Le rapport pour avis que je vous présente porte principalement sur les crédits du projet de loi de finances initial pour 2017 de la justice judiciaire, au sens étroit du terme, et de l'accès au droit. Il englobe donc l'ensemble des crédits des juridictions judiciaires ainsi que ceux de l'École nationale des greffes et la subvention versée à l'École nationale de la magistrature.
Le budget de la justice judiciaire augmente, en crédits de paiement, de 3,7 %, pour atteindre 3,329 milliards d'euros, soit 80 % des 4,113 milliards de l'ensemble des programmes examinés dans le cadre de cet avis, dont les crédits de paiement augmentent globalement de 4,8 % et les autorisations d'engagement de 4,4 %.
Le schéma d'emplois repose sur la création nette de 600 emplois, soit presque quatre fois plus que l'an passé, dont 465 emplois pour les greffes. Le solde des entrées et sorties de magistrats pour 2017, en fin d'année, serait lui aussi positif, puisqu'il s'élèverait à 238 emplois, principalement en raison de l'effort accompli dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme - seuls 32 emplois supplémentaires n'y sont pas dédiés. En dehors de ces 32 emplois nouveaux, une bonne partie des créations nettes d'emplois annoncées dépendent de redéploiements et d'économies de postes dont l'annonce, pour certains d'entre eux, peut paraître prématurée. Je pense aux économies escomptées de la mise en oeuvre de certaines dispositions de la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, comme le transfert des pactes civils de solidarité (PACS) aux officiers de l'état civil ou la suppression de l'homologation obligatoire par le juge des plans de surendettement, qui libéreraient 108 emplois susceptibles d'être redéployés. Toutefois ces deux réformes n'entreront en vigueur que le 1er novembre 2017 pour la première et le 1er janvier 2018 pour la seconde.
En outre, une interrogation demeure sur la prise en compte, dans le budget, des emplois supplémentaires dus à la mise en oeuvre de la réforme relative aux mesures de rétention des étrangers, qui modifie les conditions d'intervention du juge des libertés et de la détention.
Le programme « Accès au droit et à la justice » voit sa dotation budgétaire augmenter de plus de 12 %, aussi bien en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement. On constate notamment une augmentation de 40 millions des crédits dévolus à l'aide juridictionnelle, qui passeraient de 330 à 370 millions d'euros, complétée par la hausse des recettes affectées à cette fin au Conseil national des barreaux. Ce dernier a pour mission de reverser ces fonds aux caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats, lesquelles assurent le règlement aux avocats des rétributions correspondant à l'aide juridictionnelle.
Le budget de l'aide juridictionnelle atteindra 453,9 millions en 2017, dont 370,9 millions de crédits budgétaires et 83 millions de ressources extrabudgétaires.
Un amendement gouvernemental adopté à l'Assemblée nationale a porté le montant de l'unité de valeur de référence à 32 euros, soit une augmentation de plus de 20 % entre 2016 et 2017, et de 42 % depuis 2015. En outre, cette unité de valeur n'est plus modulable géographiquement.
Dans le domaine de l'accès au droit et à la justice, les crédits de paiement consacrés au « Support à l'accès au droit et à la justice » au sein du programme « Justice judiciaire », qui comprennent les dépenses salariales relatives au personnel judiciaire affecté au réseau judiciaire de proximité, régressent de 14,5 %, ce qui soulève une question s'agissant de l'affectation du personnel judiciaire dans les structures nouvellement créées.
Les crédits consacrés à l'aide aux victimes continuent d'augmenter - un montant de 10 millions d'euros est dédié au financement d'actions spécifiques dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme -, tout comme les crédits dédiés à la médiation familiale, qui augmentent de 23 %.
S'agissant des dépenses de personnel liées au programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice », 80 emplois supplémentaires devraient être créés au sein de l'administration centrale du ministère de la justice, dont 30 au titre du plan de lutte contre le terrorisme et 50 au bénéfice d'une réforme du secrétariat général.
Pour ce qui concerne l'immobilier, le regroupement des services de l'administration centrale sur deux sites parisiens - le parc du Millénaire, dans le 19ème arrondissement et la place Vendôme - devrait s'achever en 2017.
