Intervention de Cyril Pellevat

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 7 décembre 2016 à 9h00
Projet de loi de modernisation de développement et de protection des territoires de montagne — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat, rapporteur :

Je salue les rapporteurs pour avis ainsi que Patrick Chaize, qui a travaillé sur le volet numérique du projet de loi. Bienvenue aux auditeurs de l'Institut du Sénat.

Le projet de loi modernise le cadre législatif de l'action de l'État et des collectivités territoriales en faveur d'un aménagement et d'un développement durables des territoires de montagne.

Soulignons l'importance de la montagne dans la mosaïque territoriale de notre pays. Loin de se résumer à une destination touristique ou à certaines images pittoresques, la montagne est d'abord un lieu de vie et d'activité pour de nombreux Français, désireux de bénéficier de conditions de vie comparables à celles de leurs concitoyens dans d'autres territoires tout en conservant les spécificités de ce cadre si particulier.

Quelques chiffres résument l'importance des territoires de montagne : 6,1 millions de Français y vivent sur 6 000 communes, réparties dans près de la moitié des départements et régions de notre pays. Au total, 10 millions de nos concitoyens vivent dans le périmètre d'un des six massifs de métropole ou des trois massifs ultramarins.

La montagne accueille de nombreuses activités économiques. Son industrie représente 600 000 entreprises et 4 millions d'actifs. Le secteur du tourisme participe à hauteur de 15 % au PIB touristique du pays. Une exploitation agricole sur six se trouve en montagne, qui regroupe 17 % de la surface agricole utile.

Dotée d'un patrimoine naturel et culturel exceptionnel, la montagne est également une composante majeure de l'identité de notre pays. Sa biodiversité unique, la beauté de ses paysages, l'immensité de ses forêts et son rôle de château d'eau naturel en font un bien commun de la nation.

Une politique de la montagne est indispensable pour aménager ses espaces en prenant en compte leurs spécificités - atouts ou contraintes. Si la montagne partage avec la ruralité certaines caractéristiques, comme la faible densité de l'habitat et l'éloignement des grandes aires urbaines, elle se singularise par des difficultés structurelles particulièrement fortes, liées au relief et au climat.

Le socle législatif d'une action publique spécifique a été posé par la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, dite loi Montagne. Ce texte particulièrement novateur plaçait la montagne à l'avant-garde du développement durable, en lui traçant un avenir fondé sur des équilibres subtils, entre dynamisme économique et protection du patrimoine naturel. Trente ans après, de nouveaux enjeux importants, comme le numérique et le réchauffement climatique, ont émergé. Par ailleurs, la diversité des trajectoires a abouti à la fragilisation de certaines zones. Enfin, le droit commun a évolué, rattrapant parfois les dispositifs spécifiques adoptés par le législateur en 1985.

Le texte d'origine s'est donc quelque peu affaibli, tandis que de nouvelles questions se font plus pressantes. Depuis plusieurs années, les élus de la montagne souhaitaient une redynamisation de l'action publique afin d'éviter une banalisation. Prenant acte de ce souhait très vif, le Gouvernement a confié aux députées Annie Genevard et Bernadette Laclais un rapport sur la politique de la montagne, remis au Premier ministre en septembre 2015. Particulièrement riche et transversal, il formulait 99 propositions pour lancer un acte II de la politique de la montagne. Le Gouvernement s'en est inspiré pour élaborer le présent projet de loi, en concertation étroite avec les élus concernés, avec la mobilisation très forte de l'Association nationale des élus de montagne et du Conseil national de la montagne, dont je souligne le rôle majeur dans cette co-construction. L'approche a été prolongée à l'Assemblée nationale, où des échanges constructifs et transpartisans ont forgé un texte consensuel, adopté à la quasi-unanimité.

Un chiffre montre l'importance de la montagne pour notre assemblée et le souhait commun de poursuivre un examen transversal : cinq commissions permanentes du Sénat se sont mobilisées.

Le titre Ier du projet de loi regroupe les dispositions relatives aux principes de la politique de la montagne et à sa gouvernance. Ces articles actualisent les objectifs de l'État, en renforçant la place des enjeux environnementaux, comme le réchauffement climatique et la reconquête de la biodiversité. Ils précisent également le fonctionnement et le rôle des structures représentatives de la montagne - le Conseil national de la montagne et les comités de massifs - ainsi que le contenu des documents de planification propres aux massifs. À l'initiative de l'Assemblée nationale, un chapitre additionnel relatif à l'accès aux services publics de l'école et de la santé a été inséré.

Le titre II soutient le développement de l'activité et de l'emploi dans les territoires de montagne. Il comprend un chapitre Ier spécifique au numérique, enrichi à l'Assemblée nationale, portant essentiellement sur les infrastructures pour les réseaux fixes et mobiles. Deux préoccupations ont guidé les députés : l'utilisation des réseaux d'initiative publique par les fournisseurs d'accès à internet pour apporter des services aux utilisateurs ; la mutualisation entre opérateurs des points hauts en zone de montagne pour améliorer la couverture mobile.

Le chapitre II porte sur le travail saisonnier, qu'il s'agit de faciliter et de protéger. Ces dispositions ont été déléguées à la commission des affaires sociales, à l'exception d'un article relatif au logement des travailleurs saisonniers, délégué à la commission des affaires économiques.

