Nous aurons ce matin deux débats, l'un portant sur des conventions, l'autre sur le rapport d'information du Sénat relatif à l'Australie.
J'invite M. Cédric Perrin à présenter son rapport sur les conventions relatives aux lignes ferroviaires Belfort-Delle et Annemasse-Genève.
Nous examinons aujourd'hui deux projets de loi autorisant l'approbation de deux conventions ferroviaires avec la Suisse - ce n'est pas l'Australie, mais ce pays est tout de même intéressant ! - concernant respectivement la ligne Belfort-Delle et la ligne Annemasse-Genève. La Commission européenne, sollicitée en application de la directive de 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen, a autorisé la France à les conclure.
La première, a pour objet la réhabilitation des 22 kilomètres de la ligne Belfort-Delle, fermée aux trafics de voyageurs depuis 1992, en vue de son raccordement à la ligne Delle-Delémont, sur le territoire suisse. Elle s'inscrit dans le projet global de la France de raccorder son réseau à grande vitesse avec celui de ses principaux voisins, et plus particulièrement dans la continuité de la convention franco-suisse de 1999 relative au raccordement de la Suisse au réseau ferré français. Cette ligne desservira la zone de Belfort-Montbéliard (300 000 habitants) avec le site d'Alstom-General Electric, ainsi que les villes de Delémont (35 000 habitants), Bienne (89 000 habitants) et Soleure (73 000 habitants) dans le Jura suisse, canton qui emploie environ 33 000 personnes dans les secteurs de l'horlogerie et de la microtechnique. En 2014, l'INSEE y identifiait 7 185 travailleurs résidant en France, dont 5 833 Franc-comtois. Je me demande cependant, si ces salariés pourront véritablement se rendre sur leur lieu de travail sans voiture, compte tenu de la dispersion des entreprises dans ce canton très rural.
Cette nouvelle ligne permettra surtout une desserte ferroviaire de la gare TGV Belfort-Montbéliard. Les habitants des cantons suisses limitrophes et de l'aire urbaine de Belfort-Montbéliard auront ainsi, à terme, un accès sans rupture de charge, à la gare Belfort-Montbéliard TGV.
Les correspondances seront également optimisées entre les TER et les TGV en provenance de Paris. Selon les études réalisées, le trafic quotidien sur la ligne devrait être de 3 700 voyageurs. Je m'interroge sur la rentabilité de cette ligne, d'autant que, selon les informations transmises par les services du ministère en charge des transports que j'ai auditionnés, le taux de rentabilité interne résultant du bilan socio-économique réalisé par Réseau Ferré de France était nettement inférieur au seuil de 4 % à partir duquel un projet est considéré comme rentable.
Je crains que la décision, essentiellement politique, de réhabiliter cette ligne n'oblige à compenser financièrement un déficit récurrent, qui risque selon moi d'être important. Cette opération d'un coût total de 110,51 millions d'euros courants a fait l'objet d'une convention de financement signée en septembre 2014 entre la France et la Suisse, la Suisse s'engageant à hauteur de 27,9 millions d'euros. Actuellement, les travaux de génie civil ont atteint un stade d'avancement de plus de 70 %. L'opération connaît toutefois un retard de 4 à 6 mois, suite aux intempéries du printemps 2016. La date de mise en service est prévue pour la fin 2017 ou le premier trimestre 2018. Comme vous le voyez, les travaux sont bien avancés et il n'est plus question de faire machine arrière !
La seconde convention a pour objet la modernisation de la ligne ferroviaire d'Annemasse à Genève-Eaux-Vives, en vue de son raccordement à la gare de Genève-Cornavin, principale gare de Genève, comme le prévoyait déjà une convention en date de 1881.
Ce projet Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse, dit CEVA, se situe dans l'espace transfrontalier franco-suisse correspondant au canton de Genève et à son aire d'attraction proche - canton de Vaud et une partie des départements de l'Ain et de la Haute-Savoie. La très forte dynamique économique du Grand-Genève et les salaires pratiqués côté suisse drainent de nombreux travailleurs transfrontaliers : le nombre de permis de travail transfrontaliers - plus de 100 000 actuellement - a doublé en dix ans, entraînant une augmentation très importante des déplacements domicile-travail et une saturation du réseau routier local aux heures de pointes.
Le bassin franco-genevois souffre actuellement d'un très fort déficit d'infrastructures et d'offres en matière de transport en commun transfrontalier. Moins de 16 % des personnes qui effectuent les 550 000 déplacements quotidiens enregistrés à la frontière du canton de Genève utilisent les transports en commun. Le projet CEVA est essentiellement suisse : l'investissement suisse représente 1,266 milliard d'euros pour un coût total de 1,5 milliard d'euros, la France ne construisant qu'1,8 kilomètre de double voie en tranchée couverte entre la frontière et la gare d'Annemasse, sur un total de 16 kilomètres. Ce projet assurera l'interconnexion, de part et d'autre de la frontière, de 230 kilomètres de lignes et de plus de 40 gares dans un rayon de 60 kilomètres autour de Genève, et permettra la mise en service d'un système de transport cadencé, rapide et concurrentiel à la voiture.
Les voyageurs suisses et français gagneront en temps de parcours - 20 minutes de train entre Annemasse et Genève-Cornavin, et davantage de trajets directs depuis la Haute-Savoie - et en fréquence de transport - un train toutes les 10 minutes entre Annemasse et Genève-Cornavin et un train toutes les 30 mn sur les autres branches de l'étoile ferroviaire d'Annemasse. Ce projet devrait ainsi permettre d'accroître le trafic transfrontalier de plus de 170 % et de 87 % sur les relations franco-françaises. Le trafic journalier sur l'ensemble des origines-destinations devrait passer de 5 400 voyageurs à 13 000 voyageurs à l'achèvement du projet. Le report de la route sur le train est évalué à environ 5 000 personnes par jour à la mise en service, dont 3 500 sur les relations avec Genève et 1 500 sur les relations franco-françaises. L'ensemble des travaux du projet CEVA seront achevés fin 2018, côté français, et fin 2019, côté suisse, pour une mise en service en 2020, et avec un taux de rentabilité parfait.
Ces deux conventions, bâties sur le même modèle, ont en commun de régler la répartition des compétences et des responsabilités, selon le principe de territorialité pour l'essentiel, entre les gestionnaires d'infrastructure et les organismes compétents en matière de capacités - SNCF Réseau et les Chemins de fer fédéraux (CFF) - concernant la construction, l'entretien et l'exploitation de l'infrastructure dans la durée. Elles définissent également les règles applicables en matière de contrôles et d'accords douaniers, de sécurité ferroviaire et de sécurité civile. À cet égard, il y aura un bureau à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ) dans la gare de Delle, mais l'implantation d'un BCNJ dans la gare d'Annemasse rencontre actuellement quelques difficultés : surfaces insuffisantes pour l'implantation des locaux, problème de financement notamment, absence de discussion entre les autorités française et suisse.
En conclusion, je recommande l'adoption de ces deux projets de loi. Ces deux conventions amélioreront la connexion des réseaux ferroviaires français et suisse, et accroîtront ainsi l'offre de transport dans chacune des zones frontalières concernées. Elles participeront en outre au développement économique durable de ces régions, en permettant le désengorgement des axes routiers par le report modal induit.
L'examen en séance publique est prévu le mercredi 21 décembre 2016, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.
Y a-t-il des remarques sur ces textes ?
L'avis du rapporteur est certes assez réservé, mais il nous recommande tout de même de les adopter...
Compte tenu de l'avancée des travaux, il me paraît impossible de s'y opposer. La réouverture de la ligne Belfort-Delle était éminemment politique. Ce projet qui, de l'avis de Bercy, n'aurait jamais vu le jour sans quelques interventions, pose problème en termes de rentabilité. J'ai quelques inquiétudes quant à la future rentabilité compte tenu des frais de fonctionnement.
Que Bercy s'oppose à un projet d'infrastructure, ce n'est pas exceptionnel !
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport ainsi que les projets de loi précités à l'unanimité.
J'invite Mme Hélène Conway-Mouret à présenter son rapport sur le projet de loi autorisant l'approbation de deux avenants à des ententes conclues en matière de sécurité sociale entre la France et le Québec.
La France et le Québec entretiennent une relation spécifique du fait de leur histoire ainsi que du partage d'une langue et d'une vision sur de nombreux enjeux de gouvernance. Notre pays est le seul État à avoir des relations « directes et privilégiées » avec le gouvernement québécois depuis 1968. Le Québec constitue d'ailleurs la seule entité fédérée dans le monde, avec laquelle la France entretient des liens de cette nature. Au total, plus de 60 ententes bilatérales ont été signées dans la plupart des sphères de l'activité publique. Cette relation bilatérale s'inscrit néanmoins dans un contexte triangulaire toujours délicat entre Paris, Ottawa et Québec, et si le caractère « direct et privilégié » de cette relation est accepté par le gouvernement fédéral depuis 1984, celui-ci demeure toutefois attentif à toute évolution de cette relation.
