Intervention de Harlem Désir

Réunion du 13 décembre 2016 à 14h15
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 décembre 2016

Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen qui se tiendra jeudi prochain à Bruxelles doit être une étape essentielle dans la mise en œuvre des priorités qui avaient été fixées au sommet de Bratislava, qu’il s’agisse de la réponse européenne à la crise des migrations, de la sécurité et de la défense européennes, des questions économiques et sociales ou du soutien à la jeunesse européenne.

Concernant les migrations, un pas important a été franchi au cours des derniers mois avec la transformation de l’agence FRONTEX en corps européen de gardes-côtes et gardes-frontières, dont le mandat est élargi et qui sera doté d’une réserve mobilisable permanente de 1 500 agents fournis par tous les États membres.

Nous avons également engagé devant le Parlement européen la révision du code frontières Schengen et des travaux législatifs doivent commencer sur le système ETIAS de contrôle systématique électronique des entrées et des sorties. Ces législations doivent être adoptées au plus vite. De même, la France insiste sur le respect des principes de responsabilité et de solidarité en matière de migration, donc d’asile, responsabilité des pays de première entrée pour ce qui concerne le contrôle et l’enregistrement des réfugiés comme l’organisation des réadmissions des immigrants illégaux – à cet égard, des accords doivent être établis avec les pays de provenance –, et solidarité de l’ensemble des États membres quant à l’accueil des réfugiés et au soutien au pays de premier accueil. De ce point de vue, je le souligne, la France, qui est le premier pays pour ce qui concerne les relocalisations des réfugiés en provenance de la Grèce, a montré qu’on pouvait assumer ses responsabilités. Nous demandons à tous les États membres de faire de même.

Le Conseil européen se penchera plus spécifiquement sur la dimension externe de la politique migratoire européenne. Il devrait souligner l’importance de mettre en œuvre, dans toutes ses dimensions, la déclaration conjointe de l’Union européenne et de la Turquie du mois de mars dernier, afin de poursuivre la maîtrise des flux migratoires en Méditerranée orientale. Malheureusement, nous assistons de nouveau à une certaine augmentation de ces flux, avec environ 200 arrivées par jour. Ce chiffre était descendu à moins de 100. Pour autant, nous sommes très loin des arrivées massives précédentes : avant cet accord, 1 500 à 2 000 personnes prenaient chaque jour la mer vers la Grèce, en provenance de la Turquie, ce qui occasionnait, vous le savez, de multiples drames. Quoi qu’il en soit, nous devons insister sur le fait que la Turquie doit respecter ses engagements en matière de lutte contre les passeurs et les migrations illégales.

Certains États membres pourraient être tentés, comme l’Autriche et les Pays-Bas l’ont fait ce matin au cours de la réunion du Conseil des affaires générales, alors que nous débattions de la politique d’élargissement, de soulever la question plus générale du dialogue avec la Turquie et d’une suspension éventuelle de celui-ci. Pour nous, il est clair que, si la Turquie a le droit de se défendre contre les putschistes, après la tentative de coup d’État du 15 juillet dernier, ou contre les terroristes, qui ont encore frappé le pays ces derniers jours et que nous combattons à ses côtés, elle doit le faire dans le respect de l’État de droit et de manière proportionnée.

Les évolutions de ces dernières semaines sont à cet égard graves et préoccupantes, et l’Union européenne a exprimé avec force, le 8 novembre dernier, son inquiétude face à la répression qui touche des députés kurdes, des journalistes, des universitaires, lesquels n’ont rien à voir ni avec le coup d’État du 15 juillet ni avec les attentats terroristes.

Le dialogue avec la Turquie doit donc se poursuivre sur la base de la clarté et de la fermeté. De ce point de vue, il a été convenu ce matin qu’aucun chapitre de négociation ne peut être ouvert dans les circonstances actuelles. Lors de la réunion du Conseil européen, il sera rappelé que la Turquie, qui est un partenaire stratégique de l’Union européenne en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme, les migrations illégales et les trafiquants d’êtres humains, doit tenir les engagements qu’elle a pris dans le cadre de l’accord du 18 mars entre l’Union européenne et la Turquie.

Au-delà de cet accord, il faut agir sur les causes profondes des migrations en provenance d’Afrique, compte tenu notamment de ce qui se passe en Méditerranée centrale et des arrivées importantes sur les côtes italiennes de réfugiés.

Bien évidemment, une action diplomatique doit être menée pour trouver une solution à la situation de la Libye. Les chefs d’État ou de gouvernement feront aussi le point sur les premiers résultats du cadre de partenariat renforcé, engagé avec cinq pays prioritaires : l’Éthiopie, le Niger, le Nigeria, le Mali et le Sénégal. Un premier accord a ainsi été noué avec le Mali dimanche dernier ; il en sera rendu compte. L’élargissement géographique éventuel des pactes migratoires au-delà de ces cinq pays pourra être envisagé en fonction des premiers résultats concrets obtenus et en tenant compte des possibilités financières de l’Union européenne.

Il s’agit d’aider ces pays dans leur développement économique, en particulier de faire en sorte que les jeunes puissent y rester : ils doivent pouvoir trouver une formation, puis un emploi. Il s’agit également de renforcer leur capacité de contrôle de leurs propres frontières et de lutte contre les trafiquants d’êtres humains, et de mettre en place des accords en matière d’asile, de reconduite à la frontière des demandeurs non fondés à demander l’asile et des migrants en situation illégale.

