… celles de l’agrégation à Jean Guéhenno, fils d’un cordonnier de Fougères, celles de l’École Polytechnique au fils d’un ouvrier menuisier de ma commune du Morbihan.
En substituant à ce système simple, objectif et démocratique une formule compliquée, controversée et faisant une part très importante à la subjectivité, vous ouvrez la voie aux frustrations, aux contestations et aux contentieux. Vous laissez la suspicion entacher le mode de recrutement des hauts fonctionnaires de l’État, alors que celui-ci se doit d’être irréprochable pour ceux qui sont amenés à servir l’intérêt général.
En exposant l’administration au risque de la cooptation ou du favoritisme, on contredit l’objectif proclamé par le Président de la République, qui souhaite justement ouvrir les responsabilités les plus élevées à toutes les catégories de la population, singulièrement à celles qui sont les plus défavorisées.
Relisez l’exposé des motifs de l’ordonnance de 1945 relative à l’ENA : « Les administrations organisent chacune de leur côté le recrutement et la carrière de leurs agents. Les conditions exigées pour des emplois cependant comparables varient d’une administration à l’autre. Le rythme des concours est laissé à l’appréciation de chaque service. Il en résulte une spécialisation et un cloisonnement excessifs. »
L’un des mérites de l’ENA a été de mettre fin aux recrutements séparés, à la spécialisation et au cloisonnement excessifs de l’administration dénoncés par l’ordonnance de 1945 en unifiant la formation des futurs hauts fonctionnaires et en créant un corps unique d’administrateurs civils.
Donner aux administrations une latitude excessive pour le recrutement de leurs futurs agents recrée les conditions du cloisonnement auquel l’ordonnance de 1945 entendait mettre fin. Ce serait un grave recul.
L’abolition du concours de sortie de l’ENA, monsieur le secrétaire d'État, va bien au-delà de la suppression de quelques épreuves. Elle conduit, en réalité, à une réforme profonde de l’accès à la fonction publique.
Ne pensez-vous pas, quand il s’agit de l’intérêt de l’État, qu’il aurait fallu accorder davantage de temps à la consultation et à la réflexion avant d’amorcer un tel bouleversement ?
Craignez qu’avant peu les mécomptes entraînés par ces changements ne vous amènent, vous-même ou vos successeurs, à revenir sur une décision dont on a mal mesuré les conséquences et qui pourrait porter tort au crédit de l’École nationale d’administration comme aux principes républicains qui doivent guider son action.