Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président Retailleau, mes chers collègues, l’actualité, tous les jours, témoigne de la tragédie qui se déroule sous nos yeux, au Levant. Les populations civiles, notamment syriennes, sont entre deux feux et parfois même trois si l’on prend en compte les civils victimes de frappes de la coalition.
Je remercie le président Retailleau de cette proposition de résolution, et salue bien évidemment son engagement auprès des chrétiens d’Orient et des minorités, cible revendiquée des factions de Daech, qui est bien, comme il l’a dit, un totalitarisme puisqu’il conjugue idéologie et terreur.
Toutefois, au-delà de la volonté manifeste d’épuration ethnoreligieuse manifestée par Daech, il convient de garder à l’esprit les propos de Laurent Fabius : « Prenons garde que notre condamnation de ces crimes ne varie pas selon l’origine des victimes et notre devoir d’assistance non plus. Nous n’oublions pas que les premières victimes de Daech sont bel et bien des musulmans. Mais nous constatons que ce groupe se livre à une entreprise barbare et systématique d’éradication ethnique et religieuse qui prend pour cible certaines communautés s’attaquant à l’existence des chrétiens d’Orient, des yézidis, des Turkmènes, des Kurdes, des Shabaks, et à tous ceux qui, plus généralement, refusent de se soumettre. »
À cet égard, je veux répondre à ceux qui dénoncent une indignation à géométrie variable selon la confession des victimes.
J’ai, pour ma part, dès janvier 2011, lancé en soutien aux chrétiens d’Orient un appel publié par Libération et signé par de nombreuses personnalités « de confession ou de culture » musulmanes, pour dénoncer les exactions contre les chrétiens d’Orient. Cet appel venait après l’attaque de la cathédrale de Bagdad, à la Toussaint 2010, et celle de l’église des Saints d’Alexandrie, le 1er janvier 2011.
Ces atrocités, commises au nom de l’islam, ont évidemment profondément perturbé l’immense majorité des musulmans. Comment se taire quand on tue en votre nom ? Cet appel – je l’ai regretté – n’avait pas été compris ; souvent, quand les musulmans de France se taisent, ils sont accusés de complicité ; quand ils parlent, on les soupçonne de duplicité.
Aussi, j’invoquerai pour ma part deux raisons qui permettront de mieux comprendre le sens de mon engagement en faveur des chrétiens et des minorités d’Orient.
La première, c’est le rappel et la condamnation des stratégies hasardeuses des puissances occidentales, qu’il s’agisse, et ce n’est pas exhaustif, des accords Sykes-Picot, du renversement de Mossadegh, de l’expédition de Suez, de l’armement des talibans par les Américains dans les années quatre-vingt ou enfin de l’intervention américaine en Irak en 2003, pour un motif que la France, avec honneur, a dénoncé dans les enceintes de l’ONU. Voilà quelques-unes des erreurs qui sont à l’origine de l’extraordinaire complexité et de l’illisibilité de la situation au Moyen-Orient.
Cette complexité et ces responsabilités occidentales sont tellement inaccessibles à certains qu’ils y voient dans un raccourci commode une guerre des civilisations. Or le Moyen-Orient n’est pas une terre monochrome. L’altérité est constitutive de l’histoire et de l’identité de cette vaste région.
Le second sens de cet engagement doit se lire à la lumière du combat de l’émir Abdelkader, dont je suis fière d’assumer l’héritage spirituel et politique. L’émir, qui avait combattu la présence française en Algérie, fut fait prisonnier par la France. Exilé à Damas, il permit par son action, au péril de sa vie, le sauvetage de milliers de chrétiens de Damas, menacés de mort par des factions druzes. Il fut fait, pour cet acte de bravoure, grand-croix de la Légion d’honneur. Paris et Lyon ont honoré sa mémoire, il y a quelque temps, en donnant son nom à des places.
Enfin, cet engagement aux côtés des chrétiens et minorités d’Orient vient aussi de la conscience aiguë que l’Algérie, qui a été bien seule durant cette décennie noire, a été le laboratoire de ce terrorisme wahhabite.
La destruction de l’altérité est une entreprise où l’absurdité le dispute à la barbarie. Ces raisons m’avaient amenée en octobre 2013, avec mon collègue Roger Karoutchi, très tôt engagé dans ce combat et à qui je rends hommage