Le titre II comprend également un chapitre III relatif aux activités agricoles, pastorales et forestières. Notre commission a conservé au fond les articles 15 bis et 16, relatifs respectivement à la gestion des forêts en zone Natura 2000 et à la gestion des dommages causés par les grands prédateurs aux activités d'élevage. Les autres articles ont été délégués au fond à la commission des affaires économiques.

Les chapitres IV et V favorisent le développement des activités touristiques. L'article 18 introduit notamment une dérogation au transfert des offices de tourisme vers les intercommunalités, prévu au niveau national par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Ces dispositions ont été déléguées au fond à la commission des affaires économiques.

Le titre III comprend trois chapitres relatifs à l'urbanisme, essentiellement le développement touristique et la réhabilitation de l'immobilier de loisir. Il est intégralement délégué à la commission des affaires économiques. Parmi ces dispositions figure une réforme de la procédure des unités touristiques nouvelles (UTN), qui avait d'abord fait l'objet d'un projet d'ordonnance, retiré compte tenu des réactions vives des élus de montagne. Le Gouvernement distingue à présent les projets selon leur importance et renforce le rôle des documents d'urbanisme pour leur planification.

Le titre IV, sur l'environnement, a été complété par plusieurs articles adaptant la politique de l'eau aux territoires de montagne. Il comprend également un article créant un dispositif de zone de tranquillité, protégeant certaines zones des parcs naturels régionaux et des parcs nationaux. Ce mécanisme a toutefois été circonscrit aux parcs nationaux lors des travaux de l'Assemblée nationale.

Enfin, le titre V regroupe des dispositions finales et diverses. J'attire votre attention sur l'introduction à l'Assemblée d'un article ratifiant une ordonnance prévue par la loi NOTRe pour assurer la coordination entre plusieurs schémas régionaux relatifs à l'environnement, à la suite de la création du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet).

Malgré des délais contraints, les différents rapporteurs ont mené au total plus d'une soixantaine d'auditions. Nous avons ouvert ces travaux à l'ensemble des sénateurs de montagne, afin qu'ils participent aux réflexions du Sénat sur ces sujets. Je salue notre collègue Jean-Yves Roux, président du groupe d'études montagne, qui a participé à ces rencontres.

À l'issue des auditions, j'ai constaté que la grande majorité des organismes et personnalités entendus souhaitaient une stabilisation du texte adopté par l'Assemblée nationale. Nous pouvons nous satisfaire de l'extension du projet de loi à plusieurs sujets d'action publique importants, comme l'accès à l'école et à la santé, l'aménagement numérique, le soutien aux activités agricoles, ou la politique de l'eau. Nous devons toutefois être vigilants sur la qualité de la loi - c'est une priorité du président du Sénat. Certaines dispositions sont d'ordre programmatique, d'autres relèvent de précisions réglementaires, tandis qu'un nombre plus limité semblent dépourvues d'un véritable effet normatif.

Ainsi, sans vouloir bouleverser les équilibres du projet de loi, j'ai souhaité proposer des améliorations. Je vous suggérerai d'insérer une stabilisation du classement en zone de montagne pour les communes nouvelles et la prise en compte des spécificités des territoires de montagne dans le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic).

D'autres amendements visent à préciser certains points du projet de loi, comme la consultation des collectivités territoriales sur les conventions de massif, ou suppriment des dispositions sans portée véritable, comme la faculté donnée aux conseils régionaux de nommer des vice-présidents chargés de la montagne.

Je vous proposerai également de faire référence aux actes de prédation plutôt qu'aux grands prédateurs à l'article 16 afin de prévoir que les moyens de lutte ne visent pas les espèces protégées concernées, mais les dommages qu'elles peuvent engendrer pour les éleveurs. Cette nuance n'est pas seulement symbolique : elle assure la compatibilité du texte avec le cadre international et européen, et évite de nouveaux contentieux.

Notre collègue Patrick Chaize, avec lequel j'ai mené plusieurs auditions sur le volet numérique du projet de loi, a déposé plusieurs amendements pour faciliter le déploiement opérationnel des réseaux, notamment par l'élaboration d'une base harmonisée des adresses et la création d'une plateforme commune d'information sur les réseaux en fibre optique. Un autre amendement encadre l'exonération d'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (Ifer) dans le temps, pour que cette mesure contribue véritablement à accélérer la couverture mobile en zone de montagne. Enfin, il vous proposera de fixer une échéance à la contractualisation des déploiements privés de réseaux fixes à très haut débit, afin de mettre un terme aux incertitudes qui planent toujours sur le découpage territorial hérité de la procédure « appel à manifestations d'intentions d'investissement » (Amii) de 2011.

Au total, je vous propose donc de renforcer le texte transmis à notre assemblée, sans le dénaturer ni bouleverser son périmètre. Tout en souhaitant résolument poursuivre la démarche constructive et transpartisane qui a présidé à l'élaboration de ce texte, j'encourage le Sénat à adopter une rédaction utile, équilibrée et pérenne pour les territoires de montagne, sur laquelle, j'espère, que tous pourront s'accorder lors de la commission mixte paritaire.

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