Au titre de cette action en profondeur, il faut aussi saluer l’accord trouvé au Conseil sur le Fonds européen de développement durable, ainsi que sur le mandat externe de la Banque européenne d’investissement, ces dispositifs permettant de compléter les instruments dont dispose l’Union européenne, dans le prolongement des décisions prises lors du sommet de La Valette.

Le deuxième grand sujet à l’ordre du jour de ce Conseil européen sera la politique de défense commune et les questions de sécurité. C’est le point sur lequel sont attendues les avancées les plus nouvelles et d’une grande importance : l’Europe doit se donner les moyens d’assumer davantage de responsabilités en matière de défense. Personne n’assurera la sécurité des Européens à leur place. La France insiste depuis longtemps sur ce message, aujourd'hui repris par plusieurs de nos partenaires, notamment l’Allemagne. Vous le savez, les ministres des affaires étrangères et de la défense français et allemands ont publié cet été et cet automne des documents comportant des propositions qui ont fourni la base des débats du Conseil des affaires étrangères, qui s’est réuni le 14 novembre dernier.

Ce conseil constitue une étape particulièrement importante. Il a en effet permis d’enregistrer des avancées significatives dans le domaine de la politique de sécurité et de défense commune. La Commission a présenté le 30 novembre dernier un plan d’action européen pour la défense. Elle propose notamment la création d’un fonds européen de la défense, afin de soutenir les investissements dans la recherche et le développement conjoint d’équipements et de technologies de défense, ainsi qu’un recours aux fonds structurels et à la Banque européenne d’investissement, en appui à l’industrie de défense.

Il est donc important que le Conseil européen reprenne les conclusions du Conseil des affaires étrangères du 14 novembre sur la mise en œuvre de la stratégie globale de sécurité de l’Union européenne. Il faut que les impulsions nécessaires soient données, pour passer aux travaux pratiques, dans les domaines des financements, de l’organisation et de la coopération.

Nous souhaitons également qu’une revue européenne annuelle de défense soit désormais effectuée sous la coordination des États membres. Cela instaurera une sorte de semestre européen de défense, lequel permettra d’évaluer les besoins en matière de capacité, de coordination, d’interopérabilité et de soutien à nos industries de défense. Car les efforts doivent être mieux partagés sur le plan financier. Nous rappellerons l’objectif retenu par tous les États membres de l’Union européenne par ailleurs membres de l’OTAN de consacrer 2 % de leur PIB à la défense. La France s’est engagée en ce sens.

Les efforts doivent être mieux coordonnés et partagés. Je pense notamment à ceux qui visent à soutenir la base industrielle et technologique de défense. C’est aussi une condition de l’autonomie stratégique.

De même, nous devons avancer dans le domaine des opérations extérieures communes, menées sous l’égide de l’Union européenne, en révisant le mécanisme de financement Athena et en établissant une capacité de conduite et de planification permanente. Il s’agit de mettre en place un état-major européen, au-delà des actuels battle groups, lesquels n’ont d’ailleurs pas été utilisés. Nous devons également renforcer le soutien aux capacités de défense des États partenaires, notamment en Afrique, dans le cadre du CBSD, Capacity Building in Support of Security and Development. C’est un élément de notre projection de stabilité à partir de nos propres capacités.

Tout cela pourra conduire, le moment venu, si nécessaire, à la mise en place d’une coopération structurée permanente de la part des États membres prêts à avancer davantage dans ce domaine. Quoi qu’il en soit, l’ensemble des États membres est aujourd'hui concerné.

Quant aux enjeux de sécurité intérieure, beaucoup a aussi été fait, notamment sous l’impulsion des ministres de l’intérieur français et allemand. Je veux rappeler l’adoption de la directive relative à la lutte contre le terrorisme et les propositions sur les armes à feu et la lutte contre le blanchiment. La mise en œuvre effective de la directive sur le PNR, relative à l’utilisation des données des dossiers passagers, l’interopérabilité de nos systèmes d’information, ainsi que la mise en place de contrôles à l’entrée et à la sortie, dans le cadre du « paquet frontières intelligentes », sont très importantes.

Le Conseil européen reviendra sur les priorités fixées à Bratislava en matière de croissance, d’emploi et de soutien à la jeunesse. Nous sommes parvenus à un accord pour étendre le plan Juncker, qui passera de 315 milliards d’euros à 500 milliards d’euros. Il s’agit de prolonger et de développer l’initiative européenne pour la jeunesse et de financer la garantie pour la jeunesse.

Ce conseil sera l’occasion pour les Vingt-Sept de se retrouver pour faire le point sur la préparation des négociations en vue de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Nous nous appuierons sur les principes suivants : l’unité des Vingt-Sept, le lien entre les quatre libertés du marché unique et le fait qu’un État tiers ne pourra en aucun cas être dans une position plus favorable qu’un État membre.

Je serai bien évidemment à votre disposition, mesdames, messieurs les sénateurs, pour revenir sur les dispositions qui seront établies entre les Vingt-Sept concernant la conduite des négociations qui seront engagées avec le Royaume-Uni, dès que Mme Theresa May, comme elle s’y est engagée, soit au plus tard avant la fin du mois de mars prochain, aura engagé la procédure de l’article 50 du traité sur l’Union européenne.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principaux points qui seront débattus au cours de ce Conseil européen. Bien évidemment, nous reviendrons également sur la situation en Syrie, l’urgence humanitaire à Alep et la nécessité d’une solution politique à la crise syrienne.

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