Intervention de Gérard Larcher

Réunion du 13 décembre 2016 à 14h15
Éloge funèbre de paul vergès sénateur de la réunion

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher, président :

La nouvelle de son décès a provoqué sur l’île une onde de choc et une intense émotion, qui a trouvé son expression très forte lors de ses funérailles célébrées devant des milliers de Réunionnais dans l’enceinte émouvante du cimetière paysager de la commune du Port, dont Paul Vergès avait été le maire et qu’il avait profondément transformée.

Je sais l’émotion que le président Thierry Foucaud, qui me représentait à cette cérémonie, et nos deux collègues qui l’accompagnaient – la présidente de son groupe, Mme Éliane Assassi, et M. Pierre Laurent – ont eux-mêmes ressentie à cette occasion.

« La Réunion est orpheline », a ainsi titré le journal Témoignages, journal fondé un 5 mai 1944 par le docteur Raymond Vergès et dirigé, dès 1954, par son fils Paul.

C’est aussi avec une grande tristesse que les sénatrices et les sénateurs ont appris la disparition de Paul Vergès, qui était notre doyen et qui fut sénateur de La Réunion à deux reprises, d’avril 1996 à juillet 2004 et depuis le 1er octobre 2011.

Nous avons en mémoire les mots par lesquels il avait conclu ici même, le 1er octobre 2014, son allocution de président d’âge. Il avait rappelé ces propos de Jean Jaurès : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent et une confiance inébranlable pour l’avenir. », avant d’ajouter : « Que cette nouvelle ère illustre la volonté de voir enfin se réaliser pour le monde la devise de notre République : ″ Liberté, Égalité, Fraternité″ ».

Homme de conviction et de courage, Paul Vergès était un militant de toujours et un résistant. Il s’était ainsi engagé dès 1942, à l’âge de 17 ans, aux côtés de son frère Jacques, dans les Forces françaises libres. Il intégra l’école d’officiers parachutistes de Ribbesford en 1943, avant d’être parachuté en 1944 dans la Vienne auprès des résistants du maquis.

Paul Vergès s’était également engagé très tôt dans la vie politique de La Réunion, suivant la voie tracée par son père, proche du parti communiste français, qui avait œuvré à la départementalisation de l’île et des Antilles-Guyane en 1946. Il fut ainsi un militant et un responsable politique d’une longévité exceptionnelle, étant durant plus de soixante ans l’élu incontournable de son île.

Paul Vergès commença son ascension politique dès les années 1950, alors que l’île souffrait de grandes inégalités sociales et d’un important retard de développement économique. Il fut élu conseiller général en 1955 puis, pour la première fois, député en 1956, et c’est en 1959 qu’il fonda le parti communiste réunionnais, afin de mieux ancrer la revendication identitaire réunionnaise.

Paul Vergès exerça ensuite, durant plus d’un demi-siècle, tous les mandats électoraux locaux et nationaux, étant conseiller général, député à trois reprises, parlementaire européen durant treize ans, président du conseil régional de La Réunion de mars 1998 à mars 2010 et, bien sûr, notre collègue, sénateur durant quatorze années.

Il fut maire de la commune du Port, qui lui était si chère et où ses proches et ses amis se sont retrouvés pour lui rendre un dernier hommage.

Paul Vergès fut, tout au long de sa vie, une figure emblématique de son île, dont il parlait toujours avec chaleur et un enthousiasme inépuisable. Je me souviens de l’échange que nous avions eu à ce sujet.

Son nom restera attaché à nombre de transformations qu’a connues l’île depuis les années 1950.

Paul Vergès conduisit ainsi, lors de son mandat à la tête du conseil régional, une politique de grands travaux, l’amélioration du réseau routier et les chantiers de modernisation des politiques sociales étant au premier rang de ses préoccupations.

Il fut un bâtisseur, concrétisant des projets majeurs de développement de l’île, tout en menant son combat pour l’égalité, pour changer la vie quotidienne des Réunionnaises et des Réunionnais.

Il prônait aussi une vision à long terme et voyait dans l’île un « laboratoire » illustrant, avec ses caractéristiques propres, les problèmes démographiques, économiques et environnementaux du monde. Il estimait que La Réunion concentrait « toutes les contradictions, celles de la société capitaliste et celles du tiers-monde ».

