Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour débattre du Massif central en tant qu’enjeu de développement territorial.
La notion de développement territorial a supplanté celle de développement local, en permettant d’intégrer l’ensemble des acteurs d’un territoire dans la description de sa dynamique. Le concept ne se réduit pas non plus au simple développement économique ou technologique, mais permet aussi de mettre en valeur l’innovation sociale ou l’innovation dans l’organisation.
La notion géographique de Massif central a réussi à devenir progressivement une véritable notion institutionnelle, en particulier grâce à des outils comme les comités de massif. Accomplissant le rôle de conseil économique et social de la montagne au niveau d’un territoire pertinent, les neuf comités de massif représentent l’un des outils essentiels créés par la loi Montagne de 1985, dont l’actualisation sera débattue lundi prochain au Sénat.
Sur le plan institutionnel, je faisais partie de ceux qui défendaient, lors des débats sur le redécoupage, une région transversale regroupant le Limousin, le Poitou-Charentes et l’Auvergne, afin de coller, le plus possible, à une identité « Massif central » en train de se forger.
La zone de moyenne montagne que constitue le Massif central est soumise à plusieurs défis de taille pour l’avenir.
La métropolisation est un phénomène structurel prégnant sur tout le territoire national, qui touche également notre zone, si l’on regarde les dynamiques urbaines et périurbaines de villes comme Clermont-Ferrand, Saint-Étienne ou Limoges, trois villes qui structurent leur espace environnant, mais qui, aujourd’hui, ne bénéficient pas du statut de métropole au sens de la loi MAPTAM de janvier 2014, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.
Évoquons maintenant le rôle majeur des infrastructures dans cette ambition de développement territorial.
Une grande partie du territoire du Massif central souffre encore d’un certain enclavement, bien que l’investissement de l’État ait permis de progresser face à ce handicap. Les autoroutes A71, A75 et A20 dessinent deux axes nord-sud traversant cette zone et relient Paris à Montpellier, en passant par Clermont-Ferrand, et Paris à Toulouse, par Limoges. De plus, l’autoroute A89, au sud, relie Bordeaux à Clermont-Ferrand.
Ces axes routiers se trouvent complétés par la ligne ferroviaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, dite POLT. Avec la ligne Paris–Clermont-Ferrand, elle fait partie des trois « lignes structurantes à haute performance » retenues par le secrétariat d’État aux transports, et nous avons accueilli très favorablement la décision de renouveler la totalité de son matériel roulant à l’horizon de 2020.
Cependant, le rejet, par le Conseil d’État, de la déclaration d’utilité publique de la ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges appelle, de la part du Gouvernement, une accélération du processus de modernisation de l’axe Paris-Toulouse.
Un décret du 5 décembre dernier charge notre collègue Michel Delebarre d’une mission temporaire ayant pour objet « l’amélioration de l’accessibilité de Limoges, du Limousin et des territoires limitrophes ». Ce décret évoque donc « l’accessibilité », ce qui sous-entend une étude comparée de l’ensemble des moyens ferroviaires, routiers et aériens. Je formule le souhait de voir cette mission contribuer efficacement au désenclavement de toute la partie ouest du Massif central notamment.
J’aborderai également le projet de ligne TGV visant à désaturer l’actuelle LGV entre Paris et Lyon. Cette ligne TGV entre Paris, Orléans, Clermont-Ferrand et Lyon, dite POCL, est encore à l’étude.
Toutefois, au regard des deux scénarios actuellement en lice, je veux dire ma préférence pour le tracé ouest, par rapport à celui dit « médian », car il permettra d’englober nettement Orléans, Vierzon, Châteauroux, Bourges, Moulins, etc. Cette option me semble la plus favorable pour la zone du Massif central. L’avenir des deux lignes, POLT et POCL, me paraît indissociable. Je prône ainsi le retour au fameux Y renversé à partir de Vierzon, qui avait été rejeté par la SNCF dans les années soixante-dix, avec une branche vers Limoges et une autre vers Clermont-Ferrand.
La fonctionnalité du Massif central passe notamment par une bonne interrelation entre les deux métropoles : Bordeaux et Lyon. Il importe, dans une vision d’ouverture au sein de l’espace européen et de coopération interrégionale, de les relier, en particulier par un axe ferroviaire.
