Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances est, chaque année, l’occasion de nous interroger sur l’effort financier de la France pour la construction européenne. Il permet aussi de mesurer ce que notre pays reçoit du budget européen. Au-delà, nous devons être conscients que l’Europe des projets exige des moyens financiers. Il est donc légitime de regarder de près quelles sont les ressources qui alimentent le budget européen.
Permettez-moi de saluer le travail du rapporteur spécial de la commission des finances, notre collègue François Marc. Il a rendu compte de ses travaux à la commission des affaires européennes, ce qui nous permet de bien évaluer les différents enjeux qui sont en cause.
Quels sont ces enjeux ?
D’abord, le montant de la participation de la France. Au total, si l’on ajoute les ressources propres traditionnelles que sont les droits de douane et les cotisations sur le sucre – elles diminuent depuis des décennies –, versées directement au budget européen, la contribution de la France devrait s’élever à 20, 9 milliards d’euros en 2017. Notre pays demeurerait ainsi le deuxième contributeur net, derrière l’Allemagne, et le premier contributeur, à hauteur de 26 %, soit 1, 38 milliard d’euros, au mécanisme de correction britannique, qui devra s’éteindre dans les années à venir. Il est aussi le premier État membre, devant l’Espagne, à bénéficier de « retours » du budget européen, puisque 14, 5 milliards d’euros ont été dépensés en France en 2015, soit 11, 1 % du budget total de l’Union. N’oublions pas en particulier ce que la France reçoit au titre de la politique agricole commune.
Depuis plusieurs années, nous nous sommes préoccupés de la dégradation du solde net de la France. La contribution de notre pays a sensiblement augmenté depuis trente ans. Cependant, notre rapporteur spécial nous a indiqué que le niveau du prélèvement sur recettes, prévu en 2017, était inférieur de 5, 4 % à la prévision pour 2016 et de 3 % à l’exécution 2015. Ce niveau est donc anormalement bas. On constate, en effet, un démarrage très lent des programmes de la politique de cohésion de la période 2014–2020. La Commission européenne a donc proposé, pour ces fonds, un montant de crédits de paiement inférieur de 23 % au montant inscrit en 2016.
On ne peut que déplorer cette situation. L’explication principale réside dans la complexité et la rigidité des procédures de gestion de ces fonds. Je ne saurais trop insister sur ce point.
Notre collègue Philippe Bonnecarrère a parfaitement analysé devant notre commission des affaires européennes les causes de cette mise en œuvre faible de la politique de cohésion.
C’est un choc de simplification dont a besoin cette politique. À chaque étape, les principaux intervenants sont confrontés à une réglementation de gestion et de contrôle qui représente plus de 1 000 pages pour les seuls Fonds européen de développement économique régional, FEDER, et Fonds social européen, FSE, auxquelles s’ajoutent les règles propres au fonds agricole et au fonds pêche.
Par ailleurs, sollicitée par des États membres sur le sens d’une règle qu’elle a édictée, la Commission publie des « notes d’orientation » qui se surajoutent à l’existant. À elles seules, ces notes représentent 4 000 pages ! On atteint un volume « prohibitif » de documents. Ces règles évoluent au fil de l’eau et ont un effet rétroactif qui vient encore compliquer la tâche des bénéficiaires et des porteurs de projet.
On assiste donc à une surréglementation européenne, mais aussi à une surréglementation des autorités de gestion elles-mêmes, c’est-à-dire désormais les régions. Celles-ci ont le souci de ne pas s’exposer à des sanctions des autorités de contrôle et d’audit, nationales et européennes. Elles ont donc tendance à multiplier les garde-fous. Cet emballement réglementaire est singulièrement néfaste à l’économie européenne, plus particulièrement à l’économie française.
Nous devons aussi être attentifs à la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel. Je le rappelle, cette programmation pluriannuelle est désormais bien inscrite dans la pratique européenne. Entérinée par le traité de Lisbonne, elle permet de donner plus de prévisibilité et d’éviter les querelles annuelles sur les dépenses du budget européen. Mais la révision à mi-parcours permet aussi de s’interroger sur le bien-fondé des choix initiaux et de procéder, le cas échéant, aux rectifications nécessaires.
