Intervention de Didier Marie

Réunion du 13 décembre 2016 à 14h15
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 décembre 2016

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à la veille des soixante ans du traité de Rome, l’Europe est confrontée à la montée des populismes sur fond de crise des migrants, de crise économique et de crise institutionnelle.

Face à la mondialisation, qui, de promesse de prospérité, est devenue source d’insécurité, nos concitoyens s’inquiètent et le manifestent. La vague populiste et xénophobe frappe partout et défie tous les pronostics : Brexit, élection de M. Trump, refus de l’accord avec l’Ukraine par les Pays-Bas, non au référendum de Matteo Renzi, frayeur électorale en Autriche. La tentation du repli gagne du terrain, chez nous aussi.

Nos concitoyens entendent trop souvent dire, depuis des années, que l’Europe est la cause de leurs problèmes, rarement la solution. Et pourtant ! Qui peut croire que, séparément, les États de l’Union pourraient rivaliser avec les géants américains, russes ou chinois ? Qui peut croire que les banques italiennes aujourd’hui dans la tourmente pourront s’en sortir sans l’appui des mécanismes de stabilisation de la zone euro, en particulier des garde-fous de l’Union bancaire ?

Alors que, à nos frontières, MM. Trump, Poutine et Erdoğan n’aspirent qu’à l’affaiblissement de la maison européenne, l’Union doit se ressaisir, réagir, et ce dès le sommet du 15 décembre prochain. Il faut regagner la confiance, indiquer la route que l’on veut suivre, apporter des réponses aux inquiétudes.

Tout d’abord, il convient de répondre à l’urgence de l’arrivée massive des migrants, à la crise humanitaire qu’elle représente et à l’inquiétude qu’elle suscite auprès de l’opinion publique.

Si l’accord avec la Turquie a eu le mérite de stopper les flux vers la Grèce et les naufrages, il ne résoudra pas la crise des réfugiés à lui seul. À court terme, il ne peut être un prétexte pour ne pas exercer notre devoir de solidarité à l’égard des pays les plus exposés. Il ne peut y avoir de « solidarité à la carte », et encore moins de « solidarité flexible », pour reprendre les conclusions du sommet de Bratislava. Fermeté et solidarité, responsabilité et humanité, telles sont les valeurs qu’il faut porter !

À moyen terme, cet accord ne peut se substituer à la construction d’une politique commune d’immigration et d’asile. On ne peut pas se contenter d’externaliser le traitement de l’asile. L’Europe doit accueillir, réguler et protéger, en particulier les mineurs. Elle doit également prévenir les flux migratoires à venir, par conséquent muscler son aide au développement et coopérer avec ses voisins en déployant des partenariats et en mettant en œuvre son nouveau plan d’investissement extérieur, afin de soutenir la croissance et la stabilité de ces pays.

L’Europe doit s’ériger comme un rempart de l’État de droit. Elle doit donc être exigeante avec la Turquie : les purges continuelles menées depuis la tentative de coup d’État sont inacceptables. Progressivement, ce sont tous les principes de l’État de droit qui sont démantelés. Les atteintes à l’indépendance du pouvoir judiciaire et à la liberté d’expression ne sont pas tolérables. Et celles qui sont portées aux droits fondamentaux par certains gouvernements à l’intérieur même de l’Union européenne sont tout aussi inadmissibles.

Dans ce cadre, nous saluons le rapport adopté par le Parlement européen la semaine dernière qui plaide en faveur de la création d’un mécanisme de l’Union visant à garantir la démocratie dans l’ensemble de l’Europe et rappelle que nous partageons une communauté de valeurs.

L’Europe doit assurer sa sécurité. La crise migratoire et les attentats terroristes ont mis Schengen au banc des accusés et l’ont plongé dans un état comateux. Il est urgent de mettre en œuvre les mesures destinées à éviter sa disparition par l’effet de la réintroduction unilatérale, en dehors des règles communes, des contrôles aux frontières intérieures. Schengen est la solution, et non le problème !

L’environnement stratégique dans lequel l’Europe évolue nous conduit à nous poser la question de la sécurité sous un jour nouveau. La création d’un corps de gardes-frontières va dans ce sens ; ce corps doit être déployé rapidement. Au-delà, ce sont les outils Europol et Eurojust, ainsi que les capacités de renseignements qui doivent être confortés.