Je veux parler de la ligne Bordeaux-Lyon, via Limoges, Guéret et Montluçon. Plus importante liaison ferroviaire transversale française desservant le Massif central, ancienne et nécessitant une impérieuse modernisation, cette liaison a disparu, en décembre 2012, entre Limoges et Lyon, à l’occasion des travaux décidés dans le cadre du plan Rail Auvergne et Limousin. Son rétablissement serait étudié pour le service annuel de 2017 ou 2018. Où en est-on, monsieur le secrétaire d’État, car il n’existe plus, aujourd’hui, de ligne intégrale Lyon-Bordeaux ? Les deux régions – Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes – se retrouveront-elles à gérer seules, demain, cet enjeu de liaison transversale ?
Pour poursuivre sur l’enjeu des infrastructures, il nous faut souligner l’importance fondamentale du déploiement d’un réseau numérique et de téléphonie mobile ne faisant l’impasse sur aucun territoire. Là encore, le Gouvernement a été pleinement mobilisé, en particulier à travers le plan France très haut débit, qui devrait permettre de disposer d’une couverture satisfaisante en 2022. Dans ce domaine, la pérennité d’un effort d’investissement particulier de la part de l’État est vitale. Il y va bien sûr de l’égalité des territoires dans la République.
En effet, certains universitaires, de nouveau, pointent le risque d’une préjudiciable fracture territoriale et la constitution d’une France périphérique. Des travaux de nos collègues sénateurs évoquent une France hyper-rurale, menacée de déclassement.
Par ailleurs, soulignons l’intérêt et l’efficacité des politiques publiques visant, ces dernières années, à maintenir les forces vives sur le territoire du Massif central et accueillir de nouveaux habitants. Le solde naturel est structurellement défavorable à ces zones en raison d’une population âgée, mais aujourd’hui, il est souvent supplanté par un solde migratoire positif, qui reflète les efforts déployés pour rendre ces espaces attractifs.
Au niveau des activités économiques, l’importance de l’agriculture est évidente.
Nous ne sommes pas dans l’agriculture céréalière de la Beauce ou des plaines de Picardie. Celle du Massif central se concentre d’abord sur l’élevage, mais peut également offrir des écosystèmes cohérents et efficaces : je pense, par exemple, à la plaine de la Limagne ou aux terroirs viticoles, comme ceux de Cahors ou de Saint-Pourçain.
Le maintien de l’enveloppe financière de la politique agricole commune est une nécessité pour l’agriculture du Massif central. Les mesures agro-environnementales et climatiques ou les aides pour l’agriculture biologique constituent des avancées utiles. C’est surtout une orientation plus prononcée en faveur des zones d’élevage et le maintien d’une aide comme l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, qui sont essentiels.
À l’inverse, des politiques imprudentes, comme la suppression des quotas laitiers, peuvent déséquilibrer toute une production, le lait représentant 20 % de l’activité d’élevage du massif.
Il n’est pas évident de parler globalement du Massif central. Comme dans d’autres domaines, l’agriculture offre un visage contrasté avec des zones orientées vers des productions de qualité créant de la valeur ajoutée ou d’autres en proie à des difficultés structurelles profondes.
En ce qui concerne notre tissu de PME-PMI et de très petites entreprises dans le secteur de l’industrie ou des services, la situation reflète la répartition démographique. Nous avons quelques grands pôles industriels dynamiques. On pense notamment à Clermont-Ferrand avec Michelin, à Limoges avec Legrand ou à Saint-Étienne. Il s’agit effectivement des plus grandes villes du territoire, mais de petits écosystèmes industriels fonctionnent également bien autour des villes moyennes : Rodez, Brive, Thiers, Montluçon ou Aurillac. Globalement, la carte de l’activité économique épouse celle de l’urbanisation.
