Intervention de Jean-Michel Baylet

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 1er décembre 2016 à 16h20
Projet de loi de modernisation de développement et de protection des territoires de montagne — Audition de M. Jean-Michel Baylet ministre de l'aménagement du territoire de la ruralité et des collectivités territoriales

Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales :

C'est un bonheur que de me retrouver pour la troisième fois devant votre commission où les débats sont toujours denses, intéressants et sérieux. Cette audition m'offre le plaisir de vous présenter le projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne. Monsieur le président, il est vrai que nous sommes allés vite. Cependant, on nous reproche souvent aux uns comme aux autres, Gouvernement et Parlement, de mettre trop de temps à faire la loi, de sorte que nous ne pouvons que nous féliciter quand nous parvenons à mener nos projets avec célérité.

Ce texte a été adopté à l'unanimité moins une voix, à l'Assemblée nationale. Quand on sait que c'est Jean Lassalle qui a voté contre, cet homme de tempérament, truculent, qui aime à « se distinguer pour qu'on le remarque », selon ses propres dires, on peut considérer que si les votes n'ont pas été unanimes, l'adhésion au texte l'a été.

À l'Assemblée nationale, nous avons mené nos travaux dans un esprit de concertation et d'ouverture. J'ai rencontré Laurent Wauquiez, alors président de l'Association nationale des élus de montagne (Anem), Annie Genevard, mais aussi Marie-Noëlle Battistel et Bernadette Laclais, l'une membre du groupe Les Républicains, l'autre du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui avaient préparé ensemble une proposition de loi dont le Premier ministre a souhaité faire un projet de loi. Nous avons travaillé ensemble, dans un esprit transpartisan, pour définir la meilleure manière de faire prospérer notre projet dans des délais brefs. Le quinquennat touchant à sa fin, nous avons choisi de procéder en urgence, et la majorité et l'opposition ont travaillé main dans la main pour co-construire le texte.

Trente ans après le vote de la loi Montagne, en 1985, qualifiée de loi fondatrice, tous s'accordaient sur la nécessité de son actualisation. Non pas pour remettre en cause ses principes fondateurs - je veux parler de l'équilibre entre les enjeux relatif au développement de ces territoires et l'impératif de protection d'un environnement qui reste fragile - mais pour tirer les conséquences des évolutions importantes que la société a connues depuis 1985, tant sur les plans économique, environnemental et social, que dans les modes de vie et les besoins de nos concitoyens. Le déploiement du numérique et de la téléphonie sur l'ensemble du territoire suscite notamment l'impatience légitime de la population, car c'est un enjeu essentiel pour le développement économique et social.

Le rapport que le Premier ministre avait demandé à vos collègues députés nous a été remis en septembre 2015. Il a fait consensus et s'est imposé comme le support d'un projet de loi visant à refonder le pacte entre l'État et les territoires de montagne.

En plus de désigner deux rapporteures à l'Assemblée nationale, nous les avons choisies l'une dans l'opposition, l'autre dans la majorité, et nous avons veillé à associer tous les acteurs, députés, représentants de l'Anem, membres de mon cabinet, mais aussi plusieurs sénateurs. L'accord avec l'Anem a également porté sur le calendrier, puisque nous voulions que le texte soit adopté avant la fin du quinquennat, ce qui supposait un examen au Parlement dans le cadre de la procédure accélérée.

Le texte présenté par le Gouvernement comprenait 25 articles, organisés autour de quatre grands axes qui font, chacun, l'objet d'un titre distinct.

Le titre 1er englobe les dispositions qui prennent en compte les spécificités des zones de montagnes, et celles pouvant exister dans chaque massif. Il réaffirme le principe d'adaptation des politiques publiques à ces particularités, éventuellement sous la forme d'expérimentations.

Le Conseil national de la montagne est renforcé dans ses missions et dans sa représentation grâce à la désignation d'un vice-président, par ailleurs président de la commission permanente, qui assurera un fonctionnement plus régulier de cette instance. Ce dernier pourra désormais saisir directement le Conseil national de l'évaluation des normes.

Le renforcement des institutions concerne également les comités de massif : il est pris acte, notamment, des modalités de leur association à l'élaboration des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SDREII), et des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET).

La question du numérique et de l'accès à la téléphonie mobile, qui se pose avec plus d'acuité encore dans les zones de montagne, a nourri le débat à l'Assemblée. Le premier chapitre du titre II vise à adapter les investissements publics aux fortes contraintes du relief, par exemple en facilitant l'expérimentation de technologies alternatives à la fibre. Je pense aux connexions radio ou satellitaires, qui ont connu des innovations notables ces dernières années.