En matière de sécurité sociale, la France est liée à la fois à l'État fédéral canadien et à la province du Québec, du fait de la répartition des compétences. En 1979, la France a conclu un accord de sécurité sociale avec le Canada et une entente de sécurité sociale avec le Québec. L'accord franco-canadien de 1979 - un accord signé en mars 2013 devrait bientôt le remplacer - détermine la législation applicable en cas de situation transnationale et ne couvre que les questions de compétence fédérale, comme la prise en charge des risques de long terme. L'entente franco-québécoise de 1979 a, quant à elle, été remplacée par une nouvelle entente signée en décembre 2003 et entrée en vigueur en décembre 2006. Elle constitue un accord classique de sécurité sociale qui coordonne toutes les branches de la sécurité sociale et qui a vocation à couvrir principalement les travailleurs salariés, non-salariés et les fonctionnaires amenés à exercer une activité professionnelle sur les deux territoires, pour qu'ils puissent bénéficier de la continuité de leurs droits en matière de protection sociale.
Pour faciliter les échanges d'étudiants entre la France et le Québec, un « protocole d'entente étudiants » a été conclu en décembre 1998, en remplacement d'un premier protocole datant de juin 1986. Il ne porte que sur les assurances maladie, maternité, accidents du travail et maladies professionnelles et permet aux élèves, étudiants, stagiaires non rémunérés et participants aux actions de coopération d'être dispensés d'affiliation dans le pays ou la province d'accueil, tout en bénéficiant de la prise en charge de leurs frais de santé pour les soins reçus sur ce territoire. Le premier avenant modifie l'entente de sécurité sociale de 2003, tandis que le second amende le protocole d'entente « étudiants » de 1998.
Ces avenants poursuivent tous deux des objectifs similaires de simplification et d'amélioration de l'accès aux droits. Ils ont en commun d'étendre leur champ territorial à la collectivité d'outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon - 6 000 personnes environ -, de prendre en compte la réforme de la protection universelle maladie en France et de moderniser les dispositions relatives à la protection des données personnelles. Je rappelle que le Canada offre, à cet égard, un niveau de protection adéquat pour l'Union européenne.
Ces données personnelles pourront ainsi faire l'objet de communication entre la France et le Québec ou être utilisées, avec ou sans le consentement de l'intéressé dans certains cas, notamment si c'est au bénéfice manifeste de la personne concernée ou si c'est nécessaire à l'application d'une loi au Québec ou en France. Plus spécifiquement, le premier avenant a pour objet de prendre en compte les réformes des prestations familiales intervenues en France et au Québec, et de simplifier la liquidation des pensions d'invalidité, sans compter l'extension de son champ d'application aux agents publics des deux gouvernements en poste en France ou au Québec, qui, sans grande logique, étaient auparavant régis par le protocole d'entente « étudiants ». Le second avenant prévoit principalement d'ajouter dans le champ des bénéficiaires toute personne, quelle que soit sa nationalité, dès lors qu'elle est affiliée dans l'un des régimes de sécurité sociale visés par l'entente, ainsi que les post-doctorants. Il s'agit essentiellement de régler le cas des post-doctorants boursiers du Québec, qui ont parfois renoncé à venir en France, faute de pouvoir bénéficier des accords de coordination en matière de sécurité sociale.
Enfin, je termine par quelques chiffres sur le nombre de Français et de Québécois concernés par ces deux avenants. Fin 2015, environ 92 000 Français étaient inscrits au registre des Français établis hors de France pour l'ensemble du Canada, dont plus de 61 000 à Montréal et 10 000 à Québec. En 2015, le Centre national des soins à l'étranger (CNSE) a remboursé au Québec plus de 3,5 millions d'euros de soins de santé dans le cadre de ces deux ententes et a encaissé 225 000 euros de la part du Québec. Les soins de près de 11 000 de nos ressortissant établis au Québec ont fait l'objet d'un remboursement par la France. Plus de 12 600 personnes perçoivent une pension vieillesse française au Québec, 8 500 personnes sont titulaires d'une allocation retraite complémentaire française. Au titre du « protocole étudiants », 12 000 étudiants français au Québec, lequel accueille 90 % des étudiants français qui viennent au Canada, bénéficient aujourd'hui d'une prise en charge par l'assurance maladie française. Pour l'année scolaire 2015-2016, on comptait un peu moins de de 1 400 étudiants québécois en France ; l'objectif est bien sûr de rééquilibrer les flux.
En conclusion, je recommande l'adoption de ce projet de loi. Ces deux avenants n'apportent pas de modifications fondamentales, mais faciliteront la vie des Français au Québec. En tout état de cause, il s'agit d'une dépense assumée par la France pour accompagner la mobilité transnationale de ses ressortissants, travailleurs comme étudiants, et nous ne pouvons que nous en réjouir. D'ailleurs, les conséquences financières de l'extension aux Saint-Pierre-et-Miquelonnais et aux post-doctorants seront modestes.
L'examen en séance publique devrait avoir lieu le mercredi 21 décembre 2016, selon la procédure simplifiée, ce à quoi je souscris.
Autrefois, un grand nombre de Québécois venaient suivre des études en France, puis ce mouvement s'est inversé : les étudiants français sont très nombreux au Canada, notamment au Québec, et nous recevons de moins en moins d'étudiants québécois. Cet accord permettra-t-il de rééquilibrer la situation ?
On peut l'espérer, mais il s'agit avant tout d'un accord en matière de sécurité sociale. On peut poser la question différemment : quelle est l'attractivité de notre enseignement supérieur et comment faire pour attirer les étudiants québécois ?
Le Canada a décidé que les Français paieraient désormais des frais d'inscription en tant qu'étudiants canadiens, donc plus élevés que ceux payés par les Québécois. La suppression de l'avantage dont ils bénéficiaient auparavant aura sans doute un effet dissuasif. Quant à la couverture sociale, c'est un élément positif, mais il ne me semble pas déterminant.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi précité à l'unanimité.
L'examen du rapport sur ce projet de loi, qui devait être présenté par Bernard Cazeau, est reporté. L'Assemblée nationale n'a en effet pas pu examiner ce texte hier comme prévu en raison de l'inscription à son ordre du jour du discours de politique générale du Premier ministre. Nous y reviendrons au mois de janvier prochain.
La commission nomme rapporteurs :
Marie-Françoise Perol-Dumont sur le projet de loi n° 137 (2016-2017) autorisant la ratification de la convention relative à l'assistance alimentaire ;
Xavier Pintat sur le projet de loi n° 173 (2016-2017) autorisant la ratification du protocole au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession du Monténégro ;
Yves Pozzo di Borgo sur le projet de loi n° 4170 (AN-XIVe législature) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne signé le 24 février 2015 pour l'engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (sous réserve de sa transmission).
La commission examine le rapport d'information de M. Christian Cambon et Mme Marie-Françoise Perol-Dumont « Australie : le rôle de la France dans le nouveau monde ».
J'invite Christian Cambon, Marie-Françoise Perol-Dumont, Robert Laufoaulu et André Trillard à présenter le rapport d'information sur l'Australie et la place de la France dans le nouveau monde.
Entre le moment où notre commission a décidé de travailler sur l'Australie et la place de la France dans le nouveau monde et aujourd'hui, un évènement majeur s'est produit qui a changé la perspective dans laquelle s'inscrivait notre travail. Je parle bien sûr de la signature du « contrat du siècle », c'est-à-dire de l'achat par l'Australie de 12 sous-marins français, au terme d'une procédure d'une qualité et d'une transparence que nous devons saluer. Contrat de 35 milliards d'euros, ou 50 milliards de dollars australiens, ce succès presque inattendu - nous y reviendrons - donnait un éclairage nouveau à notre démarche, tant il est évident que le choix d'un consortium français par l'Australie pour moderniser sa flotte sous-marine nous amène à envisager une relation stratégique étroite, et ce pour une bonne cinquantaine d'années.
Nous nous sommes donc rendus en Australie du 17 au 22 septembre derniers. Nous en avons profité pour faire une halte en Nouvelle-Calédonie afin de visiter les forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC). Nous avons ainsi pu comprendre la façon dont la France est perçue dans cette zone, la façon dont l'Australie analyse son environnement, et le rôle que la France peut assumer dans cette région.
Nous le soulignons d'entrée de jeu et avec force : il y a une demande de France très réelle, qui permet à notre pays d'accroître sa présence, son rayonnement, son efficacité dans cette zone, en utilisant tous les leviers dont nous disposons déjà et sous réserve des recommandations que je vous présenterai en conclusion.
