La France a initié un rééquilibrage de son centre de gravité stratégique dans la zone indopacifique. Citée pour la première fois dans le Livre blanc australien publié cette année, mais aussi dans les Livres blancs néozélandais (publié le 6 juin 2016) et indonésien, la France s'affirme comme un acteur reconnu dans cette zone. Au cours de nos auditions et de notre déplacement, il nous est apparu que l'un des leviers de l'action et du rayonnement de la France dans l'indopacifique était sans conteste son armée. Son action et ses succès, tout comme la qualité de ses équipements, expliquent pour bonne part l'attribution du contrat du siècle à DCNS. C'est la raison pour laquelle nous sommes allés passer une journée avec les forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC) lors de notre déplacement.
Avec peu de moyens, les FANC font beaucoup : elles protègent le territoire national et contribuent au maintien de la sécurité dans la zone de responsabilité permanente ; elles participent au soutien de l'action de l'État ; elles assurent la police des pêches et la surveillance des ZEE, y compris des ZEE australiennes des îles de Heard et de Mac Donald ; elles continuent à assurer le sauvetage maritime en zone Nouvelle-Calédonie ; elles assistent les populations des États insulaires du Pacifique en cas de catastrophe naturelle, dans le cadre de la déclaration commune de la France, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, dite Accord FRANZ. À la demande des États sinistrés, il a été mis en oeuvre en avril 2015 pour gérer les conséquences du cyclone Pam aux îles Vanuatu, et en février 2016 pour réparer les dégâts causés par le cyclone Winston aux îles Fidji. Dans ce cadre, d'ailleurs, la France a joué le rôle de facilitateur à l'intervention humanitaire de l'Australie aux îles Fidji.
Les FANC comprennent 1 663 personnels. La fin des renoncements de projection en outre-mer consentie pour permettre de tenir la posture de défense du territoire national (Sentinelle) devrait soulager des effectifs très sollicités.
Les équipements des FANC sont en petit nombre et parfois extrêmement âgés. Les Puma sont notamment dans ce cas, avec dix années de trop. L'arrivée du nouveau bâtiment multi-mission D'Entrecasteaux, le 29 juillet dernier, est une bonne nouvelle qui va renforcer les actions de transport léger et de soutien logistique. Dans le domaine des patrouilleurs océaniques, en revanche, un déficit capacitaire est prévisible entre 2020 et 2024, date de la livraison des nouveaux BATSIMAR aux termes de la loi de programmation militaire, qui doivent remplacer les deux patrouilleurs P400 : La Moqueuse et La Glorieuse. Ceux-ci doivent cesser de fonctionner en 2020, mais dès cette année, le taux d'indisponibilité de La Moqueuse a été très largement supérieur à 50 %. Cela ne nous semble pas tenable, l'effort budgétaire à réaliser n'est pas si conséquent au regard des réelles retombées attendues !
La France multiplie les partenariats stratégiques dans la zone : avec l'Inde en 1998, l'Indonésie en 2011, Singapour et l'Australie en 2012, le Viêt Nam et le Japon en 2013, la Chine en 2014. L'accord stratégique avec l'Australie vient d'ailleurs d'être réactualisé en 2016. Nous avons un vaste réseau d'attachés de défense dans 18 pays et d'attachés de sécurité intérieure dans 21 pays de la zone. Outre les accords FRANZ, la France est partie du traité de Manille, du traité de Rarotonga, du traité de Bali. Elle participe au forum régional de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) par l'entremise de l'Union européenne, au dialogue du Shangri-La. Elle est partie aux échanges QUAD regroupant les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et notre pays.
Elle participe aux manoeuvres et exercices militaires multilatéraux : Equateur, Croix du Sud, ou encore aux actions de coordination de protection des ZEE, comme l'opération Tui Moana. Nous ne resterons crédibles qu'avec des moyens adéquats, performants et présents en mer et dans les airs. Il est temps de mettre en oeuvre les moyens de nos ambitions, en équipant à la hauteur de leur mission les FANC mais aussi les forces miliaires stationnées en Polynésie française, surtout quand l'Australie et la Nouvelle-Zélande - dans une moindre mesure, qui n'est pourtant pas négligeable - décident, sur la base de leurs nouveaux Livres blancs, de renouveler leurs parcs d'équipements militaires.
L'analyse stratégique de ces deux pays est caractérisée par deux interrogations.
Premièrement, est-ce la fin de la supériorité américaine dans la zone, quand bien même le pivot américain a affirmé l'importance accordée par les États-Unis à cette zone, et que l'impression de désengagement américain n'était pas du tout partagée par les responsables que nous avons auditionnés ? Le résultat des élections présidentielles américaines pourrait toutefois modifier ce sentiment.
Deuxième question, bien plus essentielle à leurs yeux : la présence militaire renforcée de Pékin en mer de Chine. La République populaire de Chine est vue comme la principale menace à la stabilité de l'arc indopacifique cherchant à se positionner sur les détroits liant les deux océans.
C'est dans ce contexte que nous avons remporté le processus d'évaluation compétitive australien. La France avait pour elle dans cette compétition la supériorité technique des équipements proposés - selon nos partenaires australiens, unanimes sur la question -, la compréhension de la volonté australienne de disposer d'une industrie navale souveraine et d'une autonomie stratégique réelle, et la mobilisation de l'équipe France dont notre présidente va maintenant vous parler.
Je conclurai, pour ma part, en rappelant que c'est sur la crédibilité de son armée que la France a remporté le contrat du siècle. Il nous faut rester crédible et fiable, ce qui signifie : augmenter les moyens de nos forces dans l'indopacifique à hauteur de leur mission, ce qui n'est pas impossible, simplifier la gouvernance militaire de cette zone pour qu'elle soit plus lisible pour nos partenaires, continuer de déployer nos navires, notamment ceux de premier rang, pour réduire les risques de déni d'accès ou de contestation du droit de la mer.