Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette réunion de fin d’année du Conseil européen risque fort d’être expéditive : exceptionnellement, elle ne durera en fait qu’une seule journée.
Au terme de cette réunion raccourcie, rabotée, pour ne pas dire amputée – son ordre du jour est pourtant, comme toujours, pléthorique –, nul doute que le Conseil européen laissera toute latitude aux techniciens de la Commission et des États membres pour qu’ils puissent s’en donner à cœur joie.
L’Europe est en crise politique, institutionnelle et démocratique, mais surtout ne changeons rien, docteur Folamour !
Ainsi, à l’aube de l’année 2017, l’Europe bute notamment sur deux dossiers explosifs : le Brexit, naturellement, apparu en cours d’année, dont les contours et le calendrier demeurent encore des plus flous, et la crise des réfugiés qui s’éternise et s’aggrave, en particulier au sud de l’Europe.
Par manque de temps, je me concentrerai essentiellement sur ce dernier sujet.
En la matière, plusieurs axes de la politique européenne seront évoqués lors de cette réunion du Conseil.
Sera d’abord abordée la question des pactes avec les cinq pays africains que sont l’Éthiopie, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Sénégal, dans la continuité du plan d’action adopté en 2015 au sommet de La Valette sur la migration qui a réuni les chefs d’État et de gouvernement européens et africains.
En échange d’une politique migratoire ferme et de retour des migrants illégaux, ainsi que d’une surveillance accrue des frontières, l’Union européenne s’engage à renforcer la coopération économique avec les États concernés. Le premier accord a d’ailleurs été signé dimanche dernier avec le Mali.
Le groupe écologiste soutient évidemment le renforcement de la politique d’aide au développement aux pays les plus pauvres, mais pas dans le cadre d’un mélange des genres des plus douteux qui amène à attacher aussi sommairement aide au développement et contrôle migratoire. Ces accords constituent d’ailleurs une première un peu inquiétante dans la politique européenne d’aide !
Rappelons que l’objet de la coopération au développement, telle qu’elle est inscrite dans les traités européens, est la réduction de la pauvreté, et non la gestion internationale de la migration ou la protection de nos frontières extérieures !
Vouloir s’attaquer aux racines des causes migratoires est un objectif fort louable. Mais, monsieur le secrétaire d’État, la méthode utilisée est-elle vraiment la bonne ? N’aurait-il pas été préférable de lier cette aide au respect des droits humains et à la lutte contre la corruption ?
N’oublions pas que la plupart des régimes africains concernés sont connus pour être instables, loin de briller par leur respect des droits humains, et trop souvent gangrénés par une corruption endémique.
Il n’y a qu’à regarder du côté de l’Éthiopie. Au début du mois de septembre, la Commission européenne a dû démentir l’information selon laquelle Addis-Abeba recevait directement de l’argent du Fonds fiduciaire d’urgence en faveur de l’Afrique. Elle l’a fait sous la pression des organisations non gouvernementales, les ONG, à la suite de la répression sanglante de manifestants par les forces de l’ordre. Et, voilà à peine dix jours, après l’arrestation arbitraire d’un opposant politique, la Commission est enfin sortie de son silence pour dénoncer les exactions du gouvernement éthiopien.
Au passage, la philosophie de ces cadres de coopération est quasi identique à celle qui a guidé l’accord controversé conclu au mois de mars dernier avec la Turquie. Et, que ce soit en Éthiopie ou en Turquie, l’Union européenne semble prête à fermer les yeux sur les violations des droits humains. Si la Commission européenne se réjouit des retombées de cet accord, qu’elle se rende bien compte que la mise en œuvre sera en l’espèce bien différente !
L’envers du décor de ce pacte avec la Turquie cache d’ailleurs une réalité plus qu’inquiétante. Certes, les arrivées se sont taries. Mais le nombre de migrants, tassés sous des tentes de fortune sur les îles grecques, est toujours aussi alarmant. De plus, les retours vers la Turquie s’élevaient à la fin du mois de septembre à 578, loin de l’objectif affiché de 14 000.
Ces difficultés de mise en œuvre tiennent à plusieurs raisons.