La France est un acteur reconnu et attendu du nouveau monde ! Nous sommes, sans en être peut-être assez conscients, une puissance riveraine de la zone indopacifique, et nous allons nous affirmer dans les années à venir comme un partenaire stratégique de l'Australie. Il ne tient qu'à nous de devenir un acteur de tout premier plan dans cette zone !
Tout d'abord, nous partageons avec l'Australie la volonté d'assumer les attributs de la puissance qui est la nôtre dans notre région. Nos deux pays sont attachés : à la stabilisation de leur « premier cercle », pour reprendre les termes du Livre blanc australien, dans lequel la France est la seule puissance européenne mentionnée ; à la résolution pacifique des conflits, dans le respect du droit international, comme l'a rappelé notre ministre de la défense lors du « dialogue de Shangri-La » qui s'est tenu à Singapour en juin dernier ; enfin, nos deux pays jugent essentiel l'exercice d'une souveraineté propre, dotée des moyens de son autonomie stratégique. Ce point est crucial !
Nos pays partagent également les mêmes préoccupations que toute la zone indopacifique. La menace nucléaire nord-coréenne, les enjeux territoriaux en mer de Chine du Sud, le risque terroriste, les flux migratoires ou la course aux armements impliquent de trouver des solutions qui s'émancipent des blocages propres à la relation sino-américaine. On voit bien là que la France peut incarner une autre voie stratégique, autonome, d'autant mieux accueillie que l'image de notre pays a évolué dans le bon sens ces dernières années grâce à trois facteurs : l'extinction du contentieux nucléaire avec la fin des essais en Polynésie - la France a d'ailleurs été avec le Royaume-Uni, l'un des premiers pays à signer et ratifier le traité d'interdiction complète des essais nucléaires ; la mise en place d'un processus politique en Nouvelle-Calédonie, reconnu comme exemplaire ; les réformes de la PAC, qui ont répondu aux attentes du groupe de Cairns.
La France est désormais d'autant mieux perçue pour tenir un rôle global dans la région qu'elle a montré sa capacité à faire progresser la protection de l'environnement, en faisant de la COP 21 une priorité stratégique et en étant une vraie force d'entraînement dans ce domaine, crucial pour de très nombreux pays de la zone, comme en témoigne l'action menée par l' AOSIS (Alliance of Small Island States).
Bien sûr, nous partageons également avec nos voisins du nouveau monde les préoccupations relatives au développement économique et à l'évolution de nos sociétés, durement touchées par les attentats qu'ont connus également l'Australie, en décembre 2014 ou en juillet 2016, et l'Indonésie en 2002, 2015 et 2016. Les pays concernés par le retour des foreign fighters et les menaces d'attentats sont nombreux ; cela crée une communauté d'intérêts comparables.
Dans un contexte aussi troublé, la France et l'Australie se retrouvent autour de valeurs essentielles, forgées sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale.
Je tenais à souligner l'importance de la mémoire dans la relation de l'Australie à la France. J'avais déjà constaté pendant les cérémonies de commémoration de l'ANZAC Day à Villers-Bretonneux le 25 avril dernier, à quatre heures du matin dans la plaine de la Somme, que quelque 6 000 Australiens avaient fait le déplacement.
Les Australiens ont envoyé 10 % de leur population, soit 400 000 hommes volontaires, combattre pendant la Première Guerre mondiale : 153 500 ont été blessés et 60 000 sont morts, soit 1,5 % de la population de ce pays-continent, une proportion très proche des pertes britanniques. Chacun des interlocuteurs que nous avons rencontrés en Australie nous a parlé de son grand-père, de son grand-oncle, d'un membre de sa famille reposant en terre française. C'est dire si cette question essentielle a pu jouer un rôle dans les choix stratégiques que je viens de rappeler ! Elle touche aux fondements mêmes de la nation australienne, qui s'est reconnue telle au coeur de ce conflit mondial si éloigné de ses côtes, dans la douleur de la perte de ses enfants.
La bravoure de ces soldats, mais plus encore leur camaraderie, ont forgé l'idéal australien aujourd'hui transmis avec ferveur aux enfants de cette nation. Imaginez que tous les enfants australiens, et je vous rappelle que nous parlons d'un pays qui a la taille du continent européen, se rendront au moins une fois au cours de leur scolarité au mémorial de la guerre à Canberra. C'est un monument très émouvant dans lequel nous nous sommes d'ailleurs rendus pour déposer une gerbe au nom du Sénat en hommage aux soldats australiens morts pour nos valeurs et notre liberté. Sur des bases aussi solides et toujours vivantes, notre relation avec l'Australie ne peut que prospérer et servir de point d'appui précieux à notre rayonnement dans cette zone.
Pour parler de la place de la France dans le nouveau monde et du récent succès de « l'équipe France », tout en restant dans le ton de la camaraderie australienne, nous avons souhaité, avec Marie-Françoise Perol-Dumont, donner la parole à tous les membres de notre groupe de travail.
Christian Namy ne pouvant être parmi nous ce matin, il m'a demandé de vous faire part de ses réflexions sur le dossier qui nous occupe.
Vivant dans ces territoires qui commémorent le centième anniversaire de la bataille de la Somme, notre collègue souligne l'importance du lien de mémoire qui nous unit à l'Australie. Ce lien pose les bases solides d'une relation en devenir, comme en témoigne le projet d'école bilingue franco-australienne à Pozières. Or, pour nos jeunes générations, qui vivront le XXIe siècle, la relation avec l'Australie sera structurante, car la zone indopacifique est devenue le coeur de l'économie mondiale.
Pourquoi parler de « zone indopacifique », plutôt que d'Asie-Océanie ou de zone pacifique ? Le Livre blanc sur la défense australienne de mai 2013 marquait un tournant dans la pensée stratégique australienne en s'appuyant sur l'innovation conceptuelle d'« indopacifique ». Ce concept géographique est né du constat qu'il n'était désormais plus possible de séparer les enjeux et les intérêts des deux océans. Un arc indopacifique émerge et relie désormais l'océan Indien et l'océan Pacifique à travers l'Asie du Sud-Est, analyse partagée par le ministère de la défense, comme en témoigne le discours prononcé lors du sommet de Shangri-La.
Le fait de lier ainsi les océans Indien et Pacifique dans un même ensemble permet de prendre en compte les évolutions de l'économie mondiale, et de donner à la protection des voies maritimes et des détroits toute son importance pour la sécurité et la prospérité de la région. Ce concept rend acte des évolutions de l'économie mondiale, notamment la montée en puissance de la Chine et du sous-continent indien et l'aspect « corridor énergétique » de la zone qui relie le Moyen-Orient au marché asiatique. En 2010, les routes maritimes principales reliaient majoritairement les trois pôles États-Unis, Europe et Asie de l'Est. Selon les think tanks australiens, la zone indopacifique va devenir dès 2030 le centre de gravité du transport maritime mondial avec une augmentation importante du commerce de l'Asie vers le monde entier et une véritable explosion du commerce maritime intra-Asie du Sud-Est, rendant crucial le contrôle des détroits entre les deux océans.
Cette nouvelle conception géostratégique modifie la perception que l'Australie a de son environnement géographique : elle ne subit plus la « tyrannie de la distance », mais se trouve au coeur de la scène géostratégique régionale.
L'Australie profite pleinement du dynamisme économique de cette zone. La forte croissance que connaît l'économie australienne, la modernisation du marché du travail, une volonté d'insertion dans le monde asiatique, marquée notamment par son soutien à la banque asiatique d'investissement pour les infrastructures portée par la Chine, sont autant d'éléments favorables au développement des investissements directs étrangers en Australie.
Le « miracle australien », caractérisé par un taux de croissance du PIB ininterrompu depuis vingt-cinq ans, qui devrait continuer de progresser de 3 % par an, repose sur les ressources naturelles. Toutefois, la demande de minerais ralentit. L'Australie prévoit pour faire face à cette évolution de développer ses exportations de gaz naturel liquéfié et de devenir leader sur ce marché en 2020. Elle tente également de préserver son industrie et, avec le concours de la Banque centrale australienne, de soutenir sa demande intérieure.
Forte des revenus miniers accumulés, l'Australie développe à la fois des investissements publics et une stratégie de soutien à l'innovation visant le développement d'un secteur secondaire de haute technologie. Le Plan pour l'Innovation, doté d'une enveloppe 777 millions d'euros sur quatre ans, présenté le 7 décembre 2015, atteste de cette volonté d'accélérer la transition vers une économie davantage portée par l'innovation. Dans ce domaine, la France - nous l'avons vu notamment à Adélaïde - est attendue et peut réellement gagner de nouveaux marchés. Nous sommes déjà très présents dans le réseau des infrastructures de transport en Australie, nous pouvons encore nous y développer.
