Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 14 décembre 2016 à 14h30
Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Bernard Cazeneuve, Premier ministre :

Vous avez tous rappelé, avec beaucoup de gravité, de profondeur et de sensibilité, la situation qui prévaut à Alep. Personne ici ne peut imaginer que, parmi les orateurs qui se sont exprimés, quiconque n’ait pas une conscience profonde de la tragédie humanitaire qui se joue, de la responsabilité internationale que cela appelle et de la responsabilité collective qui doit s’emparer de nous face à une telle tragédie.

Je voudrais vous dire, très sincèrement, comment je perçois le contexte et comment je lis ce que nous avons fait depuis près de trois ans sur cette question.

Monsieur Dallier, il est, selon vous, incorrect d’imputer au candidat que vous avez choisi, du fait de ses propos, la responsabilité des difficultés d’Alep. Vous avez raison : je ne peux à la fois appeler de mes vœux une relation différente entre la majorité et l’opposition, ce qui ne signifie pas que les débats ne doivent pas avoir lieu – ils doivent avoir lieu ! –, et, dans le même temps, après être descendu de cette tribune, me mettre à faire le contraire de ce que je crois nécessaire dans la République.

François Fillon ne gouverne pas ; on ne saurait donc le tenir comptable de ce qui se passe actuellement. En revanche, il a fait connaître certaines orientations de politique étrangère sur lesquelles il n’est pas interdit de nous interroger, tant dans son intérêt que dans le nôtre. Je veux être tout à fait clair sur ce point : il est injuste de dire que le Gouvernement n’a pas agi sur la question syrienne, alors qu’il a été le seul à le faire au sein de l’Union européenne.

Permettez-moi de retracer quelques étapes importantes de notre action.

En juillet 2013, le Président de la République et le ministre des affaires étrangères de l’époque, un homme qui ne manque ni de talent ni de conviction, M. Laurent Fabius, ont pris l’initiative de parler avec l’opposition modérée, alors que le silence prévalait partout en Europe. Ils considéraient qu’il n’y avait pas d’avenir pour la Syrie avec le gouvernement de Bachar al-Assad, et qu’il ne saurait y avoir de solution politique si l’on ne permettait pas à l’opposition modérée de se rassembler pour trouver une alternative. On nous a alors jugés très sévèrement, je vous le rappelle, monsieur Dallier : selon certains, la Russie comptait, et il fallait parler avec Bachar al-Assad, car, à les en croire, il était faux d’affirmer que son gouvernement s’en prenait à son peuple et était prêt à l’exterminer.

Nous pouvons nous dire collectivement ici – faisons-le sans aucune agressivité, car il s’agit de l’essentiel, de l’avenir de femmes, d’hommes et d’enfants qui sont enfermés dans Alep et ne peuvent en sortir ! – que ce raisonnement avait peut-être quelques limites et quelques failles. Comment considérer aujourd’hui que la lutte contre Daesh et l’avenir de la Syrie peuvent reposer sur l’alliance entre le gouvernement de Bachar al-Assad, l’Iran et la Russie, alors que l’on voit ce qui se passe à Alep ? Nous devons engager sur ce point une introspection collective.

Je ne suis pas du tout de ceux qui, sur de tels sujets, considèrent que l’on peut, dans l’outrance et l’emportement, porter des jugements politiciens à l’égard de grands leaders politiques français, sous prétexte que nous sommes en période électorale. Je le ferai d’autant moins à l’encontre de François Fillon que je suis bien déterminé, compte tenu de la nature de son projet, à le combattre, mais que j’ai pour l’homme de la considération et de l’estime. On peut à la fois ne pas être d’accord sur des projets et respecter ceux qui les portent. Dès lors, on ne peut pas dire, pour ce qui les concerne, n’importe quoi.

En outre, je subis trop, dans l’exercice de mes responsabilités actuelles, et j’ai trop subi, comme ministre de l’intérieur, les invectives et les outrances pour les utiliser à l’encontre de ceux que je combats : il faut savoir ce que l’on veut en politique !

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