Malgré l’envoi d’une quarantaine d’experts nationaux de l’asile de toutes les parties de l’Europe, la Grèce reste sous-équipée pour traiter toutes les demandes. Et, fait plus marquant, les officiers grecs de l’asile ont refusé de renvoyer en Turquie un certain nombre de migrants, estimant à juste titre que le pays n’était pas sûr, et ce, malgré une position contraire du Parlement grec.
Nous avons là une bombe à retardement que nous avons créée en déléguant nos responsabilités en matière d’asile et de migration à des pays tiers n’offrant que peu de garanties de respect des droits de l’homme.
À défaut de solidarité et au mépris des valeurs inscrites dans nos traités fondateurs, nous nous sommes surtout focalisés sur une gestion extérieure et souvent coercitive de la crise, ainsi que sur la protection de nos frontières extérieures.
Nous sous-estimons aussi une autre bombe à retardement sur la route de la Méditerranée : celle de l’Italie ! La situation de ce pays en matière de migration est dramatique.
M. le président de la commission des affaires européennes et moi-même faisions partie de la délégation qui est rentrée d’Italie cet après-midi. Nous avons pu rencontrer les responsables politiques, mais aussi les responsables des Nations unies chargés des réfugiés.
Aujourd'hui, ce point n’est même pas à l’ordre du jour du Conseil européen à venir. Quelle est la situation en Italie ? Cette année, 180 000 migrants au moins y sont arrivés, battant le triste record de l’année 2014 de 170 000 migrants. Le chiffre a explosé. Les conditions d’accueil sont insupportables. Au cours des quatre dernières années, 600 000 à 700 000 personnes sont arrivées dans ce pays.
On se targue, on se félicite, on se gargarise à l’envi de l’incroyable effort européen qui est fait pour renforcer l’agence FRONTEX ou l’opération Triton. Mais de qui se moque-t-on ? Qui paie cette solidarité ?
Qui assume le sauvetage en mer sur les larges côtes italiennes et, au-delà, dans leur zone économique, alors qu’il est de la responsabilité du droit international de venir en aide aux personnes en danger de mort ? C’est à 60 % l’Italie, à 25 % les ONG, et à 10 % ou 15 % à peine l’agence FRONTEX ! Voilà la réalité.
Qui paie pour l’accueil des migrants ? C’est à 80 % l’Italie seule ! Cette année, cela lui coûtera 1, 5 milliard d’euros, après 1, 3 milliard d’euros l’an dernier !
Dans quel monde vivons-nous ? Sommes-nous proches de nos voisins ? Aidons-nous l’Italie ? Non ! C’est : « Débrouillez-vous ! Assurez vous-mêmes les frontières ! »
Nous discutons avec M. Stéphane Jacquemet, responsable du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés pour l’Europe du Sud ; je parle sous le contrôle de mon collègue René Danesi, qui faisait partie de notre délégation. Nous avons de quoi être inquiets, et pas seulement à cause de ce qui se passe en Italie ou de la situation des migrants. Nous devrions nous inquiéter de nous-mêmes, de ce que nous sommes et de ce que nous prétendons représenter.
La réalité, c’est que les routes de la migration sont aujourd'hui fermées. En Italie, ce ne sont plus 180 000 personnes qui passent pour traverser la France ou aller au Royaume-Uni ; cette année, sur ces 180 000, 100 000 ont demandé l’asile, soit une hausse de plus de 50 % par rapport à l’année précédente !
Nous pouvons parler de solidarité, nous gargariser, dire que le Conseil européen avance… Mais tout est inquiétant.
Je terminerai en évoquant la situation à Alep, car c’est le pire. Les gens qui sont massacrés individuellement, collectivement, familialement à Alep, ce sont ceux qui ne peuvent pas partir, ceux qui sont bloqués, parce qu’ils sont trop pauvres. Les seuls biens qui leur restent, c’est leur bout de toit. On est en train de les laisser massacrer.
La formulation de l’ordre du jour du Conseil européen est un scandale. On évoque de manière sibylline « la situation avec les autres pays », en faisant une référence à la Russie. Car on ne veut pas mettre en cause la Russie… Cela va être comme la Turquie. Les Russes vont être nos meilleurs alliés, nos « policiers de l’Europe », tandis que notre Europe, dans ses valeurs démocratiques, s’effondrera !