Le rapport contient un certain nombre d'informations sur les estimations du nombre de reprises et de transmissions d'entreprise, que celles-ci soient réalisées par des salariés, au sein de la famille, etc. J'ai essayé de regrouper de manière assez synthétique l'ensemble des informations actuellement disponibles.
Malheureusement, je n'ai pas eu accès à toutes les données auxquelles j'aurais souhaité accéder, notamment à des données retraitées par le cabinet Altarès pour le cabinet du Premier ministre. Altarès n'a jamais répondu à ma demande. Sa base de données est pourtant intéressante, car un peu plus « microstructurée » : les chiffres d'affaires et le type de repreneur des entreprises reprises ou transmises y figurent de manière précise.
Néanmoins toutes les informations dont j'ai pu disposer par ailleurs semblent converger dans leur évaluation du nombre de reprises, quelle que soit leur nature.
La première mesure que l'on nous avait demandé d'évaluer était un passage de 75 à 90 ou 100 % de l'abattement Dutreil. Selon les données de BPCE L'Observatoire, il y a eu, en 2013, 55 transmissions familiales d'entreprises de taille intermédiaire (ETI), 2 642 de petites et moyennes entreprises (PME) et 8 750 de très petites entreprises (TPE). Nous avons cherché à évaluer le coût, en termes de recettes fiscales, de la mise en place de la mesure. Nous avons repris le montant moyen de la transaction par catégorie d'entreprise qui figure dans l'étude du BODACC et nous avons supposé que les transmissions concernaient environ 1,5 enfant. En utilisant le barème progressif du système d'imposition, le passage de l'abattement Dutreil de 75 % à 90 % donne un coût fiscal implicite moyen, pour chaque transmission, de 73 000 euros par ETI, de 6 500 euros par PME et de 3 100 euros par TPE, soit un coût fiscal total de 48,3 millions d'euros par an. En cas de passage à 100 %, le coût fiscal passerait à 61,3 millions d'euros, soit un coût fiscal additionnel de 13 millions d'euros.
Il est possible que ces chiffres soient légèrement erronés au niveau des arrondis -l'ajustement pourrait être de 3 ou 4 millions d'euros-, mais l'ordre de grandeur semble correct.
Notre évaluation n'est pas négative, mais elle est relativement mitigée, puisque, avec le taux de 75 % du pacte Dutreil actuel et compte tenu de la progressivité de l'impôt, l'économie fiscale est d'ores et déjà, pour les cédants, de 85 %. Le passage à 90 ou 100 % aurait donc des conséquences quelque peu marginales.
Par ailleurs, il semble que l'abattement existant ne concerne que les transmissions familiales. Il faudrait peut-être réfléchir à un dispositif un peu plus global.
À ce point de mon discours, je tiens à préciser que chacune des mesures dont nous avons étudié les incidences concerne des individus totalement différents dans le paysage de l'économie française. Il ne faut donc pas chercher à les comparer entre elles.
La deuxième mesure, très intéressante, consiste en un déblocage anticipé de l'aide à la reprise ou à la création d'entreprise (ARCE) des demandeurs d'emploi accompagnés.
Selon une étude de l'Unedic, réalisée en 2011, 12 % des 110 000 projets de reprise ont été aidés, soit 13 200 projets. On note également que 95 % des projets démarrent effectivement et que seuls 4 % de ces projets ne touchent pas le second versement ; si les montants de l'aide ont varié au fil du temps, cette dernière fait toujours aujourd'hui l'objet de deux versements successifs de même montant.
Nous avons utilisé l'étude de la Direction générale du Trésor pour ce qui concerne le taux de survie des entreprises à cinq ans, lequel se situe à environ 62 %. Pour évaluer l'impact de la mesure, nous avons envisagé deux hypothèses pour l'augmentation du taux de reprise à cinq ans : une hypothèse basse, à 65 %, et une hypothèse haute, alignée sur le taux de survie des reprises par des salariés - c'est-à-dire le plus favorable -, à 75 %.
La mise en place de la mesure permettrait de préserver 361 TPE et 1 152 emplois dans l'hypothèse basse et 1 565 TPE et 4 992 emplois dans l'hypothèse haute. Le coût de financement par emploi s'élèverait à 437 euros dans l'hypothèse basse et à 80 euros dans l'hypothèse haute. Les résultats sont donc relativement intéressants, en termes de nombre d'emplois et d'entreprises préservés, pour une mesure en définitive peu coûteuse.
