Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue M. Bruno Retailleau, qui est à l’origine de cette proposition de résolution, et tous les orateurs des groupes qui se sont exprimés. Le sujet que nous abordons aujourd’hui, sur votre initiative, est d’une gravité extrême et, malheureusement, toujours d’actualité. La situation des victimes de persécutions ethniques et religieuses au Moyen-Orient, en particulier pour les minorités elles-mêmes, reste dramatique.
Je veux saluer la tonalité des propos tenus par les différents orateurs : leur hauteur de vue me semble à la mesure de gravité de la situation. Ils s’inscrivent dans la continuité des différents travaux menés par la Haute Assemblée sur ce sujet – je pense en particulier à ceux du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient.
Voilà un peu plus de deux ans, Daech lançait une vaste offensive en Irak et s’emparait de Mossoul. Depuis lors, les populations qui s’y trouvaient, parmi lesquelles de nombreuses personnes appartenant à des communautés constitutives de l’histoire, de l’identité et de l’avenir de cette région, ont été chassées et persécutées. Le groupe djihadiste occupe également une partie du territoire syrien, où il menace et opprime les différentes composantes de la population syrienne.
Depuis plusieurs semaines, la coalition internationale contre Daech a lancé une offensive pour reprendre Mossoul et Raqqa, mais nous savons que la libération de ces villes sera longue, difficile et meurtrière.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez souhaité aujourd’hui, par votre proposition de résolution, lancer un cri d’alarme sur les atrocités commises par des organisations, notamment par Daech, qui terrorise et tue avec une cruauté et une abjection rarement égalées.
Vous avez souhaité que des poursuites soient engagées contre les responsables des crimes commis contre les minorités et contre les populations civiles. En effet, Daech cible en priorité les personnes appartenant à certaines minorités particulièrement vulnérables en raison de leur identité religieuse ou ethnique.
Nous savons, à cet égard, que la communauté yézidie est tout particulièrement et durement touchée, avec des femmes mariées de force et réduites à l’esclavage sexuel. D’autres minorités sont également victimes de violences et de persécutions : les Turkmènes, les chrétiens d’Orient, les Kurdes, les sabéens, les Shabaks. Plus généralement, tous ceux, sunnites ou chiites, qui refusent de se soumettre à Daech sont menacés et frappés dans leur chair. Le Moyen-Orient est le théâtre d’une opération d’épuration qui vise à éliminer l’ensemble des personnes appartenant à ces minorités, à ces groupes, à ces populations.
La France est horrifiée par les violences commises en Syrie et en Irak contre toutes les populations. C’est pourquoi notre pays s’est très tôt engagé en faveur des chrétiens d’Orient et des autres minorités du Moyen-Orient.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nombre d’entre vous, notamment Bruno Retailleau, ont rappelé l’action de la France en la matière. C’était notre devoir, par fidélité envers des populations auxquelles nous sommes liés par l’histoire, par cohérence avec notre engagement en faveur des droits de l’homme et parce que la France est convaincue que l’on ne pourra pas bâtir la paix dans la région si celle-ci était amenée à perdre sa diversité humaine, culturelle et spirituelle. La communauté internationale a le devoir de protéger les populations et de préserver la diversité dans cette région.
C’est au nom de ce devoir et de cet impératif que nous agissons. La communauté internationale a aussi le devoir d’accueillir les réfugiés. La tradition d’asile de la France nous oblige, et vous avez souhaité vous montrer à la hauteur de ces circonstances. Aux côtés de l’État, les collectivités et les associations se mobilisent pour accueillir dignement toutes les personnes qui fuient les persécutions et leur offrir l’asile en France.
Vous l’indiquez avec raison : au-delà des minorités ethniques ou religieuses, les populations civiles dans leur ensemble sont victimes de cette barbarie. La violence de Daech est extrême, globale et frappe indistinctement. À ce titre, elle doit faire l’objet d’une réprobation universelle.
De même, nous ne devons pas passer sous silence le fait que, depuis cinq ans, le régime de Damas commet, sans relâche et avec la même minutie que celle de Daech, des crimes contre l’humanité. Il torture, il assassine, il affame, en toute impunité. Il bombarde à l’aide d’armes chimiques, comme l’ont démontré de manière incontestable plusieurs rapports du Mécanisme d’enquête conjoint de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques et de l’ONU. Ces armes sont pourtant interdites par le droit international, et la Syrie s’était elle-même engagée à les détruire et à ne plus jamais les utiliser. À Alep, le régime de Bachar al-Assad et ses soutiens sont en train de commettre les pires atrocités, en affamant la population, en détruisant les hôpitaux, en empêchant l’aide humanitaire d’accéder aux populations meurtries et affamées.