Par ailleurs, alors que le Royaume-Uni bloquait toute progression en matière de défense européenne, le Brexit éclaircit l’horizon des possibles. Le couple franco-allemand avance un certain nombre de propositions au sein d’une feuille de route susceptible d’être réalisée à court et moyen terme : une chaîne de commandement permanente, un renforcement de l’Eurocorps et une réforme du mécanisme Athena permettant d’étendre le champ du financement commun.

Même si les avancées du sommet de Bratislava restent timides, l’impulsion est là. La Commission européenne, avec la mise en œuvre de sa stratégie de sécurité et de défense, reprend une partie de ces propositions. Doté de 5 milliards d’euros, ce plan permettra de financer des activités de recherche, donc, de soutenir l’industrie européenne de l’armement.

Alors que le nouveau président américain semble rétrograder l’Europe dans la hiérarchie des priorités stratégiques des États-Unis, il est temps que les Européens se dotent d’une défense commune intégrée.

Le second défi concerne la croissance. Alors que nombre de citoyens reprochent, non sans raison, à l’Union européenne son orthodoxie budgétaire et ses politiques récessives, démontrons que l’Union dispose des leviers nécessaires à la relance de l’investissement et à la construction d’un véritable pilier social.

Saluons le doublement du plan Juncker, mais proposons d’aller plus loin en introduisant des conditions à l’accès aux garanties, notamment en faveur de l’embauche des jeunes.

Félicitons-nous des rallonges budgétaires pour 2017, de 500 millions d’euros pour l’emploi des jeunes et de 200 millions d’euros pour les programmes de soutien à la croissance. Soutenons la demande des États membres de créer un fonds commun pour la recherche.

S’il s’agit d’inflexions positives, le retour de la croissance nécessite plus. Pour augmenter les investissements, il faut un budget européen renforcé par des ressources propres assises sur l’impôt sur les sociétés et sur une taxe sur les transactions financières. Il convient également de renforcer l’Union économique et monétaire, de finaliser l’Union bancaire, de mettre en œuvre une gouvernance de la zone euro et une négociation pour un futur cadre financier pluriannuel plus ambitieux.

Plus de croissance, c’est moins de concurrence déloyale, c’est une réelle convergence fiscale et un projet social qui fixe un socle de droits sociaux pour lutter contre la course au moins-disant. Harmonisons la TVA, fixons un salaire minimum européen, luttons contre les fraudes au travail détaché qui minent la confiance des salariés, obtenons, comme le veut le Gouvernement, une rémunération équivalente des travailleurs détachés et des travailleurs du pays d’accueil, assurons-nous que les normes actuelles, comme l’accès à la sécurité sociale, s’appliquent aux nouveaux types d’emploi.

Dans le prolongement du succès de la Conférence de Paris sur le climat, menons aussi nos réformes au service de la transition énergétique.

L’Europe est à un tournant : la souveraineté partagée n’a pas suffi, ni à Schengen, pour construire une politique commune d’asile et d’immigration, ni à Maastricht, pour élaborer une politique économique européenne synonyme de croissance.

La politique des petits pas n’est plus adaptée ; elle se traduit par du « trop peu, trop tard » : il faut passer de la coopération et de la règle de l’unanimité à la réalité d’une véritable politique européenne. Ainsi convient-il d’aborder les questions institutionnelles, y compris les plus sensibles, en termes de transfert de souveraineté.

L’Union européenne a déçu, et bon nombre de ses citoyens s’en sont détournés. Aujourd’hui, à la veille de son anniversaire, soit elle se délite, soit elle décide d’être vraiment solidaire, d’agir pour l’intérêt général de ses peuples, de soutenir les jeunes et la transition écologique, de lutter vraiment contre l’évasion fiscale, d’accompagner la révolution numérique et d’élaborer une nouvelle doctrine de politique commerciale imposant la réciprocité et refusant l’Europe offerte.

L’Europe doit être recentrée autour des valeurs de citoyenneté, de solidarité, de lutte contre les inégalités et de défense des droits fondamentaux.

La soixantième année du traité de Rome est un rendez-vous d’étape pour enfin sortir des différentes crises européennes. C’est l’occasion à ne pas manquer pour réaffirmer les volontés, pour rappeler que c’est avec le citoyen et pour lui que l’Europe se construit. Avec l’Allemagne, la France porte l’immense responsabilité de faire bouger les lignes et nous comptons, monsieur le secrétaire d’État, sur votre engagement et sur celui du Gouvernement pour que ce sommet ouvre de nouvelles perspectives.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion