Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour du prochain Conseil européen sera une nouvelle fois riche de sujets fondamentaux pour l’avenir d’une Europe toujours en grande difficulté.
Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, les chefs d’État et de gouvernement reviendront de nouveau sur la crise migratoire. Les chiffres des arrivées pour 2016 sont sans commune mesure avec ceux de 2015, mais ils restent à un niveau très élevé, en particulier pour ce qui concerne la route de la Méditerranée centrale.
Quant à la route de la Méditerranée orientale, elle demeure tributaire de notre relation avec la Turquie, laquelle ne cesse de se détériorer au fil des mois et de la dérive autoritaire d’Ankara. Alors que le président Erdoğan menace d’ouvrir en grand les frontières de son pays s’il n’obtient pas ce qu’il souhaite de l’Europe, il devient urgent que celle-ci soit capable de gérer les crises migratoires de manière autonome.
Rien ne permet à ce stade d’affirmer que tel soit le cas. En matière d’asile, par exemple, les difficultés liées à la réforme du système de Dublin ou le concept de « solidarité flexible » du groupe de Visegrád laissent perplexe quant à la capacité des États membres à développer une vision commune.
En matière de sécurisation des frontières également, les lacunes sont encore profondes. Le corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes a certes été mis en place en un temps record, ce dont nous nous réjouissons, mais celui-ci doit désormais faire ses preuves. Il devra surtout pouvoir s’appuyer sur une implication sans faille de tous les États membres.
Or, jusqu’à présent, celle-ci a fait défaut, en ignorant les enjeux, qu’ils soient strictement migratoires ou, plus largement, sécuritaires. Dans ce domaine, des progrès certains ont été réalisés à l’échelon communautaire. Toutefois, c’est avant tout des États que dépend la mise en œuvre des politiques et des décisions communes. C’est à eux de se saisir des outils européens qui leur permettront de renforcer leur coopération.
En particulier, le partage des informations contenues dans les fichiers de police et de sécurité est tout à fait crucial. Or nous constatons encore de trop fortes disparités à cet égard. Au-delà des améliorations à apporter à ces fichiers quant à leur accessibilité et à leur interopérabilité, il faut impérativement inciter les États à développer enfin une réelle culture du partage des informations et de la coopération opérationnelle qui est tellement essentielle.
Il en va de même pour la sécurité extérieure. La Commission européenne a récemment proposé un fonds européen de la défense, qui permettrait d’agir à la fois sur la recherche et les capacités. Mais cette initiative ne pourra prospérer, en particulier pour ce qui concerne son volet « capacités », que si les États membres se décident à engager des politiques d’investissement et d’acquisition à la fois communes et ambitieuses.
En matière de migrations comme de sécurité, une prise de conscience semble avoir eu lieu à l’échelle européenne. Elle doit désormais trouver dans chaque État membre un relais efficace pour répondre concrètement aux attentes extrêmement fortes de nos concitoyens.
Dans le domaine économique, j’évoquerai rapidement le fonds Juncker. Le doublement de sa durée et de sa capacité financière est très positif pour relancer l’investissement et favoriser la croissance et l’emploi. Son incidence économique, qui a été évaluée, semble aussi très positive.
Mais, dans un contexte économique toujours incertain, il faudra bien que les États membres assurent le relais de ce dispositif en mettant en place un environnement favorable à l’investissement, singulièrement en France, que ce soit par des réformes structurelles ou par la levée d’obstacles réglementaires.
Permettez-moi, mes chers collègues, d’aborder maintenant le sujet du Brexit, qui ne figure pas officiellement à l’ordre du jour des débats, mais dont il est prévu de discuter au cours du dîner – sacré menu !
Cette semaine, l’horizon s’est légèrement dégagé sur le front du Brexit. La stratégie britannique n’est pas encore claire, mais le calendrier est confirmé. Nous savons que l’article 50 du traité de Lisbonne sera mis en œuvre par le Royaume-Uni autour du 30 mars prochain.
La Haute Cour a contraint le gouvernement britannique à demander l’accord du Parlement pour mettre en œuvre cet article. Le Gouvernement, qui souhaite garder les mains libres, a fait appel devant la Cour suprême, laquelle délibère. Quelle que soit la position de celle-ci, il est clair que le gouvernement britannique ne craint plus, aujourd’hui, de passer devant le Parlement.
En effet, la semaine dernière, le parti travailliste a présenté une motion demandant que l’article 50 soit mis en œuvre fin mars 2017. Le Gouvernement a fait amender la motion, de sorte à faire déclarer aux députés qu’ils s’engageaient à « respecter le souhait exprimé par le Royaume-Uni lors du référendum du 23 juin ».
En contrepartie, le Gouvernement acceptait le butoir de fin mars, ainsi que la présentation au Parlement de sa feuille de route et de ses intentions sur la négociation à venir. La motion a été adoptée, avec 448 voix pour et 92 contre.
Bien qu’il ne s’agisse que d’une motion, sa signification est politiquement et symboliquement très forte. C’est un premier succès pour Mme May et le signe d’une réconciliation avec le Parlement qui ôte de la force à toute décision à venir de la Cour suprême. En effet, il sera difficile aux députés de revenir sur leur position au cours de l’examen du projet de loi qui leur sera soumis pour autoriser la mise en œuvre de l’article 50.
Deux autres dossiers évoluent favorablement, mes chers collègues.
Premièrement, Bruxelles évoque une négociation de dix-huit mois sur les modalités pratiques du divorce – ces modalités sont essentiellement financières.
Deuxièmement, l’idée d’un accord transitoire pour encadrer les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, après le divorce et avant un nouvel accord définitif, progresse.
En revanche, Bruxelles, qui est déterminée à maintenir la cohésion des vingt-sept États membres restants, maintient sa position de départ, qui consiste à n’accorder aucun accès au marché unique sans paiement d’un droit d’entrée et sans la contrepartie de la libre circulation des personnes.
Enfin, une très grande incertitude plane encore sur la future stratégie de négociation des Britanniques. Cette incertitude fait craindre un « hard Brexit », c’est-à-dire une sortie de l’Union européenne sans accord, sans accès au marché unique et sans union douanière.
Si l’on part sur la base d’un hard Brexit pour entamer les négociations, comme cela se profile aujourd’hui, il faudra considérer que Londres et Bruxelles sont gouvernées prioritairement par des considérations politiques, et non par leurs intérêts économiques bien compris.
Toutefois, l’absence de relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne n’étant pas concevable, vous me permettrez d’appeler solennellement de mes vœux la conclusion d’un accord, fût-il provisoire, sur la circulation des marchandises en libre-échange et sur une bonne coopération en matière de sécurité. Il s’agit de faire cesser l’incertitude !
Tels sont, mes chers collègues, les quelques éléments que je souhaitais partager avec vous sur le Brexit, mais aussi sur les autres points à l’ordre du jour de cette réunion importante du Conseil européen. Comme l’orateur qui m’a précédée, je souhaite, sur ces dossiers, que des initiatives fortes puissent être engagées par ce couple qui nous manque tant depuis quelques années, le couple franco-allemand.