Intervention de Gérard Bailly

Commission des affaires économiques — Réunion du 6 décembre 2016 à 15h00
Projet de loi de modernisation de développement et de protection des territoires de montagne — Examen du rapport pour avis

Photo de Gérard BaillyGérard Bailly, rapporteur pour avis :

Examiné à l'Assemblée nationale en octobre, le projet de loi de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne fait l'objet d'une procédure accélérée : nous enchaînerons rapidement sur une commission mixte paritaire. À l'Assemblée nationale, un consensus fort s'est dégagé sur la plupart des dispositions : le projet de loi a été voté à l'unanimité moins une voix. La taille du texte est passée de 26 à 74 articles.

Si, à l'Assemblée, la commission des affaires économiques avait été saisie au fond, au Sénat, c'est celle de l'aménagement du territoire et du développement durable qui est compétente. Celle-ci nous a délégué de nombreux articles qui concernent le développement économique de la montagne : des articles touchant à l'agriculture, la forêt, le tourisme ou encore l'urbanisme. Notre commission doit examiner au fond 26 articles, et s'est saisie pour avis de 13 autres articles.

Annoncé fin 2014 lors du 30e congrès de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), précédé par un rapport très complet produit par les députées Annie Genevard et Bernadette Laclais en juillet 2015, ce projet de loi Montagne se veut l'acte II de la loi montagne de 1985, fondatrice de la politique de la montagne. La loi de 1985 poursuivait un objectif d'équilibre entre la protection de la montagne, dans le but de préserver la qualité de ses paysages et de la nature, et le développement économique de la montagne, nécessaire pour maintenir les habitants sur ces territoires. Elle a posé les fondements de la politique de la montagne depuis trente ans : la reconnaissance de l'identité particulière de la montagne et de ses spécificités, qui justifie une politique particulière de la montagne ; un objectif de compensation des inégalités subies par la montagne, notamment à travers des indemnités compensatoires dont bénéficie l'agriculture de montagne ; la mise en place d'une gouvernance particulière de la montagne associant les acteurs locaux, élus et professionnels, avec au niveau national un « Conseil national de la montagne » et, pour chaque massif, des « comités de massif » ; la recherche d'un auto-développement de la montagne ; la reconnaissance de la nécessité d'adapter les normes aux spécificités montagnardes. Trente ans après la loi montagne, la crainte d'un dépeuplement de ces territoires ne s'est pas concrétisée, bien au contraire. Les 6 000 communes de montagne comptent 6 millions d'habitants, soit un Français sur dix. Lorsque l'on élargit l'analyse aux massifs montagneux, on atteint 10 millions d'habitants, sur un tiers de la surface métropolitaine. La montagne est donc attractive pour les habitants et aussi pour les activités économiques : l'agriculture a plutôt bien résisté, le développement touristique s'est poursuivi dans un cadre maîtrisé.

Les critères de classement des communes de montagne ont évolué : initialement, il s'agissait des communes situées à plus de 600 mètres d'altitude et avec plus de 15 % de pente. Désormais, diverses variables entrent en jeu : pente, altitude, mais aussi climat et plus largement, existence de handicaps significatifs entraînant des conditions de vie plus difficiles et restreignant l'exercice de certaines activités économiques. En même temps, de nouveaux enjeux sont apparus : les accès à la santé, à l'éducation ou au numérique sont indispensables pour poursuivre la dynamique de développement des territoires de montagne. Les spécificités de la montagne, comme le travail saisonnier, doivent être encore mieux reconnues. Poursuivons la protection de l'environnement et des paysages en montagne, qui sont particulièrement remarquables.

Le projet de loi soumis à notre examen ne bouleverse pas le cadre de la loi de 1985. Il s'inscrit plutôt en continuité de ce texte fondateur, retouché à plusieurs reprises sans être remis en cause, notamment par la loi sur le développement des territoires ruraux de 2005.

Nous ne sommes pas saisis de la totalité du texte, mais seulement de la partie concernant plus spécifiquement notre commission. Nous n'examinerons pas les dispositions sur la gouvernance de la montagne, mais je proposerai quelques amendements sur des articles pour lesquels nous nous sommes saisis pour avis, à la suite des auditions que j'ai menées. Nous sommes chargés de thématiques très diverses : dispositions agricoles, forestières, dispositions concernant le logement des travailleurs saisonniers, l'urbanisme en montagne, la rénovation de l'immobilier touristique ou encore la gouvernance du tourisme.

Les mesures sur l'agriculture ont une portée très limitée. L'article 16 inscrit dans la loi l'objectif de gestion différenciée de la prédation, essentiellement par les loups, afin d'adapter à la montagne les mesures générales prises pour la protection des troupeaux. Les députés ont ajouté des dispositions symboliques, comme l'article 15 A qui prévoit, dans le cadre de la politique nationale de la montagne, des soutiens spécifiques à l'agriculture à travers des aides directes au revenu compensant les handicaps en montagne et un accompagnement renforcé des investissements. Le cadre de ces aides n'est pas fixé par la loi mais par la politique agricole commune (PAC).

Les députés ont adapté le régime des conventions pluriannuelles de pâturage à l'article 15 bis A, ou encore donné la priorité aux agriculteurs locaux pour la location de terres aux groupements pastoraux, avec l'article 15 quinquies. Désormais, les groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) peuvent participer en tant que tels aux groupements pastoraux, avec l'article 16 ter, et le droit de préemption des Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) a été adapté pour les anciens bâtiments agricoles, dans le prolongement de la loi agricole de 2014. Surtout, l'article 15 quater permet de reconquérir des anciennes terres agricoles ou pastorales ayant fait l'objet de boisements spontanés en zone de montagne, en supprimant le boisement compensateur ou la taxe de défrichement sur ces parcelles, freins au défrichement.

Outre quelques amendements rédactionnels ou de clarification, je vous proposerai quelques modifications limitées sur la partie agricole du projet de loi : un amendement élargit les possibilités d'exonération de taxe de défrichement en montagne à toutes les terres non classées au cadastre en nature de bois ; nous pourrions créer une exonération de taxe pour prélèvement d'eau pour les petits canaux d'irrigation de montagne, indispensables à l'agriculture et l'élevage dans certaines régions défavorisées ; les mesures concernant les grands prédateurs doivent réguler la prédation pour ne pas nuire à l'élevage sur les territoires de montagne, particulièrement exposés ; enfin, à l'article 23, mon amendement vise à ce que les zones de tranquillité dans les parcs nationaux ne puissent pas faire obstacle au maintien de l'activité pastorale traditionnelle, qui contribue aussi à l'équilibre écologique des territoires de montagne.

Sur la forêt, l'article 15 élargit le périmètre des plans simples de gestion et valide les plans présentés par un propriétaire unique. Il conserve la possibilité de s'appuyer sur un code de bonnes pratiques sylvicoles pour bénéficier d'une présomption de gestion durable des forêts en zone Natura 2000 à l'article 15 bis. Enfin, selon l'article 15 ter, l'Office national des forêts (ONF) doit instruire les demandes de dossiers de restauration des terrains de montagne (RTM) des collectivités territoriales. Je propose quelques amendements pour renforcer la prise en compte de la contribution de la forêt à l'économie de montagne à l'article 1er, en précisant que la politique de la montagne doit développer des outils de transformation du bois à proximité des massifs ; mon amendement à l'article 15 A donne un cadre juridique autonome à la politique de soutien à la forêt en montagne ; enfin, un amendement aligne les sanctions encourues pour coupe illicite en forêt publique sur le régime existant en forêt privée en plafonnant ces sanctions, pour être en conformité avec les exigences constitutionnelles de proportionnalité des peines - c'était une demande du ministre.

Les mesures destinées à favoriser le logement des travailleurs saisonniers figurent principalement à l'article 14, qui institue pour l'ensemble des communes touristiques l'obligation de conclure une convention avec l'État pour le logement des travailleurs saisonniers. Cette convention, conclue pour trois ans et associant divers partenaires en sus de la commune et de l'État, doit comporter un diagnostic des besoins sur le territoire communal et proposer un ensemble d'actions. En l'absence de signature, de renouvellement ou d'atteinte des objectifs fixés, le préfet peut suspendre l'agrément touristique de la commune. Mes amendements sécurisent juridiquement ce dispositif et le simplifient, de manière à imposer la mise en place d'une politique en faveur du logement des saisonniers uniquement sur les territoires où un diagnostic partagé entre les collectivités et l'État conclut à l'intérêt de la mettre en place. Le texte sorti à l'Assemblée nationale est d'une telle complexité que nous proposons qu'il se limite dans les communes où existe un besoin.

Le texte ne comporte pas de dispositions véritablement structurantes sur la rénovation de l'immobilier touristique en montagne, enjeu essentiel de l'économie montagnarde. La principale mesure, à l'article 21, modernise le dispositif des opérations de réhabilitation de l'immobilier de loisir (ORIL), afin de l'adapter aux évolutions du marché de la location touristique. Elle renvoie la définition des mesures d'aide à la rénovation au niveau des collectivités concernées et ouvre les subventions aux propriétaires qui louent leurs appartements via des plateformes d'intermédiation et à ceux qui achètent des lots en vue de les réunir.

Les principales dispositions sur l'urbanisme de montagne, figurant à l'article 19, portent sur les unités touristiques nouvelles (UTN). Bien que cet article ait donné lieu à des discussions passionnées à l'Assemblée nationale, il ne modifie pas profondément le dispositif actuel. Il permet de créer des UTN dites locales dans le cadre des PLU, alors qu'aujourd'hui elles sont créées uniquement par les SCOT. Cela institue une sorte de mécanisme de subsidiarité entre PLU et SCOT et contribuera à stabiliser les SCOT qui n'auront plus à être modifiés ou révisés pour rendre possible une UTN de faible ampleur. Cela valait-il une réforme ? Sur cet article parvenu à un point d'équilibre politique, mes amendements suppriment quelques complexités procédurales superflues sans toucher au coeur du dispositif.

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