Nous étions chargés dans le cadre de cette mission d'examiner le nouveau rôle de l'ambassadeur. Dès que la conclusion du contrat du siècle a été connue le 24 avril 2016, nous savions que nous aurions à analyser les causes et les méthodes d'un succès. La question qui se pose à nous est bien entendu de savoir dans quelle mesure celui-ci est transposable.
Les ambassadeurs consacrent désormais 40 % au moins de leur temps à la diplomatie économique. En Australie, cette proportion paraît, et c'est normal au vu des circonstances, plus élevée. Le temps passé, la personnalité exceptionnelle et l'entregent de l'ambassadeur de France en Australie, Christophe Lecourtier, ne suffisent toutefois pas à expliquer le succès, pas plus que la qualité de l'offre. C'est dans l'ensemble des personnes qui ont composé l'équipe France et dans la stratégie qui a été déployée qu'il faut chercher les raisons d'une réussite qui n'était pas annoncée.
Comme l'a dit André Trillard, des raisons objectives plaçaient l'offre française en bonne position dans la compétition pour emporter le marché des sous-marins. C'est pourtant en outsider que la France s'est présentée. La supériorité technologique allemande et la grande proximité stratégique entre le Japon et les États-Unis, alliés traditionnels de l'Australie, semblaient laisser peu de chance à l'offre française. Cette position d'outsider était aussi le fruit d'une décision mûrement réfléchie.
La première force d'entraînement, il faut le rappeler, est notre ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, dont les résultats exceptionnels ont été maintes fois salués par notre commission. Le ministre de la défense se rend en novembre 2014 à Albany, où sont organisées des cérémonies pour le centenaire du départ des militaires australiens vers l'Europe. Comment imaginer meilleur départ que le lien mémoriel ? Christian Cambon l'a dit, nous avons été émus par le nombre de jeunes qui se rendent tous les jours au Mémorial australien de la guerre, à Canberra. Nous avons sans doute des leçons historiques à en tirer...
Dès son retour en France, le ministre organise le pilotage du projet en réunissant tous les quinze jours les industriels concernés : DCNS, Thales, la Direction générale de l'armement (DGA), les experts du ministère et des représentants de la marine ainsi que l'ambassadeur de France en Australie.
À cela s'ajoute une analyse minutieuse du marché et des attentes du pouvoir adjudicateur réalisée par l'ambassade. L'image de la France en Australie a fait l'objet d'une étude précise : traditionnelle, associée au produits de luxe, bien loin des créneaux porteurs des marchés australiens, à quelques exceptions de niche près. Quant aux attentes de l'Australie, l'ambassadeur les a précisées devant nous lors de son audition et mes collègues en ont parlé en soulignant les liens de mémoire qui nous unissent à l'Australie. Les valeurs cardinales de ce pays sont l'esprit d'équipe, la fiabilité, la persévérance et la discrétion.
Très rapidement est définie une stratégie portée au plus haut niveau politique, avec la première visite d'un Président de la République français en Australie en novembre 2014. François Hollande était accompagné des Présidents des gouvernements de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et d'élus de Wallis-et-Futuna, dans une perspective bien comprise de l'importance des territoires français du Pacifique dans notre relation à l'Australie.
À l'occasion de la visite du Président de la République, « Team France Australie » a été officiellement créée. C'est une équipe qui rassemble l'ensemble des partenaires de l'action économique de la France en Australie. Sous l'égide de l'ambassade et animée par le Service économique, Team France comprend Business France, la Chambre de commerce et d'industrie franco-australienne (FACCI), la section Australie des Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF), Atout France, le consulat général de France ainsi que le service de coopération et d'action culturelle de l'Ambassade de France.
Un travail efficace sur les représentations de l'image de la France a été réalisé avec le programme « Creative France », lancé par Laurent Fabius, en valorisant la créativité comme chaînon manquant entre la tradition et l'innovation. Cette image a également bénéficié de plusieurs effets positifs bien mis en valeur : les bons résultats de la COP 21, la résilience de la société française face aux attentats qui l'ont durement touchée, l'excellence des entreprises françaises déjà installées en Australie et qui ont apporté leur soutien à l'offre française, notamment Thales et Safran. Cette mobilisation a permis de démontrer aux autorités australiennes que l'offre française pouvait s'appuyer sur un tissu industriel et économique solide, franco-australien et australien.