Lors de notre rencontre avec Gladys Berejiklian, ministre des relations industrielles de Nouvelle-Galles du Sud, la confiance en nos entreprises a été affirmée avec force et vigueur : elles sont vues comme très fiables, rigoureuses dans la tenue des budgets et des délais, et excellentes dans la relation au client. L'absence de candidature française pour le développement d'une ligne de transport ferroviaire dans cet État a été vivement regrettée par nos interlocuteurs. Enfin, les PME ont toute leur place dans ces projets d'investissement public qui concernent également la construction d'hôpitaux, de routes, de prisons, par exemple. Nos régions, qui ont un rôle réel à tenir dans le soutien aux exportations françaises, doivent soutenir nos PME.
Enfin, ce panorama économique ne serait pas complet si la question des investissements chinois n'était pas abordée. En octobre 2015, le gouvernement du Territoire du Nord a confié le port de Darwin à une entreprise chinoise, Landbrige. Face à l'émoi, le gouvernement australien a durci son positionnement et d'importants investissements chinois en Australie ont été empêchés. Ont été annulés la vente d'une immense compagnie foncière et le rachat d'Ausgrid, une compagnie de distribution d'électricité détenue par l'État de Nouvelle-Galles du Sud.
L'Australie, tout en ayant une démarche pragmatique au niveau économique à l'égard de la Chine, manifeste une réelle inquiétude sur les velléités d'expansion chinoise dans le domaine économique, les think tanks rencontrés par vos rapporteurs lors de leur déplacement en Australie en ont témoigné. Dans ce contexte, l'Australie recherche une autonomie stratégique nouvelle à laquelle la France peut contribuer.
Je donne la parole à Robert Laufoaulu, qui nous a apporté son expertise sur la vision régionale et le rôle que la France doit tenir dans cette région.
La France est un État souverain du Pacifique depuis deux siècles ! Et même un grand État : 62,3 % de notre zone économique exclusive (ZEE) nationale se trouve dans le Pacifique, et entre la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, il faut compter six jours de mer ou six heures d'avion, Wallis-et-Futuna étant situé au milieu. Nous appartenons à cette zone pacifique de l'intérieur, partageant son identité mélanésienne et polynésienne : la première visite de notre groupe de travail fut d'ailleurs pour le Sénat coutumier, réceptacle de la coutume, de la culture, et de la spiritualité de ce territoire.
Le 10 septembre 2016, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont acquis, après avoir été longtemps membres associés, le statut de membre de plein droit à l'issue du 47e Sommet du Forum des îles du Pacifique (FIP). Cette évolution a fait l'objet d'un consensus des leaders du Pacifique et du soutien de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et du Vanuatu. Le rôle du Premier ministre, francophone, du Vanuatu, Charlot Salwai, doit ici être salué. Cela souligne, s'il en était besoin, la nécessité de soutenir la francophonie dans cette région.
Vue de France métropolitaine, cette nouvelle est passée presque inaperçue, alors que sa signification est un indice extrêmement fort de la demande et de l'acceptation du rôle et du rayonnement de la France. La stabilité et l'avenir institutionnel de chacun de ces territoires constituent le prisme à travers lequel ils sont perçus sur le territoire métropolitain. Ces enjeux sont bien sûr essentiels et la visite de notre groupe de travail en Nouvelle-Calédonie a bien montré à quel point toutes les forces politiques sont mobilisées par la tenue du référendum d'autodétermination qui doit avoir lieu au plus tard en novembre 2018.
Si ces questions constitutionnelles ne ressortent pas de la compétence de notre commission, on doit toutefois souligner les éléments suivants : la qualité du processus démocratique mis en place est unanimement salué dans la zone et bénéficie à l'image de la France, écornée dans le passé en raison de l'affaire du Rainbow Warrior et des essais nucléaires en Polynésie ; les voisins de la Nouvelle-Calédonie sont attentifs au bon déroulement du processus et ont réaffirmé leur attachement à la présence de la France dans la région, quel que soit le résultat du référendum, insistant sur le rôle stabilisateur de nos territoires et de la métropole dans la région. Nous sommes vus comme une puissance stabilisatrice, vecteur de sécurité et de développement. André Trillard reviendra sur la sécurité, je vous parlerai du développement.
Lorsque Philippe Germain, président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, a prononcé son discours devant les États membres du FIP, il a utilisé un argument fort en indiquant : « Notre intégration en Océanie représente une opportunité puisqu'elle permettra, à travers la France, de sensibiliser les plus hautes instances européennes et internationales aux défis environnementaux et économiques des îles du Pacifique. »
L'Union européenne alloue, sur la base des accords de Cotonou du 23 juin 2000, des sommes en faveur du développement des pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), les trois territoires français du Pacifique faisant partie de cette dernière catégorie. Ces sommes sont passées de 8 millions à 40 millions, puis à 105 millions d'euros, du 9e au 11e Fonds européen de développement (FED).
Selon les informations recueillies, il apparaît clairement que de réels progrès peuvent être réalisés dans ce domaine. Tout d'abord, l'Union européenne est le premier bailleur de fonds de la région, mais ces actions ne sont pas suffisamment identifiées. Ensuite, les procédures administratives communautaires ne sont pas adaptées à la réalité du Pacifique et à l'étroitesse de la base administrative des petits pays insulaires. Cela induit des lourdeurs, des retards, des redressements incompréhensibles pour les acteurs de bonne foi qui découvrent des évolutions de règles en cours de vie du projet. La mise en place du 11e FED est ainsi retardée, pénalisant les projets et réduisant la possibilité de consommer l'intégralité de l'enveloppe allouée dans le temps de programmation restant.
L'accord de Cotonou, qui fonde l'aide communautaire, viendra à échéance en 2020. Il convient de repenser dès à présent la synergie entre les aides communautaires et l'action de nos PTOM, de rechercher des réponses efficaces à l'échelon régional dans le domaine de la lutte contre les catastrophes naturelles ou la protection de la biodiversité. Un des défis d'avenir est d'agréger, à la programmation entre l'Union européenne et les pays ACP, les PTOM. Les PTOM, surtout français campent sur une position ancienne, souhaitant obtenir à terme un statut plus privilégié que les ACP au regard des aides de Bruxelles.
Notre pays doit à la fois accompagner nos territoires dans leurs discussions avec Bruxelles, et aider Bruxelles à instaurer un dialogue politique au plus haut niveau en s'appuyant sur notre politique globale océanienne, réaffirmée par les sommets des chefs d'État et de gouvernement France-Océanie qui se sont tenus à Papeete en 2003, à Paris en 2006, à Nouméa en 2009 et à Paris en 2015. Cette dynamique doit être poursuivie et renforcée.
Je donne la parole à André Trillard, qui insistera sur la dimension stratégique du dossier.
La France a initié un rééquilibrage de son centre de gravité stratégique dans la zone indopacifique. Citée pour la première fois dans le Livre blanc australien publié cette année, mais aussi dans les Livres blancs néozélandais (publié le 6 juin 2016) et indonésien, la France s'affirme comme un acteur reconnu dans cette zone. Au cours de nos auditions et de notre déplacement, il nous est apparu que l'un des leviers de l'action et du rayonnement de la France dans l'indopacifique était sans conteste son armée. Son action et ses succès, tout comme la qualité de ses équipements, expliquent pour bonne part l'attribution du contrat du siècle à DCNS. C'est la raison pour laquelle nous sommes allés passer une journée avec les forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC) lors de notre déplacement.
Avec peu de moyens, les FANC font beaucoup : elles protègent le territoire national et contribuent au maintien de la sécurité dans la zone de responsabilité permanente ; elles participent au soutien de l'action de l'État ; elles assurent la police des pêches et la surveillance des ZEE, y compris des ZEE australiennes des îles de Heard et de Mac Donald ; elles continuent à assurer le sauvetage maritime en zone Nouvelle-Calédonie ; elles assistent les populations des États insulaires du Pacifique en cas de catastrophe naturelle, dans le cadre de la déclaration commune de la France, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, dite Accord FRANZ. À la demande des États sinistrés, il a été mis en oeuvre en avril 2015 pour gérer les conséquences du cyclone Pam aux îles Vanuatu, et en février 2016 pour réparer les dégâts causés par le cyclone Winston aux îles Fidji. Dans ce cadre, d'ailleurs, la France a joué le rôle de facilitateur à l'intervention humanitaire de l'Australie aux îles Fidji.
Les FANC comprennent 1 663 personnels. La fin des renoncements de projection en outre-mer consentie pour permettre de tenir la posture de défense du territoire national (Sentinelle) devrait soulager des effectifs très sollicités.
