Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution est le fruit des travaux que le groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens d’Orient du Sénat a menés depuis qu’il est constitué.
Ce groupe de réflexion, dont sont vice-présidents Bariza Khiari, Roger Karoutchi, Gilbert Barbier et François Zocchetto, entre autres sénateurs, est l’un des plus importants du Parlement et réunit des collègues appartenant à tous les groupes politiques du Sénat ; les clivages sont donc, en l’occurrence, largement dépassés. Je salue également le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Jean-Pierre Raffarin.
Les membres de ce groupe ont beaucoup travaillé. Ils ont notamment conduit un colloque, intitulé « Détruire l’État islamique, et après ? ». L’ensemble de ces réflexions et de ces auditions nous ont permis d’appréhender la véritable nature de Daech.
L’État islamique n’est pas seulement un mouvement terroriste mondial ; il est beaucoup plus que cela : une organisation de type totalitaire.
Réduire Daech à sa seule dimension terroriste, c’est – je le crois profondément – passer à côté de sa véritable nature et mal le nommer.
Bien sûr, le mode opératoire de Daech est clairement de type terroriste, et il frappe à l’échelle mondiale. On recense ainsi, sur les six premiers mois de 2016, pas moins de 550 attentats commis par l’État islamique sur tous les continents et ayant causé des milliers de morts, à une fréquence de l’ordre de trois attentats par jour.
Cette nouvelle barbarie surgie de la nuit des violences primitives marque, selon nous, un retour du totalitarisme au XXIe siècle, au sens où l’État islamique a la volonté d’établir un contrôle total et permanent sur la vie collective et individuelle. Permettez-moi de citer une phrase que j’aime beaucoup d’Hannah Arendt : « Le totalitarisme, c’est la fusion d’une idéologie avec la terreur ». Nous y sommes !
C’est précisément parce que nous sommes en face de cette nature totalitaire, génocidaire, que la seule réponse militaire n’est pas suffisante. Il faut y ajouter celle du droit et de la justice.
La priorité, aujourd’hui, est évidemment l’éradication totale de l’État islamique, avec les moyens militaires. Au moment où des combats décisifs se déroulent, je voudrais saluer de nouveau nos soldats et leur rendre hommage, ainsi qu’à tous les soldats de la liberté. Les combats qu’ils mènent sont en effet très difficiles.
Vous le savez, il ne suffira pas de réduire et de vaincre territorialement Daech pour aboutir à l’extinction de son idéologie. Il est finalement plus facile de lutter contre une organisation protoétatique que contre une idéologie.
Je le redis, cette idéologie totalitaire, nous devons la combattre par la force du droit et de la justice.
Combattre ce totalitarisme par le droit, mes chers collègues, c’est s’opposer à la barbarie avec ce qui fait notre force : nos propres valeurs. Tel est l’objet de la proposition de résolution que mes collègues et moi-même vous soumettons. En effet, l’ignominie de l’impunité ne doit pas s’ajouter à celle du crime, et il faut aussi préparer le jour d’après, la reconstruction, la réconciliation. Car, nous le savons, dans le monde et dans l’histoire, la reconstruction doit passer par une forme de réconciliation.
La justice doit passer pour que l’on puisse faire taire les violences déclenchées. Clemenceau avait l’habitude de dire qu’il était beaucoup plus facile de gagner la guerre que la paix. Encore une fois, nous y sommes !
Nous ne gagnerons pas la paix uniquement par les armes, nous la gagnerons aussi grâce à nos valeurs, qui sont la justice et le droit.
La lutte contre l’impunité juridique est un impératif à la fois moral, juridique et politique. C’est le sens que nous avons voulu donner à cette résolution.
Monsieur le secrétaire d’État, la France a un rôle important à jouer – je ne nie pas qu’elle ait déjà commencé à le faire.
La France a été l’un des pays occidentaux les plus durement frappés par l’État islamique. Nous devons à la mémoire de ses victimes d’être sur la ligne de front, et même en première ligne de ces combats, tant militaires que judiciaires.
