Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Daech, Brexit, Trump : trois ruptures stratégiques qui nous propulsent dans une ère d’instabilité. Tous les repères de « l’ordre international » prévalant depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale semblent aujourd’hui vaciller dans un grand désordre.
À l’heure de l’émergence des États-continents – la Chine, l’Inde, l’Iran –, à l’heure de l’émergence africaine, à l’heure de la montée du terrorisme islamiste radical, qui ravage le Moyen-Orient et menace le Maghreb, à l’heure de la remise en cause des libertés en Turquie, à l’heure du retour de la force en Russie, voici que notre projet européen est menacé dans sa dynamique et dans son essence ; voici que notre alliance la plus étroite, l’alliance transatlantique, semble fragilisée.
Nous qui observons la vie politique depuis un certain temps, avons-nous vu une situation internationale aussi dégradée que celle que je viens de décrire ? Je ne le crois pas.
Dans ce contexte, les crédits budgétaires des missions « Action extérieure de l’État », « Aide publique au développement » et « Défense » sont bien plus que des lignes de crédits. Ce sont les deux faces d'une même politique, celle qui vise à apporter de la stabilité à un monde agité, mais aussi de la sécurité et du développement.
Ces sujets sont connectés, bien sûr. Il n'y a pas de développement sans sécurité, chacun le sait. Mais il n’y a pas non plus de sécurité sans développement. La solution aux crises n’est pas que militaire, elle est forcément aussi politique, diplomatique. Nous voyons combien il est difficile de construire des stratégies économiques et sociales durables, qui prolongent l’action militaire.
Nous avons l’expérience d’interventions militaires qui ont débouché sur l’amplification des crises plutôt que sur leur résolution.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donc été particulièrement attentive à chaque ligne de crédits.
Je me contenterai ici de vous livrer les principales observations de nos rapporteurs budgétaires pour avis.
Sur la mission « Action extérieure de l’État », le modèle de gestion immobilière mise en œuvre par le ministère des affaires étrangères fait dépendre l’entretien normal des bâtiments des recettes exceptionnelles de cessions d'immeubles. Ce modèle économique non vertueux est en voie d'essoufflement, car les ventes faciles ont déjà été réalisées.
De plus, les crédits du compte d'affectation spéciale, réceptacle des recettes des ventes à l'étranger, ne sont mis à disposition, sous plafond, qu’à partir du mois de mai. Je reconnais bien là la malice de Bercy, en tête du hit-parade en la matière, car cette manœuvre est en réalité une sorte d’entrave au pilotage des crédits par le ministère.
La vision stratégique, sur ce plan, fait donc cruellement défaut.
Les crédits de la mission « Aide publique au développement » augmentent et l’Agence française de développement, l’AFD, est recapitalisée pour augmenter ses prêts. C’est un point positif, nous le reconnaissons bien volontiers.
Nous souhaitons que ces crédits permettent de créer une facilité de prévention et de gestion des crises, dotée d’au moins 100 millions d'euros. Ce serait le complément indispensable aux efforts militaires que nous avons menés récemment, au Sahel par exemple, contre les djihadistes. Ces efforts seront ruinés dans dix ans si ces pays se trouvent toujours dans une situation d’extrême fragilité.
Le militaire ne peut être traité sans le développement, car c’est le développement qui, à terme, chasse la guerre.
Les crédits de la diplomatie culturelle et d’influence reculent encore en 2017, hors sécurisation des réseaux.
Nous ne pouvons y être favorables. Le contexte actuel est celui d’une compétition mondiale des valeurs. Les démocraties veulent-elles défendre les leurs ?
À l’échelle internationale, nous le voyons, les régimes autoritaires deviennent majoritaires. Même les démocraties, celle des États-Unis par exemple, sont tentées par ce modèle.
Nous avons un combat de valeurs à mener, un combat culturel et d’influence.
Nous disposons pour cela de leviers historiques uniques au monde : les réseaux de l’enseignement français à l'étranger et l’action culturelle.
J’en viens à la mission « Défense ». L'actualisation de la programmation militaire en juillet 2015 a marqué un début de retournement de tendance, que nous avons soutenu de manière très forte.
Mais cet effort a été rapidement affecté par la dégradation du contexte sécuritaire et l'intensification de l'engagement opérationnel de nos armées, sur le territoire national – avec l’opération Sentinelle – comme sur les théâtres extérieurs, en particulier au Levant.
Les décisions arrêtées en conseil de défense le 6 avril 2016 auraient dû conduire à actualiser l'actualisation.
Or j’ai l’impression – c’est la remarque, monsieur le secrétaire d'État, d’un observateur attentif – qu’il y a comme un problème entre le conseil de défense et Bercy : tout se passe comme si la ligne hiérarchique n’était pas toujours respectée.