La nature du tissu économique du Massif central, constitué essentiellement de PME-PMI, voire de très petites entreprises, appelle du discernement dans les décisions nationales. On ne peut appréhender de la même manière une société du CAC 40, comme Michelin ou Legrand, qui démontre d’ailleurs qu’une firme multinationale française peut fort bien avoir son siège hors de l’Île-de-France, et une entreprise artisanale de trois salariés du Forez. Je voudrais, par exemple, mentionner le succès remporté par le plan Embauche PME, succès trop faiblement popularisé, ou les dispositions bénéficiant à l’économie sociale et solidaire, plus dense ici que dans la moyenne nationale.
Non, les territoires ruraux ne sauraient être considérés comme des espaces à vocation seulement récréative ! À un moment où la désindustrialisation touche prioritairement les villes petites et moyennes, qui structurent l’espace rural, et non les métropoles, une stratégie autonome de développement rural visant la valorisation des ressources locales constitue une impérieuse nécessité. L’équilibre ville-campagne et l’harmonie de notre société en dépendent.
Une foultitude de colloques ou rapports évoque la ruralité comme étant une chance et un atout pour la France. Cette affirmation demeurera une simple déclaration d’intention, si certaines conditions ne sont pas remplies : la puissance publique doit en être le garant et l’impulsion, elle doit être animée par le souci d’une mise en œuvre efficace du nouveau contexte institutionnel, par celui d’une contribution majeure à la lutte contre le réchauffement climatique ou bien encore par un usage optimal des nouvelles technologies, en particulier le numérique.
Le service public, qu’il soit d’État ou local, tient un rôle irremplaçable dans un « vivre ensemble » de qualité.
France Stratégie écrit ainsi : « Le système redistributif et la répartition de l’emploi public réduisent significativement les écarts territoriaux. » D’où l’importance des schémas départementaux d’accessibilité aux services publics.
Oui, grâce à l’engagement coordonné de l’État et des collectivités territoriales, on parvient à des investissements publics qui changent en profondeur le cadre de vie de nos concitoyens et suscitent un dynamisme économique dont le Massif central a besoin.
Nous devons lui donner toutes ses chances, et le rôle du comité de massif reste majeur dans les grands choix, lui donnant une identité plus affirmée, qui synthétise nos spécificités et les aspirations de nos concitoyens, par exemple au travers des aménités environnementales, liées à nos ressources naturelles d’excellence : la qualité de l’air et des eaux superficielles, les produits du terroir, les paysages, la biodiversité, le massif forestier, les services touristiques, la sécurité publique…
Notons également l’importance de la filière bois dans la région avec un fort potentiel économique, maintes fois relevé par la Haute Assemblée.
Le développement du tourisme reste un autre grand facteur d’avenir pour le Massif central. L’authenticité des paysages et un cadre de vie préservé sont fortement appréciés. C’est le gage du développement d’un tourisme vert toujours plus rayonnant. Il se fonde en particulier sur la promotion des activités physiques de pleine nature et la préservation d’un patrimoine bâti de qualité épousant les aspirations et les attentes des touristes d’aujourd’hui.
Le tourisme culturel est doublement bénéfique pour le Massif central. Il apporte une certaine activité sur les territoires qui le mettent en place et permet de valoriser l’image de ces mêmes sites : le festival international du court métrage de Clermont-Ferrand – le deuxième de France après celui de Cannes –, le festival international de théâtre de rue d’Aurillac – le plus grand d’Europe dans sa catégorie –, le festival de musique de La Chaise-Dieu, qui fête ses cinquante ans cette année, ou encore la cité internationale de la tapisserie d’Aubusson, qui concrétisa, en 2009, l’inscription des savoir-faire de la tapisserie au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Formulons d’ailleurs le vœu de voir celle-ci bientôt rejointe par d’autres dans ce classement !
Le droit à la santé doit être exercé comme un service public. Le ministère de la santé multiple les incitations permettant de faire face au risque de désertification médicale, avec, par exemple, les contrats territoriaux d’installation. Mais nous n’échapperons pas à des mesures coercitives si nous voulons être réellement efficaces sur cet enjeu, souvent considéré par les élus de nos campagnes comme étant absolument vital pour fixer la population.
En dépit du décret du 20 mai 2016 reconnaissant la spécificité des hôpitaux de proximité, la fragilité financière de nombreux établissements publics de santé demeure. La vigilance doit rester de mise, car ces établissements accueillent, soignent et accompagnent les Français près de chez eux.
