Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 14 décembre 2016 à 14h30
Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, je souhaite, avant toute chose, à cette tribune, exprimer ma solidarité avec les populations civiles qui souffrent et meurent à Alep et dans le monde, ce monde où la violence s’installe, encouragée par le jeu dangereux des grandes puissances depuis des décennies. Si j’ai un vœu à formuler du haut de cette tribune, c’est de demander que soit décrété l’état d’urgence, l’état d’urgence de la paix !

Monsieur le Premier ministre, j’ai écouté avec attention votre déclaration de politique générale. Ce qui m’a frappée d’emblée, c’est le pari impossible que vous tentez : celui d’écrire une nouvelle page du quinquennat, une page où chaque jour compte, où vous pourriez remonter le cours du temps, rendre acceptable à notre peuple, et particulièrement à ceux qui vous ont porté au pouvoir, un bilan qu’ils n’acceptent pas, qu’ils rejettent tant que, pour la première fois de l’histoire de la Ve République, un Président doit avouer son échec avant même la fin de son premier mandat et renoncer à une nouvelle candidature. Vous parlez d’acte courageux, mais vous ne pouvez nier l’échec, l’échec puissant aux conséquences encore masquées sur la vie politique de notre pays.

Cet échec, ce terrible bilan ne vient pas de nulle part ou d’une opposition de droite si affûtée qu’elle aurait poussé François Hollande au renoncement. Cet échec puise sa source dans le renoncement à l’espérance née du rejet de Nicolas Sarkozy et du discours antilibéral du candidat socialiste.

La genèse de l’échec, c’est la soumission, dès l’automne 2012, au traité budgétaire européen, qui porte en son sein l’austérité, la soumission aux dogmes des traités européens libéraux.

Cette renégociation promise par le candidat – monsieur le Premier ministre, vous le savez très bien, car vous étiez alors ministre délégué chargé des questions européennes – aurait pu être l’acte fondateur d’une politique de progrès social, de justice fiscale, de développement économique, au service d’une lutte déterminée contre le chômage.

Être élu pour lutter contre la finance et valider dans la foulée un traité de soumission aux intérêts financiers garantissait la suite du quinquennat et la débandade actuelle du pouvoir exécutif et de sa majorité.

La suite, nous la connaissons. Si l’on met de côté quelques mesures positives qui ont pu masquer l’oubli des promesses, comme « le mariage pour tous », ce fut surtout une succession de lois et de mesures répondant aux souhaits des marchés financiers et de ceux qui organisent leur domination en Europe.

Le pacte de responsabilité et le choix clair d’une politique d’austérité, c’est-à-dire de restrictions des dépenses publiques et de contraintes pesant sur les salariés, furent les premières manifestations de cette soumission aux choix libéraux.

La mesure phare de ce pacte, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, a frappé et frappe encore par son caractère unilatéral. Ce qui devait être du donnant-donnant avec le patronat – rappelons-nous que M. Gattaz avait promis un million d’emplois ! – est donc devenu un formidable cadeau.

Monsieur le Premier ministre, le bilan du quinquennat, qui est aussi le vôtre, est marqué par cette disposition inique. Ce crédit d’impôt a coûté 60 milliards d’euros depuis sa création au budget de la nation, et vous proposez aujourd’hui une nouvelle progression, à hauteur de 7 %.

Hier, vous n’avez pas décrit la réalité du CICE : Carrefour, par exemple, a empoché 146 millions d’euros en 2014 au titre de ce dispositif, alors que, depuis 2012, la progression de ses dividendes est de 25 % ! Quant au groupe Auchan, il a reçu 88 millions d’euros, alors que les salaires de ses dirigeants étaient augmentés de 12, 5 % en 2015 ! Et comment justifier que La Poste, qui a empoché, en 2015, 341 millions d’euros au titre du CICE, poursuive aujourd’hui sa politique d’autodestruction ?

Pourquoi, monsieur le Premier ministre, de tels choix, si ce n’est pour mettre en œuvre le dogmatisme induit par le traité Merkel-Sarkozy évoqué plus haut ? C’est ce choix originel qui a renvoyé aux calendes grecques la réforme fiscale pourtant promise par Jean-Marc Ayrault.

Le bilan est lourd : explosion de la TVA, impôt injuste par nature, qui frappe riches et pauvres au même niveau ; réduction importante que vous voulez encore accélérer, monsieur le Premier ministre, de l’impôt sur les sociétés – comme si le CICE ne suffisait pas ! – ; matraquage des classes moyennes par l’impôt sur le revenu et les impôts locaux, alors que l’évasion fiscale se poursuit et que les 500 familles les plus riches ont vu leur patrimoine augmenter de 25 % en cinq ans.

Mais de tout cela, vous n’avez pas parlé, car ce bilan tourne le dos à l’idée même d’une politique de gauche. Il tourne le dos au projet d’une politique de croissance, d’une politique d’investissement au service de l’emploi.

Monsieur le Premier ministre, nous abordons le point crucial qui, selon nous, explique le retrait de François Hollande : la lutte contre le chômage et la lutte contre la précarité, qui ne peuvent être menées efficacement en continuant d’alimenter massivement les rouages de la mondialisation financière.

Partager les richesses pour, d’une part, améliorer les salaires et relancer la consommation, et, d’autre part, replacer l’argent dans l’investissement productif et créatif dans la recherche est une voie de rupture avec l’ordre libéral que vous n’avez même pas commencé à explorer.

Vous le savez bien, le vernis financier gangrène notre société. C’est lui qui menace nos grandes entreprises publiques, nos services publics comme la SNCF et La Poste. En prônant leur modernisation, c’est en fait leur casse que vous prônez, ouvrant ainsi la voie aux privatisations thatchériennes promises par M. Fillon et ses amis.

Monsieur le Premier ministre, la déclinaison du renoncement de 2012, c’est la loi Macron, puis la loi El Khomri, cette loi qui s’attaque au droit du travail. Ces deux lois, vous les avez passées sous silence ou presque.

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