entretien programmé du matériel n'est pas évidente. La qualité de certaines prestations laisse à désirer. Enfin, les industriels n'ont pas toujours intérêt à maintenir une chaîne d'entretien programmé du matériel qui soit compatible avec la durée de vie extraordinairement rallongée de la plupart de nos parcs d'équipement.

Il me semble donc indispensable que le ministère de la Défense conserve en interne les compétences permettant d'entretenir les équipements dont la durée de vie est souvent plus longue que ce que le modèle industriel prévoit.

Lors de l'audition du directeur central de la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle du matériel terrestre (SIMMT), nous avons appris que la capacité de maintenance industrielle étatique était fortement menacée. On prévoit 2 500 départs à la retraite entre 2015 et 2025. Il faut préserver cette compétence ! Des ajustements ont été proposés et validés par le comité ministériel des investissements, pour réduire les effectifs à 1 600 personnes et accroître la part de l'entretien programmé du matériel terrestre à due concurrence. Pour cela il faut pouvoir recruter 160 personnes par an pendant 10 ans, sur un statut suffisamment attractif pour concurrencer le secteur privé. Les résultats des derniers recrutements sont très mauvais, les candidats ayant réussi le concours préférant se désister plutôt que d'occuper des postes en province. Il faudrait explorer la possibilité de créer des concours régionaux et d'adapter les modalités de recrutement.

Nous nous étions intéressés l'année dernière au maintien en condition opérationnelle des équipements aéronautiques, et nous avions rencontré à Mérignac le directeur de la structure intégrée dédiée et le directeur du service industriel aéronautiques. Nous continuons de prêter une grande attention aux crédits dédiés à la préparation des forces aériennes. Si les crédits de paiement de cette action diminuent de 1,4 %, en 2017, les autorisations d'engagements destinées à l'équipement programmé des matériels progresseront de plus de 20 %. Un engagement pluriannuel de 530,51 millions d'euros est prévu dans le PLF pour 2017 pour financer notamment le lancement du programme de modernisation de la formation et d'entraînement différencié des équipages de l'aviation de chasse (Fomedec).

Dans le domaine du maintien en condition opérationnelle aéronautique, on constate que la remontée de la disponibilité des équipements en Opex est globalement satisfaisante, mais que la disponibilité des hélicoptères pose toujours problème. La mise en oeuvre d'une chaîne logistique efficiente dite Supply chain semble progresser lentement. La mise en oeuvre du projet Simmad « CAP 2016 » est une orientation prometteuse. Il convient pour qu'elle puisse produire tous ses effets que le service industriel de l'aéronautique (SIAé) dispose de suffisamment de moyens humains pour exercer sa mission. Dans cette perspective, le recrutement d'ouvriers d'État, soit 160 en 2016, et 165 en 2017, répond à un besoin avéré.

La préparation opérationnelle est le gage de notre réactivité et de notre efficacité ; c'est aussi l'assurance de la sécurité du personnel. Les pilotes d'hélicoptères doivent obligatoirement s'entraîner pour être capables de poser leur machine sur le pont d'envol d'un bateau de la marine.

Les problèmes de disponibilité du matériel expliquent largement le fait que l'activité opérationnelle reste inférieure aux objectifs fixés, de près de 10 % en deçà des normes reconnues par l'Otan, et des objectifs exprimés par la loi de programmation militaire pour 2014-2019. À ces effets déjà connus, il faut ajouter ceux de l'opération Sentinelle qui a un impact durable sur les armées dans de nombreux domaines : contrats opérationnels, préparation opérationnelle et soutiens.

L''armée de terre est lourdement affectée en raison de son niveau d'engagement dans l'opération Sentinelle, qui aura mobilisé plus de 70 000 de ses soldats en 2015. Jusqu'au terme de la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre (FOT) à 77 000 hommes en 2017, l'armée de terre engage et hypothèque son capital opérationnel. Elle doit ainsi consentir à des renoncements et s'adapter pour être en mesure de remplir les contrats opérationnels qui lui ont été assignés.

Les renoncements qui se traduisent par des suppressions ou adaptations d'activités impliquent une stricte limitation de la préparation opérationnelle qui se concentre sur la réalisation des missions programmées, c'est-à-dire les mises en condition finale (MCF) avant engagement opérationnel.

La plupart des exercices interarmées ou internationaux ont ainsi été soit annulés soit dégradés et le maintien du dispositif Sentinelle à 10 000 hommes durant l'été 2016 a conduit à de nouvelles annulations d'exercices programmés au second semestre.

La formation initiale ayant été affectée en 2015, l'aptitude opérationnelle des nouvelles unités de jeunes cadres est différée.

La préparation opérationnelle métiers connaît un ralentissement important, alors que la dégradation du socle des fondamentaux qui en découle risque d'avoir des incidences négatives sur l'exécution des missions à venir.

La préparation opérationnelle interarmes se limite aux mises en condition finale et à quelques rares évaluations, au détriment de l'entraînement générique. Il en résulte des prérequis non atteints et irrattrapables en MCF, et là encore, une usure du socle de compétence interarmées.

La cible en volume d'activités de l'armée de terres de 2016, soit 83 jours de préparation opérationnelle, ne sera pas atteinte. La réalisation annuelle est estimée à 75 jours de préparation opérationnelle pour l'année. La cible fixée pour 2017 est de 81 jours, soit un niveau inférieur aux 84 jours de préparation en 2014 et bien loin des 90 jours fixés comme objectif par la loi de programmation militaire. En 2017, la qualité de cette préparation restera déséquilibrée, puisque la moitié des journées de préparation opérationnelle sont dorénavant consacrées à la formation initiale au détriment de la préparation opérationnelle métier et de la préparation opérationnelle interarmes. Cette situation est préoccupante et fera l'objet de toute notre attention.

L'armée de terre n'est pas la seule à souffrir d'une trop faible préparation opérationnelle : c'est également le cas de l'armée de l'air. Du fait du retard de la mise en place de Fomedec, l'entraînement différencié n'est pas encore opérationnel. Le capital opérationnel de nos armées, humain et matériel, est soumis à rude épreuve. À nous d'être vigilants pour le préserver.

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