Intervention de André Reichardt

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 novembre 2016 à 9h40
Projet de loi de finances pour 2017 — Mission « économie » - programme « développement des entreprises et du tourisme » - examen du rapport pour avis

Photo de André ReichardtAndré Reichardt, rapporteur pour avis :

Le programme « Développement des entreprises et du tourisme » regroupe l'ensemble des dépenses fiscales consacrées aux entreprises, ainsi que les crédits destinés à la protection des consommateurs et à la régulation concurrentielle des marchés. Sa mise en oeuvre incombe, pour une large part, à la direction générale des entreprises (DGE) et à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en administration centrale et dans les services déconcentrés, ainsi qu'à l'Autorité de la concurrence.

En dépit d'une hausse apparente en raison de variations de périmètre, ce programme connaîtra une nouvelle réduction de ses crédits en 2017. À périmètre constant, les autorisations d'engagement devraient diminuer d'environ 2,5 % et les crédits de paiement de plus de 1 %. En raison de ces effets de périmètre, les crédits du programme vont toutefois atteindre le milliard d'euros.

Cette année, dans la continuité de l'année précédente, j'ai plus spécialement étudié la mise en oeuvre par l'Autorité de la concurrence de ses nouvelles prérogatives à l'égard des professions réglementées du droit. J'ai aussi poursuivi mon étude des politiques d'accompagnement des entreprises dans les territoires. Enfin, je me suis interrogé sur les missions de la nouvelle Agence France Entrepreneurs (AFE) et sur la reconfiguration du dispositif gouvernemental en matière d'intelligence économique.

Après plusieurs années d'érosion régulière de ses crédits et de ses effectifs, ce qui a fragilisé ses capacités de contrôle, l'Autorité de la concurrence devrait, comme en 2016, bénéficier d'une hausse importante de son budget afin de soutenir ses missions à l'égard de certaines professions juridiques et judiciaires réglementées, qui lui ont été confiées par la « loi Macron » du 6 août 2015. Pour l'exercice de ses nouvelles missions, l'Autorité a été amenée à créer au sein de ses services une unité dédiée aux professions règlementées, composée de sept agents et comportant des juristes, des économistes et des agents provenant de la DGCCRF, dont le recrutement a été engagé à la fin de l'année 2015. Le plafond d'emplois de l'Autorité a été relevé à 192 au 1er janvier 2016, soit 10 emplois supplémentaires par rapport à l'année précédente, et devrait passer à 197 au 1er janvier 2017.

Conformément à la « loi Macron », l'Autorité de la concurrence doit rendre un avis sur les tarifs des commissaires-priseurs judiciaires, des greffiers de tribunal de commerce, des huissiers de justice, des administrateurs et mandataires judiciaires et des notaires, ainsi que sur les droits et émoluments des avocats en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires. Elle doit aussi rendre un avis sur la liberté d'installation des notaires, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires, comportant des recommandations pour augmenter « de façon progressive » le nombre d'offices et une cartographie pour définir des zones d'implantation de nouveaux professionnels, ainsi qu'un avis sur la liberté d'installation des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, comportant des recommandations pour augmenter de même le nombre d'offices. Ces avis doivent être rendus tous les deux ans.

À ce jour, l'Autorité a rendu plusieurs des avis requis par la loi mais deux avis sont encore attendus d'ici la fin de l'année.

Entendu par votre rapporteur, la nouvelle présidente de l'Autorité a indiqué, s'agissant des tarifs, que la préférence de l'Autorité allait vers une méthode globale de fixation des tarifs, permettant une certaine mutualisation entre les tarifs des différents actes. Hélas, le Conseil d'État a jugé que la tarification devait être appréhendée acte par acte, de sorte que les premiers textes tarifaires se sont bornés à moduler à la baisse les tarifs existants, faute de temps pour procéder à une évaluation des coûts directs et indirects acte par acte. Cette seconde méthode sera mise en oeuvre d'ici la prochaine révision des tarifs, mais sera plus complexe et devra s'appuyer sur une comptabilité analytique fiable chez les professionnels concernés.

Concernant l'installation des notaires, l'Autorité a recommandé une augmentation de 20 % du nombre de notaires titulaires ou associés d'ici 2018, soit 1 650, progression qui m'apparaît particulièrement ambitieuse. Dans deux ans, l'Autorité se prononcera à nouveau sur l'installation des notaires, au vu du bilan de la phase actuelle.

Il faut relever que le Gouvernement s'en est remis entièrement à l'appréciation formulée par l'Autorité de la concurrence dans les textes réglementaires qu'il a pris en application de la loi du 6 août 2015, s'agissant des tarifs comme du nombre de nouveaux notaires et de leurs zones d'installation. Ainsi, le Gouvernement a identifié un total de 247 zones sur 307 pour l'installation des 1 650 nouveaux notaires d'ici 2018. Pour établir une certaine progressivité, il a prévu la création de 1 002 nouveaux offices au plus la première année. Je m'interroge sur l'absence de critères sérieux relatifs à la progressivité, pourtant prévus dans la loi : 20 % en deux ans, c'est énorme !

Concernant les tarifs, le Gouvernement a fait le choix d'une baisse homothétique de 2,5 % de tous les tarifs existants, reportant à la prochaine révision des tarifs la mise en place d'une tarification intégrant les coûts acte par acte.

Le Conseil supérieur du notariat (CSN) critique cette approche systématique, considérant que le tarif actuel ne couvrait déjà pas aujourd'hui le coût de revient de certains actes, au risque de fragiliser l'équilibre économique de certains petits offices, notamment ruraux, qui ne pratiquent pas d'importantes transactions immobilières. Plusieurs centaines d'offices étaient déjà en difficulté avant même cette loi. Le CSN s'interroge pour l'avenir : il estime que la création massive de nouveaux offices sur une brève période risque d'allonger les délais pour atteindre l'équilibre économique dans les nouveaux offices et globalement de fragiliser davantage les petits offices. Le CSN a formé un recours contre l'arrêté délimitant les zones d'installation, contestant la notion statistique de bassin d'emploi retenue par l'Autorité de la concurrence, puis le Gouvernement.

S'agissant des huissiers de justice, la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ) a exprimé des critiques et des interrogations sur la méthode retenue par l'Autorité de la concurrence.

Ces professions considèrent que l'Autorité a été exclusivement guidée par une exigence de renforcement de la concurrence entre les professionnels, méconnaissant la spécificité de leurs métiers. Ce nouveau processus apparaît très complexe puisqu'il se partage entre l'Autorité de la concurrence, le ministère de la justice et celui de l'économie. Le rôle décisionnel semble largement dilué, même si l'Autorité est moteur dans le processus, mais quid de la DGCCRF, qui se préoccupe des tarifs, et de la chancellerie qui semble rester en retrait ?

De plus, le dialogue semble difficile et très complexe entre l'Autorité de la concurrence et les professions dont elle a désormais la charge. Du point de vue de la méthode, la présidente de l'Autorité a précisé que des échanges réguliers et fournis avaient eu lieu avec les représentants de la profession tout en précisant qu'aucun projet d'avis ne leur avait été soumis au préalable, dans la mesure où le rôle de l'Autorité n'est que consultatif. Une phase contradictoire sur un projet d'avis aurait amélioré le dialogue avec les professions, d'autant que le Gouvernement s'en est entièrement remis in fine à l'avis de l'Autorité dans ses textes réglementaires.

En conclusion, je constate que l'Autorité se retrouve de facto, en raison des choix réglementaires faits par le Gouvernement qui s'en est remis à sa seule analyse, au centre d'un mécanisme de régulation plus administré, lourd et complexe qu'auparavant, en particulier pour les professions concernées, au nom pourtant d'une plus grande liberté d'activité et d'installation des membres de ces professions. Je suis réservé sur cette façon de faire.

Dans la continuité de mes analyses de l'année dernière, je me suis intéressé aux services déconcentrés de la DGE, c'est-à-dire le « pôle 3E » des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRRECTE), ainsi qu'à la réorganisation du dispositif gouvernemental en matière d'intelligence économique. Enfin, j'ai tenu à étudier la nouvelle Agence France Entrepreneurs (AFE), qui a pris la suite de l'Agence pour la création d'entreprises (APCE).

