Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 13 décembre 2016 à 14h15
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 15 et 16 décembre 2016

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si la question migratoire ne fait plus quotidiennement la une de l’actualité, elle demeure néanmoins, sur le terrain, une réalité préoccupante ; il n’est donc pas surprenant de la retrouver à l’agenda de l’Union européenne.

La feuille de route jointe à la déclaration de Bratislava rappelle un certain nombre d’objectifs à atteindre, réaffirmés à l’occasion de la dernière réunion du Conseil européen, parmi lesquels celui de prévenir la réapparition des flux incontrôlés qui se sont succédé depuis 2014.

Dans cette perspective, un certain nombre de mesures concrètes ont été mises en œuvre, tardivement certes, mais regardons plutôt, aujourd’hui, ce qui a bien marché.

D’une façon générale, si l’on s’en tient aux chiffres, on peut dire que l’Union européenne, aidée par la Turquie, a réussi à freiner la pression migratoire sur ses côtes : en Méditerranée orientale, entre la Turquie et la Grèce, on est passé d’environ 2 000 arrivées par jour à moins de 80. L’accord entre l’Union européenne et la Turquie du 18 mars dernier a donc permis d’opérer une déflation des flux, même si ceux-ci restent importants en Méditerranée centrale.

Dans le cadre de cet accord, la réinstallation des Syriens en Europe semble bien fonctionner, avec trois fois plus de personnes réinstallées que de migrants renvoyés depuis les îles grecques. Cependant, si l’on évalue d’un point de vue global la politique européenne de réinstallation menée depuis 2013, force est de constater que le seuil de 22 504 personnes défini au mois de juillet 2015 est loin d’être atteint. La dernière réunion du Conseil avait appelé à amplifier les efforts. Il faut tenir nos promesses, sachant surtout que, l’année dernière, le Canada a déjà intégré 25 000 Syriens et les Américains 85 000.

La maîtrise des flux, c’est avant tout, mes chers collègues, la surveillance des frontières communes de l’Union européenne et le maintien de l’espace Schengen – nous en reparlerons. Par-delà la seule gestion quantitative du problème migratoire, la mise en œuvre du système ETIAS, ou système européen d’autorisation et d’information de voyages, va permettre un meilleur filtrage des entrées, indispensable dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Nous pouvons également nous féliciter de la création du corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes, qui a enfin vu le jour le 6 octobre dernier. Les moyens financiers et humains de la nouvelle agence FRONTEX vont progressivement augmenter, la France contribuant honorablement à la construction de cet outil.

Mais le travail de l’agence n’a de sens que si, dans le même temps, l’Union européenne a la capacité juridique de traiter la question des migrants au-delà de leur contrôle, de leur accueil ou de leur éventuel refoulement. Je pense notamment au droit d’asile, dont nous souhaitons une meilleure harmonisation à l’échelon européen. Le 13 juillet dernier, la Commission européenne a présenté le nouveau « paquet asile » ; mais, de la Suède à l’Autriche, la tradition d’accueil des réfugiés n’est pas tout à fait la même. Il me semble difficile d’aboutir, à terme, à une véritable uniformisation, ce qui n’empêche pas cependant d’instaurer quelques règles devant être respectées par tous les États.

À cet égard, s’agissant de la convention de Dublin, la décision, prise par la Commission européenne la semaine dernière, de rétablir son fonctionnement normal ne doit pas empêcher un débat sur un mécanisme qui fait actuellement peser la charge sur un nombre limité d’États membres.

Lors de la prochaine réunion du Conseil européen sera également évoqué l’état des négociations devant mener à la conclusion de pactes avec les pays africains choisis. Il est bien évident que la gestion des flux migratoires doit se faire en relation avec les pays de départ, comme cela a été rappelé l’année dernière lors du sommet de La Valette.

Le RDSE partage l’idée que l’Union européenne doit, en la matière, adopter une approche stratégique, dans le cadre de partenariats avec des pays tiers, sous réserve que la coopération avec quelques pays africains choisis dans la lutte contre les migrations ne remette pas en cause notre tradition d’accueil des réfugiés.

