Intervention de Michel Billout

Réunion du 13 décembre 2016 à 14h15
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 décembre 2016

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen des 15 et 16 décembre prochains examinera les questions relatives aux migrations, à la sécurité, à l’économie et à la jeunesse, ainsi qu’aux relations extérieures.

Cette réunion du Conseil européen intervient alors que le budget européen pour 2017 vient d’être adopté, avec deux axes prioritaires : la question migratoire et le chômage.

Ce choix est révélateur des tensions qui traversent l’Union européenne, dans un contexte politique et économique difficile : la Cour suprême britannique débat du Brexit, le président du Conseil italien, Matteo Renzi, vient de démissionner après les résultats du référendum « anti-euro », la dette grecque doit, plus que jamais, être traitée de façon solidaire, la poussée des populismes inquiète et la question de la résolution de la vague migratoire pèse sur l’ensemble des pays de l’Union.

S’agissant de la réforme du régime d’asile européen commun et de la politique migratoire, le Conseil européen abordera la question de l’évaluation des cadres de partenariat pour les migrations et celle des pactes avec les pays africains ; il discutera des avancées législatives concernant le plan d’investissement extérieur et examinera la mise en œuvre de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie.

Permettez-moi, mes chers collègues, de consacrer quelques minutes à ce dernier sujet, qui pose la double question de la capacité de l’Union européenne à répondre avec responsabilité au mouvement migratoire et à ne pas brader les valeurs qui la constituent, face à un gouvernement brutal qui foule au pied l’État de droit tout en prétendant vouloir intégrer l’Union européenne.

Le rapport de la mission d’information du Sénat sur les conditions de la mise en œuvre de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, adopté à l’unanimité, rappelle que cet accord ne saurait constituer la réponse la plus appropriée aux migrations. Il est fragile, ambigu, ne répond que très partiellement aux difficultés rencontrées et, surtout, permet au président Erdoğan de se livrer à un chantage permanent face à ceux qui lui reprochent sa politique d’extrême répression de toute forme d’opposition.

Si l’accord peut, à la rigueur, répondre à une situation de crise – il a permis de freiner momentanément les déplacements de population –, il est loin de répondre à un mouvement migratoire pérenne, qui sera de plus en plus alimenté par la démographie, le réchauffement climatique, l’économie, les guerres ou les répressions politiques.

C’est pourquoi le rapport de la mission d’information recommande que l’Union européenne se dote rapidement des outils lui permettant d’anticiper et de gérer un phénomène migratoire qui est durable et structurel, mène une politique partenariale ambitieuse avec les pays d’origine et de transit et ouvre de nouvelles voies légales de migration dans les États membres. Il n’est pas acceptable, en la matière, de se limiter au renforcement de la protection des frontières extérieures.

L’Union européenne doit s’emparer de ces questions et les intégrer à sa politique extérieure, afin d’œuvrer à la résolution et à la prévention des crises entraînant les flux migratoires. Le drame que vit aujourd’hui la population civile d’Alep montre combien l’action de l’Union européenne, sur ces sujets, est inopérante.

Que penser, en outre, des relations qu’entretient l’Union avec la Turquie ?

Bien sûr, il nous faut condamner l’attentat d’Istanbul, comme tous les autres, de même que la tentative de coup d’État, avec la plus grande fermeté. Mais ces événements permettent-ils de justifier le déplacement forcé de 500 000 Kurdes turcs et la destruction ou confiscation de leurs biens, lesquels viennent d’être révélés par un rapport d’Amnesty International ? Permettent-ils d’accepter que 40 000 personnes aient été placées en détention, 1 125 associations, 35 hôpitaux, 15 universités, 19 syndicats et 934 écoles dissous ou fermés ? L’armée, l’éducation nationale et la justice sont particulièrement visées, et 80 000 fonctionnaires ont été suspendus ou révoqués, dont la moitié dans l’éducation nationale.

Plusieurs députés et dirigeants du HDP, le parti démocratique des peuples, ont été emprisonnés ; 37 conseils municipaux, dont 26 dans des localités kurdes, administrés par le HDP ont été démis de leurs fonctions, les maires emprisonnés et remplacés par des administrations placées sous le contrôle de l’AKP. Plus de 2 700 mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre de juges et de procureurs. La Turquie détient aujourd’hui le triste record mondial du nombre de journalistes poursuivis et emprisonnés.

L’Union européenne reste bien silencieuse ! Certes, le Parlement européen a demandé la suspension de la procédure d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, mais cette dernière devra faire preuve de bien plus de fermeté si elle ne veut pas perdre toute crédibilité sur la scène internationale. Il n’est pas bon de laisser croire qu’elle a troqué le rejet d’êtres humains migrants contre une cécité coupable à l’égard d’une répression extrême et intolérable qui se développe aux portes de l’Europe.

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