La troisième mesure - le développement du crédit-vendeur - est très différente. Il s'agit d'échelonner le paiement des impôts sur les plus-values de cession des TPE. Je rappelle que cette mesure est en place depuis janvier 2016.
Pour en mesurer l'impact, nous avons cherché à calculer le nombre d'entreprises reprises ayant moins de 10 salariés et - c'est là que le bât blesse - un chiffre d'affaires inférieur à 2 millions d'euros potentiellement éligibles à ce dispositif. Malheureusement, je n'ai pas pu accéder aux chiffres d'affaires exacts des entreprises reprises. Malgré tout, on sait que près de 86,5 % des entreprises reprises sont des TPE, et on peut légitimement supposer que, parmi celles-ci, le nombre de TPE ayant un chiffre d'affaires supérieur à 2 millions d'euros reste relativement faible. J'ai donc décidé, de manière un peu arbitraire, de réduire très faiblement le chiffre à 85 % des reprises, de manière à aboutir à une évaluation correcte.
Dans ce cas de figure, toutes les reprises sont potentiellement concernées : 85 % des 39 835 reprises peuvent bénéficier du crédit-vendeur, soit 33 860 unités. Là aussi, j'ai envisagé plusieurs configurations : divers taux de recours au crédit-vendeur, entre 10 % et 100 %, et diverses distributions de durée pour les crédits-vendeur mis en place, avec des durées variant de un à cinq ans.
Les résultats sont relativement faibles, mais assez significatifs. Évidemment, plus les durées sont longues, plus la survie est importante - c'est l'hypothèse de départ -, mais, de manière très intéressante, plus le dispositif est utilisé, plus les reprises pérennisées seront importantes. En termes de nombre d'emplois préservés, les chiffres peuvent aller de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers. La mesure nous semble donc positive, compte tenu de son coût relativement mesuré.
La quatrième mesure consiste en un allégement de la fiscalité pour les donations partielles à des salariés, une mesure qui nous a semblé très intéressante. Nous avons dû considérer le nombre d'entreprises qui n'avaient pas été reprises et qui avaient donc naturellement disparu du marché, sur la base de données produites par l'Observatoire CRA (Cédants & repreneurs d'affaires) et datant de 2014. Cette étude montre qu'environ 11 500 entreprises ne sont pas reprises chaque année, sur un total d'environ 45 000 entreprises à reprendre.
Nous avons réfléchi à partir de l'hypothèse de travail suivante : les entreprises qui n'ont pas été reprises auraient-elles éventuellement pu survivre ? Sans être schumpétérien, on sait que le phénomène de création-destruction d'entreprises suscite en général un grand dynamisme dans les économies, quelles qu'elles soient, en termes de PIB, ou encore d'emplois. Autrement dit, les destructions d'entreprises ne sont pas nécessairement négatives.
Cette hypothèse étant relativement « forte », nous en avons envisagé une seconde pour évaluer l'impact de la mesure dans un intervalle limité. Que se passerait-il si la mesure permettait de préserver entre 1 à 10 % maximum des TPE concernées non reprises qui auraient disparu ? Dans ce cas de figure, 1 150 entreprises, au mieux, pourraient être sauvées via cet allégement. Nous avons dû inférer le nombre d'emplois sauvegardés de l'effectif moyen des transmissions figurant dans l'étude de la Direction générale du Trésor, soit environ 3 700 emplois dans le meilleur des cas.
In fine, cette mesure reste relativement positive : son coût direct est nul, puisque les entreprises concernées auraient disparu si on ne l'avait pas mise en place. Avec un avantage fiscal potentiel de l'abattement de 300 000 euros, le manque à gagner fiscal serait de l'ordre de 35,3 millions d'euros - mais je souligne que les recettes fiscales actuelles sont nulles, puisque les entreprises ne sont pas reprises.
Toutefois, le manque à gagner fiscal pour les entreprises qui auraient bénéficié de cette mesure et qui auraient, de toute façon, procédé à une donation sans l'abattement n'a pas pu être évalué : nous ne sommes pas capables de dire, de manière suffisamment désagrégée, quelles entreprises ont été transmises à des salariés, à des personnes physiques tierces ou à de la famille. Mon intervalle de confiance aurait dû s'établir entre 15 et 100 % des entreprises - en d'autres termes, quasiment toutes les entreprises.