C’est notre devoir, aussi, par fidélité à ce que nous sommes et à notre histoire, à ce pacte scellé par Saint Louis voilà huit siècles au nom duquel la France est la nation protectrice des minorités, notamment les chrétiens d’Orient. Cet engagement n’a jamais été démenti au cours des siècles, quels qu’aient été les régimes en place – Dieu sait si la France en a connu de nombreux ! – ou la couleur politique des différents gouvernements.
Laurent Fabius a été très actif dans cette affaire. Il a notamment convoqué une conférence à Paris. Il a également défendu un projet de résolution devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Pour l’instant, ces efforts ont été vains, mais cela ne veut pas dire qu’il faille se résigner.
Je voudrais faire le point sur la réalité que nous devons affronter, avec courage, et sur les termes de la procédure actuelle.
Vous connaissez cette réalité, mes chers collègues, mais peut-être pas toute l’étendue de la violence subie au quotidien par les communautés qui en sont les victimes. Dans les territoires qu’il contrôle, l’État islamique se rend coupable chaque jour des pires abominations envers toutes les minorités ethniques et religieuses. Toutes sont directement visées : bien sûr les chrétiens d’Orient, les yézidis, mais aussi les musulmans, les chiites, les Kurdes, les mandéens, les sabéens, les Shabaks.
Cette entreprise totalitaire ne fait pas de quartier, dès lors que l’on s’inscrit contre elle ou en dehors de son idéologie. Elle se livre sur des milliers de victimes – enfants, femmes, vieillards – à des exactions d’une indicible cruauté.
Au vu de cette réalité terrible, violente, monstrueuse, barbare et des définitions établies par le droit international depuis la Seconde Guerre mondiale, lesquelles ont été confortées par le statut de Rome de la Cour pénale internationale, nous pouvons dire clairement, à l’instar du Secrétaire général des Nations unies, que Daech s’est rendu coupable de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre.
Malgré ces évidences juridiques et la réalité des violences sur le terrain, les obstacles qui entravent la saisine de la Cour pénale internationale sont nombreux – vous les connaissez, monsieur le secrétaire d’État. Ce n’est pas une raison pour se résigner.
Il faut, d’abord, utiliser les deux voies à notre disposition : essayer de convaincre le gouvernement irakien de rendre compétente la Cour pénale internationale sur son sol, dans ses frontières ; saisir le Conseil de sécurité des Nations unies, au risque de se voir opposer des vetos.
Si nous nous en tenons, dans un premier temps, à l’État islamique et au territoire de l’Irak, je pense que nous pouvons ensemble faire en sorte de désamorcer les vetos des grandes nations qui siègent au sein du Conseil de sécurité et qui se sont déjà opposées à cette solution.
J’en parlais avec le président Raffarin ce matin, cette action doit s’accompagner d’une démarche humanitaire inlassable, notamment en Syrie et plus particulièrement à Alep. Cette proposition de résolution n’est pas exclusive de toutes les autres tentatives visant à soulager la misère qu’éprouvent les populations locales.
Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, l’esprit de notre proposition de résolution est parfaitement consensuel, car cette cause d’importance mondiale nous tient tous à cœur, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons dans cet hémicycle.
J’ai toujours été frappé, lors de mes déplacements en Irak, par la réaction des populations locales, qu’il s’agisse de yézidis, de chrétiens d’Orient ou de membres d’autres communautés, lorsque les interprètes leur apprenaient que j’étais français. Alors même que nombre d’entre eux étaient incapables de situer la France sur une mappemonde, une petite lueur d’espérance s’allumait dans leur regard.
Là-bas, en effet, la France compte et ces populations placent leur espoir en nous. Soyons à la hauteur de ce que nous représentons et de ce qu’est notre grand pays !
Je compte sur le Gouvernement pour prendre en charge la demande que le Sénat exprime en mon nom aujourd’hui.