Les équipements des FANC sont en petit nombre et parfois extrêmement âgés. Les Puma sont notamment dans ce cas, avec dix années de trop. L'arrivée du nouveau bâtiment multi-mission D'Entrecasteaux, le 29 juillet dernier, est une bonne nouvelle qui va renforcer les actions de transport léger et de soutien logistique. Dans le domaine des patrouilleurs océaniques, en revanche, un déficit capacitaire est prévisible entre 2020 et 2024, date de la livraison des nouveaux BATSIMAR aux termes de la loi de programmation militaire, qui doivent remplacer les deux patrouilleurs P400 : La Moqueuse et La Glorieuse. Ceux-ci doivent cesser de fonctionner en 2020, mais dès cette année, le taux d'indisponibilité de La Moqueuse a été très largement supérieur à 50 %. Cela ne nous semble pas tenable, l'effort budgétaire à réaliser n'est pas si conséquent au regard des réelles retombées attendues !
La France multiplie les partenariats stratégiques dans la zone : avec l'Inde en 1998, l'Indonésie en 2011, Singapour et l'Australie en 2012, le Viêt Nam et le Japon en 2013, la Chine en 2014. L'accord stratégique avec l'Australie vient d'ailleurs d'être réactualisé en 2016. Nous avons un vaste réseau d'attachés de défense dans 18 pays et d'attachés de sécurité intérieure dans 21 pays de la zone. Outre les accords FRANZ, la France est partie du traité de Manille, du traité de Rarotonga, du traité de Bali. Elle participe au forum régional de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) par l'entremise de l'Union européenne, au dialogue du Shangri-La. Elle est partie aux échanges QUAD regroupant les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et notre pays.
Elle participe aux manoeuvres et exercices militaires multilatéraux : Equateur, Croix du Sud, ou encore aux actions de coordination de protection des ZEE, comme l'opération Tui Moana. Nous ne resterons crédibles qu'avec des moyens adéquats, performants et présents en mer et dans les airs. Il est temps de mettre en oeuvre les moyens de nos ambitions, en équipant à la hauteur de leur mission les FANC mais aussi les forces miliaires stationnées en Polynésie française, surtout quand l'Australie et la Nouvelle-Zélande - dans une moindre mesure, qui n'est pourtant pas négligeable - décident, sur la base de leurs nouveaux Livres blancs, de renouveler leurs parcs d'équipements militaires.
L'analyse stratégique de ces deux pays est caractérisée par deux interrogations.
Premièrement, est-ce la fin de la supériorité américaine dans la zone, quand bien même le pivot américain a affirmé l'importance accordée par les États-Unis à cette zone, et que l'impression de désengagement américain n'était pas du tout partagée par les responsables que nous avons auditionnés ? Le résultat des élections présidentielles américaines pourrait toutefois modifier ce sentiment.
Deuxième question, bien plus essentielle à leurs yeux : la présence militaire renforcée de Pékin en mer de Chine. La République populaire de Chine est vue comme la principale menace à la stabilité de l'arc indopacifique cherchant à se positionner sur les détroits liant les deux océans.
C'est dans ce contexte que nous avons remporté le processus d'évaluation compétitive australien. La France avait pour elle dans cette compétition la supériorité technique des équipements proposés - selon nos partenaires australiens, unanimes sur la question -, la compréhension de la volonté australienne de disposer d'une industrie navale souveraine et d'une autonomie stratégique réelle, et la mobilisation de l'équipe France dont notre présidente va maintenant vous parler.
Je conclurai, pour ma part, en rappelant que c'est sur la crédibilité de son armée que la France a remporté le contrat du siècle. Il nous faut rester crédible et fiable, ce qui signifie : augmenter les moyens de nos forces dans l'indopacifique à hauteur de leur mission, ce qui n'est pas impossible, simplifier la gouvernance militaire de cette zone pour qu'elle soit plus lisible pour nos partenaires, continuer de déployer nos navires, notamment ceux de premier rang, pour réduire les risques de déni d'accès ou de contestation du droit de la mer.
Le président de notre commission, Jean-Pierre Raffarin, nous avait demandé de nous pencher sur le rôle de l'ambassadeur de France en Australie. Christophe Lecourtier, que nous avons accueilli au Sénat, est l'un de nos meilleurs diplomates et il nous a beaucoup appris sur la question.
Je laisse la parole à Marie-Françoise Perol-Dumont pour présenter, notamment, nos conclusions sur le rôle de la diplomatie parlementaire.
Nous étions chargés dans le cadre de cette mission d'examiner le nouveau rôle de l'ambassadeur. Dès que la conclusion du contrat du siècle a été connue le 24 avril 2016, nous savions que nous aurions à analyser les causes et les méthodes d'un succès. La question qui se pose à nous est bien entendu de savoir dans quelle mesure celui-ci est transposable.
Les ambassadeurs consacrent désormais 40 % au moins de leur temps à la diplomatie économique. En Australie, cette proportion paraît, et c'est normal au vu des circonstances, plus élevée. Le temps passé, la personnalité exceptionnelle et l'entregent de l'ambassadeur de France en Australie, Christophe Lecourtier, ne suffisent toutefois pas à expliquer le succès, pas plus que la qualité de l'offre. C'est dans l'ensemble des personnes qui ont composé l'équipe France et dans la stratégie qui a été déployée qu'il faut chercher les raisons d'une réussite qui n'était pas annoncée.
Comme l'a dit André Trillard, des raisons objectives plaçaient l'offre française en bonne position dans la compétition pour emporter le marché des sous-marins. C'est pourtant en outsider que la France s'est présentée. La supériorité technologique allemande et la grande proximité stratégique entre le Japon et les États-Unis, alliés traditionnels de l'Australie, semblaient laisser peu de chance à l'offre française. Cette position d'outsider était aussi le fruit d'une décision mûrement réfléchie.
La première force d'entraînement, il faut le rappeler, est notre ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, dont les résultats exceptionnels ont été maintes fois salués par notre commission. Le ministre de la défense se rend en novembre 2014 à Albany, où sont organisées des cérémonies pour le centenaire du départ des militaires australiens vers l'Europe. Comment imaginer meilleur départ que le lien mémoriel ? Christian Cambon l'a dit, nous avons été émus par le nombre de jeunes qui se rendent tous les jours au Mémorial australien de la guerre, à Canberra. Nous avons sans doute des leçons historiques à en tirer...
Dès son retour en France, le ministre organise le pilotage du projet en réunissant tous les quinze jours les industriels concernés : DCNS, Thales, la Direction générale de l'armement (DGA), les experts du ministère et des représentants de la marine ainsi que l'ambassadeur de France en Australie.
À cela s'ajoute une analyse minutieuse du marché et des attentes du pouvoir adjudicateur réalisée par l'ambassade. L'image de la France en Australie a fait l'objet d'une étude précise : traditionnelle, associée au produits de luxe, bien loin des créneaux porteurs des marchés australiens, à quelques exceptions de niche près. Quant aux attentes de l'Australie, l'ambassadeur les a précisées devant nous lors de son audition et mes collègues en ont parlé en soulignant les liens de mémoire qui nous unissent à l'Australie. Les valeurs cardinales de ce pays sont l'esprit d'équipe, la fiabilité, la persévérance et la discrétion.
Très rapidement est définie une stratégie portée au plus haut niveau politique, avec la première visite d'un Président de la République français en Australie en novembre 2014. François Hollande était accompagné des Présidents des gouvernements de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et d'élus de Wallis-et-Futuna, dans une perspective bien comprise de l'importance des territoires français du Pacifique dans notre relation à l'Australie.
À l'occasion de la visite du Président de la République, « Team France Australie » a été officiellement créée. C'est une équipe qui rassemble l'ensemble des partenaires de l'action économique de la France en Australie. Sous l'égide de l'ambassade et animée par le Service économique, Team France comprend Business France, la Chambre de commerce et d'industrie franco-australienne (FACCI), la section Australie des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), Atout France, le consulat général de France ainsi que le service de coopération et d'action culturelle de l'Ambassade de France.
Un travail efficace sur les représentations de l'image de la France a été réalisé avec le programme « Creative France », lancé par Laurent Fabius, en valorisant la créativité comme chaînon manquant entre la tradition et l'innovation. Cette image a également bénéficié de plusieurs effets positifs bien mis en valeur : les bons résultats de la COP 21, la résilience de la société française face aux attentats qui l'ont durement touchée, l'excellence des entreprises françaises déjà installées en Australie et qui ont apporté leur soutien à l'offre française, notamment Thales et Safran. Cette mobilisation a permis de démontrer aux autorités australiennes que l'offre française pouvait s'appuyer sur un tissu industriel et économique solide, franco-australien et australien.
Les contacts ont ensuite été entretenus et orchestrés dans le cadre de la stratégie globale menée par « l'équipe France » : à la visite du Président ont succédé les multiples visites des responsables de DCNS, le déplacement d'une délégation du MEDEF, avec la création d'une délégation ad hoc qui s'est rendue sur place en mars 2016, et la visite du Premier ministre en mai 2016. L'armée française a également participé à des rencontres à tous les niveaux, y compris le plus haut : l'amiral Rogel. Les navires français ont navigué dans les eaux australiennes, le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Tonnerre, et la Frégate type La Fayette (FLF) Guépratte ont accosté en mai 2016 dans différents ports australiens, suscitant un véritable engouement.