Mes chers collègues, globalement, les mesures mises en œuvre par l’Union européenne vont dans le bon sens ; mais nous ne saurions oublier que, derrière les pics exceptionnels de migration, se dessine un phénomène durable. L’Union européenne sera toujours sous la pression de tous ceux qui n’ont aucune perspective ni aucun avenir chez eux.

Aussi, c’est presque sans transition que j’aborde le volet économique de ces débats ; l’Union européenne, en effet, sera d’autant plus accueillante qu’elle aura les moyens économiques d’offrir un avenir à ceux qui n’ont plus rien.

Sur le front de la croissance, on observe un redressement de la zone euro, mais le rythme de cette amélioration reste très modéré.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler lors du dernier débat préalable à la réunion du Conseil européen, l’action économique de l’Union européenne doit s’orienter selon trois axes.

Le soutien à la croissance est bien entendu une première nécessité ; de ce point de vue, le plan d’investissement, dit plan Juncker, a rempli son rôle, même s’il ne peut pas tout. Depuis 2015, l’investissement a repris, et cette hausse devrait se poursuivre en 2017. Certes, il est difficile, à ce stade, de mesurer les effets macroéconomiques de ce redécollage de l’investissement, mais près de 14 000 petites et moyennes entreprises, dans 26 États membres, bénéficieraient des financements du Fonds européen pour les investissements stratégiques. Peut-être pourrez-vous nous transmettre, monsieur le secrétaire d’État, des indications sur les effets en France de cette politique de soutien à l’investissement ?

Deuxième axe : la poursuite de la coordination des politiques économiques et budgétaires – c’est un objectif des différents traités.

J’en conviens, s’agissant des politiques budgétaires, nous avons progressé, avec l’instauration du semestre européen. Mais si la convergence comptable est une chose, l’harmonisation des règles en est une autre. Sur les plans fiscal et social, on a souvent regretté les conséquences de la concurrence intra-européenne. Aujourd’hui, les choses progressent certes lentement, mais on peut se réjouir de l’avancée de dossiers comme ceux de la nouvelle proposition d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, ACCIS, ou de la révision de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés, même si les désaccords entre États membres ne sont pas tous éteints.

Enfin, mes chers collègues, le troisième axe que je souhaite évoquer est celui de la protection du marché européen, au moment où celui-ci est clairement menacé. Ce débat, nous l’avons eu dans le cadre des discussions liées au CETA, l’accord économique et commercial global, et au TTIP, le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ; nous avons souvent déploré, dans ce contexte, la faiblesse de l’Union européenne.

On peut pourtant observer un changement de paradigme, illustré par la position de l’Europe à l’égard de la Chine. En effet, Pékin ne bénéficiera pas, dans le cadre de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, du statut d’économie de marché qui devait lui être reconnu le 11 décembre dernier. Sans appeler au protectionnisme, qui n’est bon pour personne, l’Union européenne n’a pas intérêt à voir déferler sur son marché des produits qui pourraient lui coûter 2 % de croissance.

Mes chers collègues, la prochaine réunion du Conseil européen sera la dernière d’une année qui aura vu l’un des membres de l’Union, le Royaume-Uni, se détourner du projet européen. D’autres États membres sont tentés par le repli, comme l’indique la montée en leur sein des mouvements populistes et eurosceptiques. Comme il est mentionné dans la déclaration de Bratislava, « l’Europe n’est pas parfaite mais c’est le meilleur instrument dont nous disposons pour relever les nouveaux défis ».

Tâchons, alors, de lui donner du sens, afin de rétablir la confiance de tous nos concitoyens européens. Nous n’avons pas le choix : la solution à nos crises passe par l’Europe, par plus d’Europe, et surtout par « mieux d’Europe » ! Oui, l’Europe reste notre meilleure protection, et devrait être en même temps notre rêve commun !

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