J'en profite pour rappeler, en sortant du cadre de ce texte, qu'avec le programme de résorption des zones blanches, l'État prend en charge l'intégralité du coût de construction des pylônes permettant aux opérateurs de relier les centres-bourgs au réseau mobile, au minimum en 3G, d'ici à mi-2017.

En dehors des centres-bourgs, 1 300 sites seront également équipés en 3G, puis en 4G, d'ici à 2019. L'État participe au financement des pylônes à hauteur de 75% pour ceux qui sont situés en zone de montagne, ce qui représente 42,5 millions d'euros de subventions.

Autres sujets d'importance pour les territoires de montagne, le travail saisonnier et la pluriactivité, qui font l'objet du chapitre II. Plusieurs mesures visent à une meilleure prise en compte de ces particularités, que ce soit dans la formation professionnelle des salariés concernés ou dans leur accès aux services.

L'expérimentation d'un dispositif d'activité partielle pour les agents contractuels saisonniers de régie est également proposée, afin de mieux sécuriser les parcours professionnels tout en fiabilisant le fonctionnement des régies dans les stations de ski.

Enfin, pour répondre aux difficultés que les saisonniers rencontrent dans l'accès au logement - dont les conséquences sont trop souvent dramatiques - plusieurs actions sont proposées : la mobilisation de logements vacants par les bailleurs sociaux pour les attribuer en intermédiation locative, ou la mise en place de plans d'action concertés entre les communes et les acteurs locaux du logement.

Favoriser le développement économique des massifs implique aussi d'encourager des secteurs vitaux pour la montagne : l'agriculture et le tourisme.

Parmi les mesures prévues, je veux citer la dérogation au transfert de compétence « promotion du tourisme » pour les communes classées « station de tourisme ». Vous le savez, la loi NOTRe a prévu de confier cette compétence aux EPCI, au plus tard au 1er janvier 2017. Cette disposition a suscité les craintes de certaines communes attachées à leur notoriété et à leur identité propre. Le Premier ministre les a entendues, lors d'un déplacement à Chamonix.

L'article 18, dans sa rédaction initiale, apportait une souplesse en permettant aux communes « stations classées de tourisme » ou en cours de classement de conserver cette compétence, sous réserve de l'adoption d'une délibération par le conseil municipal avant le 1er janvier 2017. Celles qui n'obtiendront pas ce label perdront le bénéfice de la mesure. Le débat à l'Assemblée a modifié les contours du dispositif, j'y reviendrai. Quoiqu'il en soit, l'application de cette dérogation suppose que le texte soit adopté avant la fin de l'année.

Toujours dans le secteur touristique, des assouplissements sont proposés pour faciliter la réhabilitation de l'immobilier de loisir. Il s'agit de lutter contre le phénomène dit des « lits froids », c'est-à-dire durablement inoccupés, qui s'est fortement développé ces dernières années. Couplée à la mesure du projet de loi de finances pour 2017, adoptée en première lecture à l'Assemblée et qui réoriente le dispositif fiscal « Censi-Bouvard » vers le soutien à la réhabilitation des résidences de tourisme, cette disposition devrait avoir un impact concret pour les propriétaires de résidences en montagne et favoriser la rénovation de l'existant plutôt que d'encourager, sans discernement, les constructions neuves.

Le projet de loi modifie également la procédure des unités touristiques nouvelles (UTN). J'ai souhaité, pour répondre à la demande de la présidente de l'Anem, que cette réforme, initialement prévue dans le cadre d'une ordonnance, telle que l'habilitait l'article 106 de la loi pour la croissance et l'activité d'août 2015, soit finalement inscrite dans ce projet de loi. La concertation engagée en amont avec l'Anem et les représentants des professionnels du secteur, dont Domaines skiables de France, s'est prolongée avec les députés tout au long du débat à l'Assemblée, avec intensité, pour parvenir à un point d'équilibre qui, je crois, est convenable.

S'agissant des politiques environnementales enfin, une disposition du projet de loi vise, dans les territoires de montagne, à renforcer le rôle des parcs naturels régionaux dans la mise en cohérence des politiques publiques, notamment afin d'améliorer la protection de la biodiversité.

Par ailleurs, et sans imposer une règlementation supplémentaire, il est prévu la possibilité de mettre en place des « zones de tranquillité » afin de concilier les différents usages tout en préservant le développement les espèces animales et végétales.

Sur cette base, l'intense débat parlementaire à l'Assemblée nationale a favorisé un réel enrichissement du projet de loi du Gouvernement. Il comportait 25 articles. Il en compte désormais 74. Les apports de l'Assemblée sont multiples.

S'agissant des grands principes du titre 1er, les députés ont souhaité préciser les objectifs spécifiques des politiques publiques dans les territoires de montagne, en détaillant les différents domaines d'intervention comme, par exemple, l'usage partagé de la ressource en eau, la prise en compte des temps de trajet dans l'organisation scolaire en montagne ou la représentation équitable des territoires de montagne.

De la même manière sont détaillés les domaines pour lesquels s'applique le principe d'adaptation de l'action publique. Les députés ont adopté plusieurs dispositions pour compléter le schéma régional de santé d'un volet prenant en compte les besoins spécifiques aux populations des territoires de montagne et les temps raisonnables d'intervention des secours. Ils ont également prévu la participation d'un membre du comité de massif au Conseil territorial de santé.

La place de l'agriculture, et plus particulièrement, le pastoralisme, est confortée à l'issue de l'examen à l'Assemblée, qui a entendu faciliter cette activité, notamment au travers de groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC).

Le projet de loi vise également à une meilleure reconnaissance de l'agriculture de montagne et des soutiens qui lui sont nécessaires.

S'agissant des grands prédateurs, après de longs débats très engagés, a été retenu un principe d'adaptation des moyens de lutte à la situation particulière de chaque massif, dans des termes qui atteignent désormais un point d'équilibre qu'il me semble utile de préserver.

S'agissant des « zones de tranquillité » envisagées dans la rédaction initiale, un accord a été trouvé en réservant aux seuls parcs nationaux la possibilité de créer des espaces de quiétude pour favoriser et protéger le développement d'espèces animales et végétales. Les parcs naturels régionaux ne sont donc plus concernés.

La partie du texte consacrée au numérique a donné lieu à d'intenses débats et à une multiplication d'amendements, visant à donner priorité aux territoires de montagne dans le cadre du programme de couverture des zones blanches ou à inciter au déploiement des services numériques. Sur cette question essentielle, vous connaissez ma position. Je reste ouvert à vos propositions si vous considérez qu'il faut aller plus vite, plus loin et plus fort dans la couverture des territoires de montagne.

En ce qui concerne la promotion des activités touristiques, les députés ont souhaité préciser la notion de « classement en cours ». Pour ma part, je ne reviendrai pas sur les élargissements adoptés même si je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'on en précise les modalités, la rédaction actuelle me semblant perfectible.

Un amendement a introduit une obligation d'information des copropriétaires en cas de vente d'un logement en résidence touristique dans le périmètre d'une opération de réhabilitation de l'immobilier de loisir (Oril). Cette disposition complète utilement celles que prévoyait le texte initial pour favoriser la réhabilitation des résidences de tourisme.

L'objectif de la réforme des unités touristiques nouvelles (UTN) était de concilier la planification de ces projets par les élus et la souplesse requise pour répondre, dans des délais rapides, à des projets nouveaux. C'est la raison pour laquelle nous avons conservé une procédure spécifique, en dehors des SCoT.

Par ailleurs, après un échange nourri, un accord a été trouvé nuitamment entre majorité, opposition et Gouvernement sur une procédure spécifique aux territoires de montagne pour mettre en compatibilité les documents d'urbanisme nécessaires à la réalisation d'UTN qui n'auraient pas été prévues dans les documents d'urbanisme approuvés (SCoT et PLU). Cette procédure intégrée et encadrée dans le temps, donnera davantage de visibilité aux opérateurs.

Cet accord exigeant, qui s'est attaché à répondre aux difficultés soulevées, a contribué à valider l'ensemble de la réforme des UTN. Il me paraît sage de ne pas trop le déséquilibrer. Les SCoT et les PLU nécessitent des procédures longues. Nous avons souhaité favoriser la construction des UTN tout en l'encadrant.

Vous le voyez, le débat à l'Assemblée a considérablement enrichi le texte initial du projet de loi, et je m'en réjouis. Les sujets n'ont pas manqué pour nourrir nos échanges, souvent toniques, parfois tendus, en particulier sur quelques sujets emblématiques : UTN, offices de tourisme, services numériques et de téléphonie mobile, lutte contre les grands prédateurs ou encore « zones de tranquillité ».

L'écoute, le dialogue, et la recherche pragmatique de solutions ont favorisé les accords sur ces sujets difficiles et abouti à l'adoption du texte à la quasi-unanimité. J'aborde notre discussion dans le même esprit d'écoute, de dialogue et d'ouverture. Je souhaite poursuivre cette co-construction du projet de loi entre le Gouvernement et le Sénat, avec l'ensemble de ses composantes. Je ne doute pas que nous y parviendrons dans l'intérêt des habitants des territoires de montagne.

Je considère néanmoins que le compromis qui s'est dégagé sur les principaux points d'achoppement doit être préservé ; j'y veillerai. Mais je ne n'entends pas empêcher le Sénat de faire son travail de législateur.

Espérons que nous pourrons adopter le texte dans les délais que nous nous sommes collectivement donnés, c'est-à-dire avant la fin de l'année 2016, pour que nous puissions mettre en application le plus rapidement possible les dérogations concernant les offices de tourisme.

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