S'est ainsi noué un dialogue stratégique de haut niveau, unissant les efforts des acteurs publics et privés, qui a confirmé que l'offre industrielle française de grande qualité serait la base d'une relation stratégique riche, et exclusive par certains aspects, entre la France et l'Australie, visant à doter cette dernière de la souveraineté à laquelle elle aspire légitimement. Toutes nos auditions avec les ministres de l'Australie ou de ses États fédérés ont souligné la durée de cette relation de cinquante ans - on parle volontiers là-bas de mariage -, ouverte par la signature de l'achat des sous-marins français, basé sur un transfert de technologies liées à la souveraineté et à l'autonomie.
Un Conseil d'influence organisé en mai 2016 par l'ambassade a été l'occasion de présenter Team France à tous les autres acteurs de l'influence française en Australie et de rappeler que son périmètre est évolutif en fonction des dossiers. L'action de l'équipe France a été multiforme : deux business forums de septembre 2015 et mai 2016 ont été organisés par la FACCI avec le soutien des autres membres ; la participation commune à certains salons ; un déplacement commun en juin 2016 de Team France à Adelaïde, ville qui développe les écoles bilingues franco-australienne ; ou encore l'accompagnement de la visite d'une délégation néo-calédonienne, menée par Philippe Germain, en octobre dernier.
La charte instituant Team France est devenue une référence en matière d'intégration des services français de soutien à l'export, notamment en ce qui concerne la relation entre Business France et la FACCI. Le Conseil économique réuni autour de l'ambassadeur examine deux fois par an les progrès de la mise en oeuvre de cette charte et assure la coordination des projets de chaque institution. Bien que de nature informelle et n'existant qu'à travers ses membres, la « marque » Team France est maintenant systématiquement mise en avant pour démontrer la cohérence des actions menées. Si ce succès repose également sur la qualité et l'investissement des membres de l'équipe France, exceptionnels, qui nous ont consacré un long dimanche de travail, il semble que leur méthode est bien formalisée et transposable dans d'autres pays.
Il me semble enfin que nous devons souligner l'adhésion de la communauté française de Sydney et Canberra à cette équipe France. Je pense que mes collègues ont, comme moi, ressenti l'élan qui porte les intérêts français en Australie. Il est donc essentiel de donner à cette équipe les moyens de se consacrer à cette mission, notamment en relayant son expérience sur notre territoire et dans les instances de coopération régionale indopacifique. Il faut accentuer la présence de la France dans les différentes instances de coopération régionale et susciter l'adhésion des conseillers diplomatiques auprès des préfets de région pour qu'ils aident les PME françaises à saisir les nombreuses opportunités de développement que représente le marché australien, notamment à Adélaïde où seront construits les sous-marins.
Enfin, c'était une satisfaction pour notre groupe de travail d'avoir le sentiment d'apporter la contribution de la diplomatie parlementaire à cette équipe France, en présentant auprès de tous nos interlocuteurs le soutien des parlementaires de toutes les sensibilités politiques de notre commission à ce partenariat stratégique franco-australien de longue haleine.
Dans ce contexte qui nous est si favorable, dans cette région du monde où la demande de France est si grande, nos propositions dessinent une feuille de route en cinq axes pour renforcer notre position régionale.
D'abord, nous devons réfléchir à la définition d'une politique indopacifique. Il s'agit de modifier notre présence traditionnelle en Asie du Sud-Est, dans une région où les tensions entre la Chine et les États-Unis ne favorisent pas les initiatives françaises, pour mieux prendre en compte des flux commerciaux, énergétiques et maritimes en croissance exponentielle. Alors que le ministère de la défense a fait sien cet axe de réflexion, celui des affaires étrangères semble plus réservé. Notre commission a un rôle à jouer pour le promouvoir.
Ensuite, nous recommandons de développer des partenariats stratégiques, qu'il nous semblerait opportun d'appuyer sur la coopération parlementaire. Nous avons bien vu, en Australie, le rôle que nous pouvions jouer pour appuyer l'action du Gouvernement, dans une période où l'évolution de la politique française apparaît de l'extérieur incertaine. Travaillons en outre sur la définition d'instances de dialogue interrégionales incluant la Chine, ce partenaire économique de premier plan mais qui suscite aussi beaucoup d'interrogations. Nous aurons également à nous interroger sur notre relation stratégique avec l'Inde, qui s'est améliorée depuis la vente des Rafales.
Troisième recommandation : la France doit prendre toute sa place dans l'architecture régionale. Il convient d'abord de veiller à la pleine autonomie des collectivités territoriales au sein des instances régionales, de les soutenir dans la mise en place d'une stratégie de relations extérieures, et de mieux associer les territoires français du Pacifique aux négociations avec Bruxelles. Nous avons à cet égard été frappés par la maturité et la sérénité des dirigeants de Nouvelle Calédonie, à la veille du référendum essentiel de 2018. Nous recommandons en outre d'approfondir le dialogue « Océanie+1 » et de profiter de la tenue en 2018 à Bruxelles du sommet de l'ASEM, instance de dialogue Asie-Europe, pour développer les positions de la France, et proposer que son édition 2020 se tienne à Paris. Veillons également à la représentation de haut niveau de la France dans les instances régionales indopacifiques. Nous avons eu l'occasion de souligner l'importance de la présence de notre pays au Forum des îles du Pacifique, événement considérable dans cette région du monde. Il faut en outre défendre une politique européenne dans le domaine environnemental et le développement économique de la zone pacifique, et agir pour simplifier les règles d'attribution des aides européennes, dont la complexité cache trop souvent la réelle contribution française. Aux Fidji par exemple, la France, malgré la modestie de ses moyens, a su, elle, joindre les actes aux discours après le passage du cyclone Winston.
Quatrième axe : la France doit se doter de moyens adaptés de puissance, pour que nos forces armées exercent leurs missions sans déficit capacitaire, améliorer la lisibilité de la gouvernance de la zone militaire Pacifique-Océanie et faciliter les coopérations. Nous y avons par exemple un hélicoptère Puma de quarante ans d'âge et tout rapiécé puisque les pièces d'origine ne sont plus disponibles... Nous souhaitons également souligner la nécessité de développer les compétences linguistiques de nos militaires. Il est essentiel de mener des actions ciblées dans les zones économiques exclusives, où les enjeux sont considérables ; deux patrouilleurs et un bâtiment multi missions, c'est un peu léger car entre Tahiti et la Nouvelle Calédonie, il faut compter dix jours de navigation, et six jours pour atteindre la mer de Chine du Sud... Enfin, il faut rayonner dans les coopérations militaires régionales ; le « dialogue de Shangri-La » en fournit une bonne occasion.
Nous souhaitons, et c'est notre dernière recommandation, faire fructifier le succès de l'équipe France. Il s'agit de favoriser l'implantation de PME françaises et de mobiliser nos régions - désormais à forte capacité économique. Les conseillers diplomatiques placés auprès des préfets de région devraient pouvoir agir également auprès des présidents de région, qui consacrent désormais des moyens importants aux PME - qui sont à l'origine de 90% des créations d'emplois dans notre pays, rappelons-le. Nous voulons en outre soutenir « l'australianisation » de nos entreprises : acceptons que nos succès ne se réalisent pas exclusivement dans nos territoires mais aussi chez ceux qui nous font confiance, l'Inde pour les Rafales ou l'Australie pour les sous-marins. La vente de ces derniers s'accompagne d'ailleurs d'un échange de technologies au plus haut niveau. Il nous faut en tout cas moderniser notre action extérieure. L'exemple du franco-australien Ross McInness, nommé représentant spécial pour les relations avec l'Australie, est remarquable. Les 550 000 Français de cette région du monde bénéficieront des chantiers navals d'Adelaïde. Nos entreprises franco-australiennes ont été au coeur de ce succès, et la bonne implantation de DCNS en Australie méridionale permettra de satisfaire aux exigences de ce contrat.
Puissent notre commission, le Sénat et nos institutions en général se doter d'une stratégie pour soutenir le développement économique et la présence française dans cette région, pour y porter haut et loin le pavillon national !
Merci pour cet exposé passionnant. L'arc indopacifique est un enjeu de première importance. Nous avons tout intérêt - ce qui n'est pas forcément le cas de nos partenaires - à présenter cette région comme une zone ouverte, à dimensions multiples. Paradoxalement, nos industries de défense, qui contribuaient peu à nos échanges dans la région à l'époque des essais nucléaires, en sont désormais une pièce maîtresse, et deviennent même un vecteur de puissance et d'attractivité : elles nourrissent une demande de France dans une région stable. Saisissons cette occasion de valoriser notre puissance au service de la paix ! Ce succès de l'équipe France doit en outre être médité pour être dupliqué, « fertilisé ». Il est remarquable qu'avec des moyens somme toute modestes, dans une région aussi lointaine, nous ayons réussi à créer une telle dynamique. Réfléchissons aux moyens de l'encourager ailleurs. Bref, nous veillerons à tirer tous les enseignements de ce rapport, et à approfondir cette réflexion.