En cinq ans, d’après l’Organisation des Nations unies, 400 000 personnes ont trouvé la mort, essentiellement des civils, la plupart tuées par le régime lui-même. On compte plus de 4 millions de réfugiés et près de 7 millions de déplacés, jetés par désespoir sur les routes de l’exil. C’est aussi cela la réalité aujourd'hui !
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement comprend et partage votre préoccupation. Nous ne laisserons pas sans réagir la diversité millénaire du Moyen-Orient disparaître sous les coups de boutoir et les atrocités de Daech.
C’est pourquoi, le 27 mars 2015, la France avait tenu à réunir le Conseil de sécurité pour lancer un appel à la mobilisation générale en faveur de ces populations. Dans le prolongement de cet événement, la France a organisé, avec notamment la Jordanie, une conférence internationale sur les victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient, le 8 septembre 2015.
Vous avez rappelé ces différentes actions, notamment le « plan d’action de Paris », présenté lors de cette réunion, qui reste notre feuille de route commune pour aujourd'hui et pour demain. Cet outil vise à répondre à l’urgence humanitaire et à créer les conditions politiques et sécuritaires pour permettre le réenracinement durable et pacifique des populations concernées dans la région, notamment en déminant les zones d’habitation. La France a mené plusieurs actions en la matière, avec les ONG et les agences des Nations unies.
Pour répondre de manière très concrète à certaines questions qui ont été posées au Gouvernement, je souhaite apporter, au nom du ministre des affaires étrangères et du développement international, des précisions sur l’action menée par le Quai d’Orsay depuis plus d’un an.
À la suite à la conférence du 8 septembre 2015, nous avons mis en place un fonds spécifique, doté de 10 millions d’euros sur deux ans – les années 2015 et 2016 – et abondé, par ailleurs, par les contributions de collectivités territoriales. Ce fonds a d'ores et déjà permis de financer des projets, notamment dans le domaine du logement, de la santé, de l’éducation et de la formation professionnelle, de la lutte contre l’impunité ou encore en matière de déminage.
Près de deux tiers des financements ont été consacrés à la fourniture de services de base aux déplacés et aux réfugiés. À titre d’exemple, la France a financé, par le biais de ce fonds, des projets portant sur le fonctionnement de centres de santé mobiles et d’appui à la santé mentale auprès de personnes meurtries, appartenant à des communautés chrétiennes, assyriennes ou yézidies, en Irak et au Liban, à hauteur de 2 millions d’euros.
L’aide au retour, particulièrement pour les personnes appartenant à des communautés victimes de violences ethniques et religieuses, a été identifiée comme une priorité.
C’est pourquoi le fonds a financé de nombreux projets de déminage, condition évidemment essentielle au retour des populations. En Irak, la France appuie, depuis plusieurs mois, une opération de déminage d’urgence au profit des personnes issues de la minorité yézidie dans le gouvernorat de Ninive. Une autre opération de déminage est en cours, au bénéfice de villages chaldéens et kakaïs de la périphérie de la plaine de Ninive. Ces actions seront poursuivies en 2017. Elles sont indispensables.
Nous avons aussi alloué 2 millions d’euros au fonds de stabilisation immédiate de l’Irak, géré par le Programme des Nations unies pour le développement, le PNUD.
Notre action concrète, sur le terrain, s’accompagne également d’une action politique visant à préserver la diversité par la représentation de toutes les composantes de la société dans les institutions nationales. Tout effort en ce sens doit être encouragé et soutenu. Seuls des États inclusifs, protégeant la diversité et garantissant à chacun une pleine citoyenneté et le respect des droits, y compris celui d’exercer librement sa religion et ses convictions, sont capables de restaurer la confiance des populations dans les institutions publiques.
L’avenir des yézidis, des chrétiens d’Orient et de toutes les personnes appartenant à des minorités est en Orient. Tout doit être fait pour leur permettre de rester sur place ou d’y revenir, car ils sont là-bas chez eux !
Enfin, il convient aussi et surtout de lutter contre l’impunité des crimes commis, notamment par Daech. Plusieurs rapports des Nations unies font état d’un possible crime de génocide, même si c’est bien sûr à la justice de qualifier juridiquement les faits. Face à ces crimes, qui nient l’idée même d’humanité, la justice doit jouer tout son rôle.