Si le budget de la justice est globalement en augmentation, la situation des juridictions reste difficile. Beaucoup d'entre nous en visitent régulièrement et savent ce qu'il en est de la justice au quotidien.
Le délai moyen de traitement des affaires continue d'augmenter pour l'activité civile des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance, même si la hausse est plus faible qu'auparavant. Il en a été de même pour les conseils de prud'hommes, entre 2014 et 2015, ainsi que pour les affaires de première instance en matière pénale, dont le délai de traitement a augmenté de 1,6 mois pour les cours d'assises entre 2013 et 2014. Le délai a augmenté également devant les cours d'appel entre 2014 et 2015. Nous savons tous, cependant, qu'il faut prendre ces indicateurs avec beaucoup de prudence : d'une juridiction à une autre, d'une affaire à une autre, les situations peuvent être différentes.
La loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, qui déjudiciarise certaines procédures, devrait améliorer cette situation, avec, notamment, la sanction systématique de certaines infractions routières par une amende forfaitaire, l'instauration du divorce par consentement mutuel sans juge et quelques autres mesures comme l'enregistrement des PACS par l'officier de l'état civil.
Mais d'autres textes accroissent les tâches des juridictions. Ainsi, les contestations des placements en centre de rétention administrative passent du juge administratif au juge des libertés et de la détention.
À noter également la sous-consommation récurrente, singulièrement sur les postes de magistrats, du plafond des emplois de la justice. Le taux de consommation du plafond d'emplois pour l'ensemble du programme « Justice judiciaire » était de 98,1 % en 2014 et de 97,3 % en 2015, ce qui représente une différence de 854 équivalents temps plein par rapport au plafond, contre 604 l'année précédente.
De ce fait, on assiste à un recours croissant aux agents vacataires pour des fonctions allant de l'assistant de justice - 232 vacataires en 2010, 867 en 2015 - au juge de proximité - 213 en 2010, 362 en 2015. Cette tendance va sans doute perdurer, en dépit des créations d'emplois intervenues. On remarque également une dégradation pour les postes de fonctionnaires en juridictions ou dans les services administratifs régionaux, avec un taux de vacance d'emplois passé de 4,83 % en 2008 à 7,6 % en 2016 pour les fonctionnaires et de 2,73 % à 5,99 % pour les magistrats, pour la même période.
Quelques mots sur les frais de justice, qui constituent un problème récurrent : certains auxiliaires de justice attendant trop longtemps le paiement de leurs honoraires - je pense notamment aux interprètes.
Selon le rapport annuel de performance pour 2015, les montants non payés en fin d'année étaient de 156,8 millions en 2014 et de 133,8 millions en 2015. Pour 2017, une enveloppe de 474,6 millions est prévue pour les frais de justice, en augmentation de 11,6 millions par rapport à la dotation initiale pour 2016, mais en recul de 12,7 millions par rapport à la consommation réelle au titre de cet exercice. Il faudra surveiller ce point.
Des économies sont attendues, grâce notamment à la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) et à la réforme de la médecine légale, mais l'inflation continue des frais de justice risque, au moins à court terme, de se poursuivre.
Le projet de loi de finances prévoit une augmentation de 10 % des crédits dédiés au fonctionnement des juridictions, destinée à accompagner la hausse des effectifs, mais aussi à financer les mesures de mise en sûreté des bâtiments dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Les dépenses d'investissement augmentent plus fortement, de 13 % en crédits de paiement et de 111 % en autorisations d'engagement.
Tel sont les principaux éléments du projet de budget des services judiciaires. Notre justice est toujours insuffisamment dotée, eu égard à ses besoins et à la comparaison de son budget à celui des pays voisins - nos systèmes judiciaires sont différents, et il faut se méfier de telles comparaisons ; malgré tout, il est clair que nous sommes toujours les bons derniers des pays occidentaux.
Néanmoins, compte tenu de l'augmentation sensible du budget, et afin de permettre la mise en oeuvre des nouveaux recrutements, qui sont liés notamment au plan de lutte contre le terrorisme, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes étudiés, ainsi qu'à l'article 57 du projet de loi de finances qui lui est rattaché.