Je voudrais remercier nos collègues pour la qualité de leur travail et de leur présentation. Dépasser le cas australien pour replacer ces enjeux dans la région indopacifique était particulièrement pertinent, car nous avons besoin d'une approche globale, de l'Inde à la Malaisie en passant par l'Océanie. La diversité de la délégation et les éloges adressés à l'action gouvernementale me laissent en outre penser que seule la haute assemblée peut faire preuve d'un pragmatisme et d'un esprit de consensus aussi constructifs.
En tant que président du groupe d'amitié France-Indonésie, je peux témoigner de l'attente de France exprimée dans cette zone indopacifique. Le succès de l'équipe France témoigne d'une évolution de notre mode d'action : il ne s'agit plus comme naguère de faire des coups ponctuels, de travailler en solitaire ou de se contenter de vendre des armes, mais de construire des partenariats stratégiques de long terme - et dans le cas australien, au-delà du domaine militaire. À ce propos, ne gâchons pas nos chances par des amendements, comme celui sur l'huile de palme qui, en nous mettant à dos la Malaisie et l'Indonésie, a failli nous faire perdre de nombreux contrats et des milliers d'emplois...
Un mot sur le contrat lui-même. La France a été retenue pour son équipe bien sûr, mais aussi pour la compétence réelle de DCNS en matière de sous-marins, acquise grâce au programme Barracuda, qui lui a permis de répondre à la demande australienne d'un sous-marin océanique. C'est un exemple de la façon dont il nous faudra agir à l'avenir, en mobilisant toute l'équipe France. Le chantier des sous-marins sera australien, mais placé sous la responsabilité de DCNS, et Thalès est en Australie l'un des premiers groupes de défense : n'ayons donc pas peur de nous appuyer sur des groupes français ayant su devenir leaders à l'étranger.
J'adresse à mon tour toutes mes félicitations aux rapporteurs pour leur travail.
En juillet 2015, j'ai reçu au Sénat des membres de la délégation australienne à la sécurité et au renseignement - rappelons que l'Australie a pour voisin l'Indonésie, plus grand pays musulman au monde. J'ai aussi reçu M. Michael Keenan, ministre australien de la justice, et M. George Brandis, ministre de l'intérieur, pour évoquer l'organisation du culte musulman et la lutte contre la radicalisation. Sur ces sujets, on apprend en marchant, et nous pouvons sans doute marcher ensemble car, laïcité mise à part, les Australiens ont des dispositifs analogues aux nôtres - ils viennent d'ailleurs d'importer notre système de signalement de la radicalisation. De manière plus anecdotique, c'est en Australie, et non en Arabie Saoudite comme on pourrait le croire, que le burkini a été inventé - où c'est plus un business qu'un principe religieux... Bref sur les questions liées à l'organisation et au financement de l'islam, ainsi qu'à la radicalisation, nous pouvons travailler ensemble.
En matière de diplomatie parlementaire, nous devons communiquer davantage sur les résultats obtenus - au Maroc par exemple, où ils sont loin d'être négligeables -, mais nous manquons surtout de moyens, en sorte que nous ne pouvons recevoir nos hôtes étrangers aussi bien qu'eux nous reçoivent. Nous avons pourtant toutes les ressources utiles, en tant que chambre des territoires, pour promouvoir la coopération décentralisée.
Ces rapports illustrent bien, dans cette région, la lente montée d'un sentiment obsidional alimenté par l'attitude de la Chine - d'où le besoin de défense de l'Australie... Les rapporteurs peuvent-ils nous dire un mot de la relation entre l'Australie et l'Inde ?
Les liens mémoriels entre la France et l'Australie sont très importants - que l'on songe seulement à ce qui s'est passé dans la Somme pendant la première guerre mondiale. À Fromelles, à une vingtaine de kilomètres de Lille, les Australiens viennent d'ailleurs de construire, à leurs frais, un cimetière militaire et un musée pour honorer la mémoire de leurs soldats tombés le 19 juillet 1916. Une commémoration y est organisée à cette date tous les ans : le Sénat serait inspiré de s'y faire représenter.
Oui, nous n'avons pas bien mesuré en France l'importance qu'a eue cette période dans l'histoire de l'Australie.
En matière de diplomatie économique, des conseils économiques et des conseils d'influence ont été créés partout - cela fait partie des lettres de mission envoyées à nos ambassadeurs -, mais les succès ne sont pas aussi éclatants qu'en Australie. Il est fréquent que les acteurs réunis dans ces conseils le soient pour la première fois, après avoir été pendant des années en compétition les uns avec les autres. J'ai à présent l'intuition que nous avons, avec Business France et Expertise France, les outils nécessaires ; reste à diffuser les bonnes pratiques... Qu'avez-vous observé en Australie qui mériterait d'être partagé ?
En effet, l'exemple australien fait pour l'instant plutôt figure d'exception.
Bravo pour ce rapport sur une région du monde méconnue.
Dans le cadre de l'Union interparlementaire, la diplomatie parlementaire fonctionne bien. En tant que président du groupe des pays occidentaux, j'ai observé que les Australiens s'intéressent davantage, depuis quelques années, à la politique française. De plus, ils sont aussi membres du groupe des pays asiatiques, ce qui multiplie leur influence...
Enfin, nous pourrions utiliser bien davantage la communauté française en Australie, peu connue de Paris alors qu'elle est composée de gens très compétents.
La diplomatie parlementaire, ce n'est pas que la diplomatie entre parlementaires, c'est aussi celle que nos ambassadeurs rendent possible lorsqu'ils accueillent des délégations parlementaires et leur permettent de travailler dans de bonnes conditions. Les parlementaires ne sont pas cantonnés à ne dialoguer qu'avec les autres parlementaires, ils sont une part de la France !
Je veux rendre hommage à notre ambassadeur en Australie mais si les choses s'y sont bien passées, c'est aussi que nous disposions d'entreprises au niveau : notamment DCNS qui a su se restructurer pour atteindre un niveau international, et il faut aussi rendre hommage à ses dirigeants, à ses ingénieurs et à tous ses salariés.
Je veux à mon tour adresser toutes mes félicitations aux rapporteurs pour leur travail. M. del Picchia a raison : des réussites économiques se bâtissent sur la confiance, sur des relations interpersonnelles construites dans la durée. Un ambassadeur doit rester en poste plus de trois ans pour se constituer le réseau qui facilitera la signature de contrats. En Australie, notre succès a été rendu possible par les relations de long terme construites avec les dirigeants d'entreprise français.
J'étais en Océanie au même moment que la délégation de notre commission, pour travailler sur les questions de justice et de lutte contre le terrorisme : j'ai constaté que nous n'étions guère présents dans les îles du Pacifique, notamment en Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui n'avait pas vu de parlementaires français depuis des décennies...
L'île ne compte qu'un poste diplomatique réduit et l'Alliance française a été fermée, en sorte qu'il n'y a pas un seul endroit où l'on peut apprendre le français, et l'on nous reproche notre absence et notre manque d'investissement... Les Australiens, eux, y sont très présents : j'ai rencontré le chef d'état-major de l'armée de terre, qui s'y trouvait pour des cérémonies. Il y a dix ans, les Australiens m'avaient dit qu'ils n'avaient pas vu de ministre français des affaires étrangères depuis vingt-quatre ans : je félicite donc le président Hollande de s'y être rendu. Ces îles ont une voix à l'Assemblée générale des Nations unies et c'est aussi grâce à la Papouasie-Nouvelle-Guinée que la France a pu rejoindre le Forum des îles du Pacifique : bref, rapprochons-nous de ces pays à fort potentiel, que nous avons trop souvent tendance à oublier.
Félicitations pour cet excellent rapport, qui aborde aussi le rôle joué par les Australiens pendant la première guerre mondiale. D'aucuns affirment que les Australiens ont été bien souvent envoyés en première ligne par les Britanniques dans la Somme, au point que la moitié de leurs effectifs ont été décimés. Les Australiens en ont gardé un vif souvenir comme je l'avais constaté : il y a une vingtaine d'années, lors d'une cérémonie de commémoration du 11 novembre à laquelle j'assistais à Canberra, un ancien délégué de l'Assemblée des Français de l'étranger, M. John Mac Coll, a oeuvré d'ailleurs pour la création d'une école franco-australienne à Pozières, dans la Somme.
M. Trillard a rappelé les faiblesses des forces armées françaises en Nouvelle-Calédonie. Il faut demander des efforts en matière maritime et en matière d'aéromobilité, car nous possédons là une zone d'exclusion maritime de première importance. Donnons-nous les moyens de faire respecter la présence de l'État en mer.