La population, souvent âgée, bénéficie d’EHPAD, des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, qui méritent d’être accompagnés dans leurs efforts de modernisation, en particulier pour intégrer les nouvelles technologies dans la prise en charge de la dépendance, telles que la domotique.
Je profite de cette occasion pour saluer l’action du ministère de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, depuis 2014 notamment. Je pense en particulier à la méthode retenue reposant sur la concertation, avec les assises de la ruralité de 2014, aux nombreux engagements pris lors des trois comités interministériels aux ruralités – Laon en mars 2015, Vesoul en septembre 2015 et Privas en mai 2016 – et à l’évaluation présentée en conseil des ministres le 9 novembre dernier.
Nous pouvons maintenant, au jour le jour, département par département, suivre, sur le site du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, l’état d’avancement de ces comités interministériels, en particulier sur les questions liées aux maisons de services au public, aux maisons de santé, aux conventions ruralité avec l’éducation nationale, au déploiement territorial de la téléphonie mobile ou au plan France très haut débit.
Lors des débats présidant à la mise en place des schémas départementaux de coopération intercommunale, les SDCI, beaucoup d’élus exprimèrent la nécessité de formaliser et d’appliquer de réels projets de territoire, si possible structurés autour de bassins de vie.
Une possibilité leur est donnée, avec la mise en place des contrats de ruralité, portés par les établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, ou les pôles d’équilibre territoriaux et ruraux, les PETR. Abondant les financements de droit commun, une part du Fonds de soutien à l’investissement local, le FSIL, de 216 millions d’euros leur est consacrée, élément déclencheur de leur concrétisation, en 2017, sur les territoires volontaires.
Le Massif central, par sa caractéristique profondément rurale, est directement concerné par cette démarche, adossée à des référents ruralité, en général des sous-préfets, clairement identifiés comme interlocuteurs privilégiés des élus locaux.
Cette nouvelle procédure complète tout un arsenal de dispositifs, structures et financements appropriés, dont la coordination optimale sur le terrain ne va pas toujours de soi : ZRR, zones de montagne, PER, pôles de compétitivité, réseau rural français, volets territoriaux des CPER, FEDER, FEADER, DETR, DSR, DSV, FNADT, FSIL…
La performance économique et l’attractivité de nos territoires, une intense politique d’accueil d’actifs et d’activités, l’accès facilité aux services publics doivent être les corollaires de notre République décentralisée ; celle-ci mérite une politique d’aménagement du territoire ambitieuse.
Le désir de campagne, jamais aussi fort que dans la période actuelle, débouchera sur de regrettables frustrations si le volontarisme politique ne lui donne pas satisfaction. Il y va du désir d’épanouissement et de projet de vie de centaines de milliers de familles.
Concernant cette nécessaire complémentarité ville-campagne, je veux dire ici mon inquiétude inhérente au contenu des futurs contrats de réciprocité, que le CGET a opportunément intégrés aux pactes entre l’État et les métropoles.
En effet, l’un des trois défis majeurs de ces pactes est de « favoriser leur rôle de locomotive de l’économie nationale. Les métropoles doivent devenir des catalyseurs du développement régional et soutenir le développement des territoires ruraux et périurbains ».
Or ces contrats de réciprocité ne semblent globalement concerner qu’une infime partie des territoires ruraux situés dans la proche périphérie des pôles urbains signataires. Comme facteur de solidarité territoriale, l’impact serait alors mince.
L’égalité des chances entre les territoires doit rester un objectif clé de la cohésion nationale. Oui, l’égalité ! Nous rapprochons cette exigence de ce que Jean-Jacques Rousseau en écrivait : « Cette égalité, disent-ils, est une chimère de la spéculation qui ne peut exister dans la pratique. Mais si l’abus est inévitable, s’ensuit-il qu’il ne faille pas au moins le régler ? C’est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l’égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir. »
Si le Massif central, formé il y a 500 millions d’années, est essentiellement hercynien, la volonté des hommes et des femmes qui l’habitent aujourd’hui est d’en faire un territoire d’avenir, un espace de montagne cohérent et ouvert, économiquement dynamique et socialement solidaire, prêt à relever les défis du développement territorial.