En septembre, la Commission européenne a présenté une communication et un ensemble de propositions législatives en vue de cette révision. Comme le rapporteur spécial, je veux relever les priorités politiques claires qui sont définies en faveur de la croissance et de l’emploi, d’une part, de la gestion de la crise migratoire, d’autre part.
Nous constatons que davantage de moyens financiers seront accordés aux programmes et aux instruments destinés à soutenir l’investissement, comme le programme européen pour la compétitivité des petites et moyennes entreprises, appelé COSME.
Enfin, la proposition de révision du cadre financier pluriannuel introduit plus de flexibilité et de réactivité, ce qui est indispensable pour s’adapter à une réalité changeante. Je le dis souvent, le temps économique va beaucoup plus vite que le temps politique. Songeons à la crise des réfugiés qui a obligé l’Europe à dégager de nouveaux moyens financiers. Mais nous devons aussi rester vigilants sur le risque d’une hausse du montant des contributions nationales d’ici à 2020.
Nous ne pouvons examiner le budget européen sans poser la question des conséquences du retrait du Royaume-Uni, qui est l’un des principaux contributeurs nets. Or de nombreuses incertitudes demeurent. François Marc a appelé, à juste titre, notre attention sur ce point. La dépréciation de la livre sterling d’environ 15 % a déjà entraîné, en 2016, un manque à gagner estimé à 1, 8 milliard d’euros pour le budget européen. La Commission européenne a, en conséquence, provisionné 1, 1 milliard d’euros d’amendes, mais il existe toujours un risque de report négatif sur le budget 2017.
Je dois donc vous interroger, monsieur le secrétaire d’État : pourquoi aucun mécanisme spécifique n’a été prévu pour se prémunir contre les risques de change entre l’euro et la livre sterling ? Un tel mécanisme sera-t-il mis en place à l’avenir ? Je souhaiterais avoir votre réponse sur ce point précis.
Enfin, nous devons nous poser la question du mode de financement du budget européen. Le traité prévoit qu’il doit être financé par des ressources propres. Qu’en est-il en réalité ? Plus des trois quarts du financement est assuré par des contributions des États membres en fonction de leur richesse respective. Nous dénonçons depuis longtemps cette situation. Elle produit des marchandages permanents entre les États, qui restent obsédés par leur solde net entre ce qu’ils versent et ce qu’ils reçoivent – nous sommes loin de l’esprit de solidarité qui a présidé à la naissance de l’Europe ! Elle ne permet pas de doter le budget de recettes sûres et évolutives. Elle concourt à maintenir le budget de l’Union à un niveau dérisoire par rapport aux ambitions affichées dans les traités.
On voit bien les défis immenses que doit relever l’Union européenne : la crise migratoire, la compétitivité et l’innovation, l’union de l’énergie, le marché unique du numérique, les crises agricoles... Certes, toutes les réponses ne sont pas financières. Mais peut-on répondre à ces défis avec un budget qui ne dépasse pas 1 % du PIB européen ?
Le renforcement des ressources propres est donc un enjeu essentiel. C’est pourquoi nous serons très attentifs aux propositions du groupe à haut niveau présidé par Mario Monti, que nous recevrons avec la commission des finances en janvier prochain.
François Marc nous a exposé les idées qui circulent : développer l’impôt sur les sociétés sur la base d’une assiette harmonisée et consolidée, l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés ou ACCIS – deux directives feront l’objet d’une étude particulière du rapporteur général, ce qui nous ravit ! – ; créer une fiscalité écologique – une de plus ! – ; recourir à la taxe sur les transactions financières – ce n’est pas très populaire par les temps qui courent ! – ou encore corriger le manque à gagner massif du fait des fraudes à la TVA – une assez bonne solution.
Les préconisations du groupe Monti devront aboutir à des décisions ambitieuses. C’est la condition pour que le budget de l’Union gagne en clarté, en légitimité et en volume. Le Sénat sera très attentif à ces propositions.