Merci pour vos observations.
La recette australienne de l'équipe France est simple : la modestie. Trop souvent, naguère, nos équipes sont arrivées la mèche en avant, persuadées de remporter les contrats en jeu. Cette fois-ci, les Japonais pensant l'affaire gagnée et les Allemands faisant tout pour se placer, nous avons joué les outsiders. Dotés d'un formidable esprit d'équipe, nous avons su tirer notre épingle du jeu. Les petites entreprises de toute la France - de Bretagne en particulier - n'ont pas joué un rôle moins important que les grandes. Et l'on ne sait pas combien de voyages le ministre lui-même a effectués pour défendre notre cause.
Nombre de nos interlocuteurs nous ont dit leur préoccupation sur la question terroriste, car l'Océanie est aussi touchée par ce fléau. Avec leur efficacité toute anglo-saxonne, les Australiens entendent bien parer cette menace. Les questions de sécurité sont une passerelle de compréhension mutuelle entre nos deux pays.
Travaillant en tant que secrétaire du Sénat avec le vice-président chargé des relations internationales Jean-Claude Gaudin, je sais que la diplomatie parlementaire est un véritable combat, dont nos collègues ne perçoivent malheureusement pas toujours l'utilité. Or au Maroc par exemple, où notre ambassadeur a joué un rôle fondamental, notre présence s'est révélée très utile. En Australie, la ministre de la défense, qui connaît bien les membres de notre Gouvernement, nous a accordé un dîner en tête-à-tête pour entendre la voix de la représentation nationale, qu'elle ignorait. Ce type d'échange est alors d'autant plus utile que la délégation représente toutes les sensibilités de notre commission.
Le client principal de l'Australie reste la Chine, mais c'est aussi une présence militaire et diplomatique très forte, qui justifie de se doter de sous-marins transocéaniens. Leur relation est ambiguë : l'Australie tente de canaliser son expansionnisme, mais ne peut se passer de la Chine sur le plan économique.
Le fait que notre délégation ait été politiquement plurielle, qu'elle ait parlé d'une seule voix, et qu'elle ait garanti que les consultations électorales à venir ne modifieraient en rien le respect des engagements pris, a beaucoup joué.
Les Australiens sont en effet ambivalents à l'égard de la Chine : ils ont besoin de sa puissance économique, mais s'inquiètent de son comportement en mer de Chine, comme de ses futures relations avec les États-Unis. D'où leur volonté d'indépendance.
Notre succès australien n'est transposable que dans des pays démocratiques, là où le jeu de la concurrence est respecté. Cela dépend aussi des personnalités : Ross McInnes, plus libre de parole que l'ambassadeur, a permis de déminer certains sujets. Reste que, si nos équipes ont appris à marcher en marchant, elles ont aussi formalisé leur apprentissage, le rendant transposable dans d'autres pays.
La résilience dont nous avons fait preuve après les attentats a marqué les Australiens, qui sont aussi un peuple fort et résilient. Sur les questions de sécurité, nous avons en effet des intérêts convergents.
Modestie, profil bas, travail de longue haleine, tissage méticuleux dans la discrétion : voilà les maîtres-mots du succès français en Australie. Il a aussi tenu au profil de l'ambassadeur, ce qui peut fournir des pistes de réflexion sur leurs nominations.
Les Australiens sont à la recherche, plus que d'un matériel de défense, d'une vraie souveraineté. Cela passe à leurs yeux par un système de formation solide, par des écoles d'ingénieurs. Si nos grandes écoles essaimaient en Australie, nos relations franchiraient sans doute un cap supplémentaire.
Le principal terrain d'entraînement des militaires australiens fait la moitié de la surface de la France, 250 000 kilomètres carrés... Voilà qui ferait rêver nos militaires !
D'accord pour renforcer notre présence en Océanie. La seule des puissances dotées d'une vaste zone économique exclusive à prendre un soin jaloux à ce que cela ne lui rapporte rien, c'est bien la France... Il n'est pas normal que nos richesses ne fournissent pas de ressources à notre défense. Regardons au moins ce qui s'y trouve !
A ce stade de nos échanges, je ne peux m'empêcher de penser aux échecs rencontrés aux Émirats arabes unis, malgré l'implication de notre ambassadeur et d'Areva, sur les projets de centrales nucléaires. Il faudra en tirer les leçons.
Nos échecs sont nombreux. J'ai visité la centrale solaire Noor de Ouarzazate : la France a payé les études, via l'Agence française de développement, mais les Marocains ont finalement octroyé le marché à des entreprises espagnoles et qataries...
Le Premier ministre de la Papouasie-Nouvelle-Guinée a en effet beaucoup contribué à faire accepter les dossiers calédoniens et polynésiens pour que la France soit admise au Forum des îles du Pacifique. J'ai toujours pensé que les petites îles du pacifique avaient une demande de France, et j'en sens de plus en plus fortement la sincérité. Dans le cadre d'un déplacement du groupe d'amitié France-Pacifique, j'ai rencontré le Premier ministre des îles Fidji, M. Bainimarama, réputé difficile à approcher : il nous a formidablement accueillis, remerciés pour le secours que la France a apporté après le passage du cyclone Winston, et témoigné une véritable demande de France - désormais générale dans la région. Les parlementaires, les présidents de groupes d'amitié, les missions ad hoc, jouent un rôle important, mais il faut aussi mentionner les présidents des collectivités d'outre-mer, comme M. Fritch en Polynésie, ou M. Martin en Nouvelle Calédonie - le cas de Wallis-et-Futuna est différent, car le préfet y exerce encore le pouvoir exécutif, ce que nous souhaitons d'ailleurs voir évoluer.
C'est un paradoxe : la France ne va pas très bien, notamment sur le plan économique, mais la demande de France est forte. Les causes en sont partiellement exogènes : le Brexit, les incertitudes liées à l'élection de Donald Trump, la montée en puissance de la Chine, celle de la Russie, créent des incertitudes auxquelles nous opposons une stabilité bienvenue. Ce qui est en train de se passer avec la « French Tech » est également intéressant. Si nombre de nos ingénieurs se sont expatriés, beaucoup sont restés en France et tous, où qu'ils vivent, participent à la promotion de notre savoir-faire. C'est ainsi qu'apparaît une France jeune, libérée, mobile, qui n'a pas peur du monde, et c'est capital.
Autre phénomène frappant : le retour de la mémoire de la première guerre mondiale - dont nous avons longtemps sous-estimée l'importance. Les douleurs de la seconde avaient effacé celles de la première, qui refont à présent surface. C'est un sentiment que partagent de nombreux peuples, au-delà de l'Australie.
Sans-doute pouvons-nous réfléchir à cultiver cette demande de France dans cette région indo-pacifique. Surtout, veillons à conserver une attitude de sobriété.
La Chine est souvent perçue de façon paradoxale : elle fait peur tout en étant un partenaire incontournable. Banquier des États-Unis, elle leur inspire ce qu'inspire un banquier. Dans ce monde paradoxal et imprévisible, faisons une offre de France rassurante ! Cela serait une bonne nouvelle dans un monde qui en est bien avare.
Il faudrait sans doute faire un bilan précis de cette expérience australienne à la prochaine conférence des ambassadeurs.
Monsieur Lorgeoux, l'Inde apparaît, depuis l'Australie, comme un pays essentiellement occupé par ses frontières intérieures, bien davantage en tout cas que comme une puissance maritime.
Certains de nos interlocuteurs plaidaient pour un alignement Paris-New Delhi-Canberra. Ce n'est pas encore une réalité... La France ne doit en toute hypothèse exclure personne. À nous de faire prospérer nos relations avec l'Inde et la Chine. Nous sommes la seule puissance européenne à pouvoir parler avec tout le monde dans cette zone : les Britanniques n'y sont plus, et personne ne les a remplacés.
Peu de pays dans le monde ont en effet la capacité de parler avec tout le monde. C'est ce qui fait la force de la France.
Une précision : le premier ministre du Vanuatu, M. Charlot Salwai, a joué un rôle aussi important que ceux de la Polynésie ou de la Nouvelle-Calédonie pour l'admission de la France au Forum des îles du Pacifique. Francophone car ayant fait ses études en Nouvelle-Calédonie - c'est un de mes anciens élèves -, il a beaucoup fait pour accroître l'influence française dans la région.
S'il est adopté, ce rapport sera édité à la fin de l'année, agrémenté de nombreuses cartes et illustrations, et une synthèse sera traduite en anglais.
À l'issue de ce débat, la commission adopte le rapport des rapporteurs et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Je vous rappelle que nous avons suggéré au ministre de la défense de faire de l'Australie l'invité d'honneur des prochaines universités d'été de la défense, qui se tiendront à Toulon en septembre prochain.
La réunion est close à 11h45.