La France est pleinement mobilisée pour que les crimes commis en Syrie et en Irak ne restent pas impunis. Nous le faisons en particulier pour ce qui concerne nos propres ressortissants combattant ou ayant combattu dans les rangs de Daech. L’arsenal juridique français au service du traitement judiciaire de ces comportements est certainement l’un des plus complets et efficaces en Europe, au travers notamment de la définition et de la mise en œuvre de l’infraction d’association de malfaiteurs terroristes, qui constitue la clef de voûte de la répression en matière terroriste.
Le parquet de Paris a développé, depuis plusieurs années, des moyens d’action judiciaires extrêmement efficaces pour parvenir à gérer judiciairement les retours de Syrie. C’est dans le prolongement de cette action que s’inscrit aussi le principe d’un traitement judiciaire systématique de l’ensemble des ressortissants français de retour de la zone irako-syrienne ou de Libye, auxquels s’applique une mesure de contrainte immédiate dès leur arrivée sur le territoire national.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous communiquer quelques informations sur le contentieux général des filières irako-syriennes. En effet, cela participe du droit d’information du Parlement.
Le parquet général de Paris fait état, à la date du 28 novembre 2016, des chiffres suivants : 464 procédures judiciaires en lien avec la zone Syrie-Irak ont été ouvertes au pôle antiterroriste de Paris depuis 2012 ; quelque 369 dossiers sont toujours en cours, dont 167 informations judiciaires et 204 enquêtes préliminaires ; 331 individus sont actuellement mis en examen ; 207 sont placés en détention provisoire et 114 sous contrôle judiciaire ; 135 individus ont été jugés ou visés dans des informations judiciaires clôturées, 61 étant en attente d’un jugement et 74 condamnés ; 19 affaires, concernant, au total, 74 personnes, ont été jugées.
S’agissant plus spécifiquement, parmi ces données, des chiffres relatifs au traitement judiciaire des combattants de retour en France, nous comptabilisons 167 personnes, dont 43 condamnés, 110 mis en examen, 13 prévenus et 1 témoin assisté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre tâche est immense : aux civils enlevés et assassinés par Daech s’ajoutent les centaines de milliers de personnes disparues dans les centres de détention du régime. Les autorités françaises sont plus que jamais déterminées à mettre tout en œuvre pour que les responsables de ces crimes soient traduits devant la justice, dans le respect de l’indépendance judiciaire. La justice le fait à titre national, quand cela relève de sa compétence, et à titre international.
Face aux difficultés croissantes rencontrées par les organisations de la société civile dans cette région, face aux tensions entre les ethnies et les confessions présentes dans la région et face à la menace que cette situation fait peser sur la préservation du pluralisme, la France apporte son soutien de manière concrète et ambitieuse.
Tout d’abord, notre pays soutient la promotion des droits de l’homme et le pluralisme politique auprès des acteurs des sociétés civiles locales. En Syrie, il s’agit notamment de renforcer la capacité des conseils locaux, ainsi que de concevoir et d’animer un dialogue civil sur la justice locale dans les zones libérées.
Ensuite, la France lutte contre l’impunité en contribuant à la documentation à vocation contentieuse des crimes, notamment à caractère ethnique, religieux et confessionnel. Cette documentation doit permettre l’identification et la poursuite concrète de responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, dans le cadre de la compétence internationale ou universelle.
La France poursuivra ses efforts pour que la Cour pénale internationale puisse être saisie. C’est un long chemin. Vous en connaissez mieux que quiconque les obstacles, en particulier le fait que la Syrie ne soit pas partie au Statut de Rome et qu’une saisine par le Conseil de sécurité serait probablement bloquée par un veto. Toutefois, cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à des moyens pour que justice soit rendue. La France se battra pour que la justice soit en mesure de statuer sur la responsabilité de tous les criminels, sans exception, et de prononcer les peines adaptées, faute de quoi nous ne pourrons jamais obtenir une paix durable au Moyen-Orient.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement salue votre initiative visant à alerter et mobiliser les communautés nationale et internationale sur le sort des victimes de persécutions ethniques et religieuses au Moyen-Orient. Il salue une nouvelle fois la tonalité du débat de ce jour. Les exactions commises par Daech en Syrie et en Irak sont, en effet, susceptibles d’être qualifiées de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, voire de crimes de génocide.
Néanmoins, le Gouvernement considère que ce n’est pas d'abord à lui de qualifier juridiquement ces crimes et que ce travail relève en premier lieu des juridictions nationales et internationales, dans le champ de leurs compétences et le respect de leur indépendance, sur la base du code pénal français et du Statut de Rome, notamment.
C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s’en remet, pour le vote de la présente proposition de résolution, à la sagesse de la Haute Assemblée.