Dans ces domaines, au vu de mes auditions, je ne peux que réitérer les éléments de constat que j'avais formulés l'année dernière : j'émets un doute sérieux quant à l'efficacité de la pluralité des acteurs et de leur coordination dans l'accompagnement des entreprises sur les territoires. Comment l'État peut-il maintenir une présence de proximité pour les PME et les ETI ? Je m'interroge sur la capacité des services déconcentrés à continuer à assumer dans les territoires des missions de développement économique et d'accompagnement des entreprises. La « loi NOTRe » du 7 août 2015 charge les régions d'être les principaux soutiens des entreprises dans les territoires. Elles sont en train d'élaborer leurs schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII). Une clarification du partage des responsabilités entre l'État et les régions doit intervenir. Si l'État doit conserver au niveau national un rôle stratégique d'impulsion et de soutien aux filières, dans le cadre d'une politique économique et industrielle nationale, il appartient aux régions d'exercer la responsabilité des différentes composantes de l'action économique de proximité auprès des PME et des ETI. Cette clarification doit être assortie d'une réelle rationalisation des différents acteurs publics compétents, sous la prééminence des régions, et pourrait se traduire par un transfert d'agents de l'État vers les régions. À chaque fois que j'ai évoqué cette solution, mes interlocuteurs m'ont répondu qu'il était urgent d'attendre. Un nouveau modèle d'action économique local doit être élaboré et il appartient à l'État d'anticiper cette évolution. Vu la restriction des fonds publics, plutôt que de maintenir une administration déconcentrée dont les capacités d'action se réduisent année après année, pourquoi ne pas en tirer les conséquences ? La réforme envisagée du pilotage des pôles de compétitivité s'inscrit d'ailleurs dans la perspective d'une telle évolution, mais je déplore que le Gouvernement n'ait pas encore arbitré une telle réforme, alors que les régions sont en train d'élaborer leurs SRDEII. Il convient de rééquilibrer les rôles respectifs de l'État et des régions dans le pilotage des pôles, puisque la « loi NOTRe » a confié à ces dernières une mission de soutien du fonctionnement des pôles.

S'agissant de l'AFE, je considère que sa création et la montée en puissance des crédits qui lui sont attribués témoignent d'une dispersion des acteurs publics et donc de leurs moyens dans le champ du soutien aux entreprises, alors que la priorité devrait porter sur leur rationalisation et leur simplification. À la fin de 2015, l'AFE a pris la suite de l'APCE, dont la pérennité avait même un temps été discutée, compte tenu de son coût pour le budget de l'État au regard des actions réalisées. Or, l'AFE reprend les missions de l'APCE et en ajoute de nouvelles avec la lutte contre les inégalités territoriales en matière de développement économique et le renforcement de l'accompagnement des jeunes entreprises. Cette agence dispose en 2016 de 6 millions de budget, mais le projet de loi de finances rectificative pour 2016 devrait lui attribuer une enveloppe de 20 millions de crédits d'intervention supplémentaires pour financer des organismes de soutien à la création d'entreprises ainsi que des projets nationaux, sans plus de précisions. Je formule les plus vives réserves sur une telle organisation dotée de crédits importants, alors que la réduction des crédits publics devrait inciter à la rationalisation des actions.

S'agissant du nouveau dispositif gouvernemental en matière d'intelligence économique, le Gouvernement a remplacé début 2016 une délégation interministérielle à l'intelligence économique rattachée à Matignon par un service ministériel, rattaché à Bercy, de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE). Je m'interroge sur les missions de cette nouvelle entité administrative placée sous la direction d'un commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques, directement rattaché au ministre et doté de certaines compétences interministérielles. Comprenne qui peut... Cette rationalisation apparaît comme un recentrage, voire un repli, du dispositif gouvernemental sur une approche plus régalienne de la question de l'intelligence économique. J'ai interrogé les chambres de commerce et le Medef : certes l'intelligence économique concerne l'État dans la mesure où il convient d'identifier les entreprises stratégiques et d'éclairer les décisions économiques de l'État, par exemple lors d'une cession d'une entreprise française à un investisseur étranger, mais quid des missions qui intéressent plus directement les entreprises elles-mêmes comme leur sensibilisation et leur accompagnement à l'intelligence économique ? Il est surprenant de créer un tel service aux missions recentrées mais restreintes, alors que, selon mes auditions, les entreprises ont besoin de pédagogie sur ces enjeux d'intelligence économique, qui sont aussi un facteur de compétitivité, tant d'un point de vue défensif qu'offensif. Dans ces conditions, je m'interroge sur la mission des 22 correspondants régionaux actuels du SISSE, placés au sein des DIRECCTE. Que vont-ils faire ?

Alors que notre commission, sur ma proposition, avait émis un avis favorable sur les crédits de ce programme l'an passé, je suis malheureusement obligé d'être plus sévère cette année en vous proposant de rejeter ces crédits. J'espère que l'État va enfin anticiper les conséquences de la « loi NOTRe ».

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