Les contacts ont ensuite été entretenus et orchestrés dans le cadre de la stratégie globale menée par « l'équipe France » : à la visite du Président ont succédé les multiples visites des responsables de DCNS, le déplacement d'une délégation du MEDEF, avec la création d'une délégation ad hoc qui s'est rendue sur place en mars 2016, et la visite du Premier ministre en mai 2016. L'armée française a également participé à des rencontres à tous les niveaux, y compris le plus haut : l'amiral Rogel. Les navires français ont navigué dans les eaux australiennes, le bâtiment de projection et de commandement (BPC) Tonnerre, et la Frégate type La Fayette (FLF) Guépratte ont accosté en mai 2016 dans différents ports australiens, suscitant un véritable engouement.
S'est ainsi noué un dialogue stratégique de haut niveau, unissant les efforts des acteurs publics et privés, qui a confirmé que l'offre industrielle française de grande qualité serait la base d'une relation stratégique riche, et exclusive par certains aspects, entre la France et l'Australie, visant à doter cette dernière de la souveraineté à laquelle elle aspire légitimement. Toutes nos auditions avec les ministres de l'Australie ou de ses États fédérés ont souligné la durée de cette relation de cinquante ans - on parle volontiers là-bas de mariage -, ouverte par la signature de l'achat des sous-marins français, basé sur un transfert de technologies liées à la souveraineté et à l'autonomie.
Un Conseil d'influence organisé en mai 2016 par l'ambassade a été l'occasion de présenter Team France à tous les autres acteurs de l'influence française en Australie et de rappeler que son périmètre est évolutif en fonction des dossiers. L'action de l'équipe France a été multiforme : deux business forums de septembre 2015 et mai 2016 ont été organisés par la FACCI avec le soutien des autres membres ; la participation commune à certains salons ; un déplacement commun en juin 2016 de Team France à Adelaïde, ville qui développe les écoles bilingues franco-australienne ; ou encore l'accompagnement de la visite d'une délégation néo-calédonienne, menée par Philippe Germain, en octobre dernier.
La charte instituant Team France est devenue une référence en matière d'intégration des services français de soutien à l'export, notamment en ce qui concerne la relation entre Business France et la FACCI. Le Conseil économique réuni autour de l'ambassadeur examine deux fois par an les progrès de la mise en oeuvre de cette charte et assure la coordination des projets de chaque institution. Bien que de nature informelle et n'existant qu'à travers ses membres, la « marque » Team France est maintenant systématiquement mise en avant pour démontrer la cohérence des actions menées. Si ce succès repose également sur la qualité et l'investissement des membres de l'équipe France, exceptionnels, qui nous ont consacré un long dimanche de travail, il semble que leur méthode est bien formalisée et transposable dans d'autres pays.
Il me semble enfin que nous devons souligner l'adhésion de la communauté française de Sydney et Canberra à cette équipe France. Je pense que mes collègues ont, comme moi, ressenti l'élan qui porte les intérêts français en Australie. Il est donc essentiel de donner à cette équipe les moyens de se consacrer à cette mission, notamment en relayant son expérience sur notre territoire et dans les instances de coopération régionale indopacifique. Il faut accentuer la présence de la France dans les différentes instances de coopération régionale et susciter l'adhésion des conseillers diplomatiques auprès des préfets de région pour qu'ils aident les PME françaises à saisir les nombreuses opportunités de développement que représente le marché australien, notamment à Adélaïde où seront construits les sous-marins.
Enfin, c'était une satisfaction pour notre groupe de travail d'avoir le sentiment d'apporter la contribution de la diplomatie parlementaire à cette équipe France, en présentant auprès de tous nos interlocuteurs le soutien des parlementaires de toutes les sensibilités politiques de notre commission à ce partenariat stratégique franco-australien de longue haleine.