Notre doyen était un homme politique d’une incontestable hauteur de vues, qui se projetait toujours dans l’avenir et le long terme. Son message pour La Réunion, qui conciliait désir d’autonomie et besoin de France dans les outre-mer, restera pour lui toujours d’actualité.

Il fut au Sénat le porte-parole inlassable de son île, déposant encore, en juin 2014, une proposition de résolution relative à une nouvelle politique énergétique et à un codéveloppement durable et solidaire dans l’océan Indien et, en octobre 2015, une proposition de loi constitutionnelle visant à étendre à La Réunion la possibilité accordée à la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane de fixer les règles applicables sur leur territoire dans des matières limitées relevant de la loi.

Mais Paul Vergès attachait plus globalement une importance majeure aux conséquences, insuffisamment prises en compte à ses yeux, de la transition démographique mondiale, dont il maîtrisait toutes les données et dont il faisait une analyse pénétrante.

Permettez-moi de rappeler les termes dans lesquels il évoquait le 1er octobre 2011, à cette tribune, les évolutions démographiques actuelles : « En 1950, la population totale de la planète était de 2, 5 milliards […]. Or, en soixante ans, la population mondiale a augmenté de 4, 5 milliards. Et, dans quatre décennies, soit six mandats de sénateur, la seule augmentation de la population sera égale au nombre total d’humains que comptait la planète en 1950. […] Ce phénomène est la plus grande révolution de l’histoire humaine […] et nous en vivrons tout au long de ce siècle les conséquences sur les plans économique, social, culturel et politique ».

Paul Vergès fut aussi – et les choses sont naturellement liées – l’un des premiers à alerter sur les conséquences du réchauffement climatique. Il exprimait inlassablement cette préoccupation.

Il fit ainsi adopter ici même, le 29 mars 2000, son rapport sur la proposition de loi, qu’il avait déposée, tendant à conférer à la lutte contre l’effet de serre la qualité de priorité nationale et portant création d’un observatoire national sur les effets du réchauffement climatique en France et dans les départements et territoires d’outre-mer, cet ONERC qu’il présida sans interruption depuis sa création, en 2001.

Il souligna encore avec force, à notre tribune, peu de temps avant les accords de Paris sur le climat, l’importance majeure de cette problématique : « Le réchauffement climatique au cours du siècle, expliquait-il, a des conséquences dans tous les domaines pour la vie humaine : climat, santé, vie économique, sociale et politique, environnement terrestre, aérien et maritime, et l’adaptation nécessaire à ce nouvel ordre. Rien n’est acquis, tout est à faire. Et l’enjeu est une nouvelle civilisation planétaire ! »

Paul Vergès laissera ainsi son empreinte dans les très longues négociations internationales sur le climat qui ont conduit, d’une conférence des parties à l’autre, aux accords de Paris.

Un grand Réunionnais nous a quittés, par l’œuvre impressionnante qu’il a accomplie pour La Réunion et les Réunionnais et, bien au-delà des limites de notre pays, sur le sujet climatique.

C’est cette figure dont portent aujourd’hui le deuil tous ses amis du groupe communiste républicain et citoyen du Sénat, ses collègues membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ceux de notre délégation à l’outre-mer et tous les sénateurs de la République.

J’ai bien sûr aussi une pensée particulière pour les sénatrices et sénateurs de La Réunion, à commencer par notre collègue Gélita Hoarau, à qui revient une nouvelle fois la lourde charge de succéder dans notre hémicycle à Paul Vergès, comme elle l’avait déjà fait entre 2005 et 2011.

Mes chers collègues, de par sa personnalité et l’action qu’il a conduite tout au long de sa vie publique, notre doyen restera toujours présent dans nos mémoires, et ce indépendamment de la diversité de nos sensibilités politiques.

J’exprime à ses enfants – en particulier à sa fille, Françoise –, à ses petites-filles, Amalia et Djamila, à leur famille et à tous leurs proches, à tous ses camarades de La Réunion, les condoléances sincères du Sénat.

C’est une figure qui s’en est allée, une figure qui a marqué La Réunion, mais aussi la vie politique de notre pays !

La parole est à Mme la ministre.

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