Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce qu’il s’agit probablement du dernier texte budgétaire que nous examinerons en cette législature, le présent projet de loi de finances rectificative pour 2016 appelle, au-delà de son texte même, l’ébauche de quelques bilans.
D’abord, sur le plan de la procédure.
J’ai eu maintes fois l’occasion d’exprimer, à cette tribune, la circonspection, pour ne pas dire la consternation, que m’inspirent les différentes modalités d’application de notre corpus de règles budgétaires, au terme desquelles le Parlement dépense un temps et une énergie inversement proportionnels au pouvoir qu’il exerce réellement. Ce texte en est, je crois, une ultime illustration.
En effet, il est censé soumettre à la représentation nationale les mouvements budgétaires qui ont infléchi l’exécution de l’année en cours. Or un bon tiers d’entre eux se trouvent en fait répartis dans trois décrets d’avance pris en cours d’année et ratifiés ici d’une formule lapidaire.
C’est ainsi que le plan d’urgence pour l’emploi, qui mobilise près de 2 milliards d’euros, et dont tout le monde s’accordera pour dire qu’il s’agit d’un sujet crucial, n’aura jamais été présenté ni débattu au sein de notre assemblée. Cela ne me semble pas acceptable.
En matière budgétaire aussi, l’heure des comptes, si j’ose dire, est venue. Disons-le clairement : les comptes ont été assainis.
On peut toujours arguer, comme certains, que le Gouvernement a été chanceux ; pour ma part, cela m’avait échappé…
On peut toujours prétendre que les chiffres ne refusent rien de ce que la direction du budget leur demande habilement. Peut-être. Mais il n’en reste pas moins que, entre 2012 et 2015, le déficit public s’est réduit de près de 23 milliards d’euros, passant de 4, 8 % à 3, 6 % du PIB. C’est l’INSEE qui l’affirme.
Certes, cela n’épuise pas le débat. Mais c’est un fait. Nous venons de le constater dans les campagnes du Brexit et de la présidentielle américaine, le pouvoir mortifère de la désinformation politique orchestrée existe, et il est dangereux. Il serait vraiment salutaire de ne pas y sacrifier en France.
Je n’aurai malheureusement pas le temps de disserter ici sur cette citation, pourtant très inspirante, du philosophe Guy Debord, pour qui, dans un « monde réellement renversé » – c’est bien le cas aujourd'hui –, « le vrai est un moment du faux ». En termes plus triviaux : « Plus c’est gros, plus ça passe ! »
Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous qui avez convoqué toutes les ressources de la casuistique pour justifier notre dessaisissement de la discussion budgétaire, je vous l’assure : tenir quelques faits pour vrais, et ce sans détour, n’est pas un aveu de faiblesse. Bien au contraire ! Car la reconnaissance du résultat ne vaut pas nécessairement approbation de la méthode.
Les écologistes n’ont cessé de dénoncer, au début du quinquennat, l’inopportunité de certaines politiques d’austérité imposées par l’Allemagne à toute l’Europe. La limitation de leur impact récessif n’aura tenu qu’à la clairvoyance et au courage de la Banque centrale européenne, la BCE, qui a assumé de prendre de grandes libertés par rapport à ses statuts.
Toutefois, ne nous y trompons pas : l’essentiel de l’effort demandé aux Français et à leurs services publics tient moins à nos engagements budgétaires à l’égard de la Commission qu’à la concurrence fiscale plus ou moins légale à laquelle se livrent les États. Hélas ! le Gouvernement a préféré y participer plutôt que de la combattre.
Ainsi, dans son édifiant bilan du quinquennat, l’Observatoire français des conjonctures économiques, ou OFCE, note que les « mesures Hollande » auront allégé les prélèvements des entreprises de 20, 6 milliards d’euros, retrouvant ainsi un niveau inférieur à celui d’avant la crise de 2008.
Pendant ce temps, les ménages auront vu leurs prélèvements augmenter de 35 milliards d’euros, soit le creusement d’un écart de 55 milliards d’euros entre ménages et entreprises !
De plus, cette augmentation de la pression sur les ménages se double d’un accroissement des inégalités.
Le premier train de mesures fiscales du quinquennat dans le projet de loi de finances rectificative de l’été 2012 avait pourtant permis de gommer les trop grandes disparités de traitement entre le capital et le travail.
Mais, malheureusement, un an plus tard, le tournant social-libéral inspiré par le fameux mouvement des « pigeons », qui s’est finalement révélé plus proche du rapace que de la colombe, en a progressivement atténué les effets.
Cela se retrouve d’ailleurs dans l’évolution des indicateurs de pauvreté et d’inégalités. Après avoir nettement décru en 2013, ils ont repris depuis, selon l’INSEE, une croissance constante.
Je ne compte plus mes interventions dénonçant la place de choix de l’écologie dans le palmarès des missions et des ministères les plus affectés par les coupes claires.
Côté fiscalité écologique, il y a là aussi quelques faits. Ce gouvernement sera à la fois celui qui aura introduit une contribution climat-énergie, ce qui est très bien, et celui qui aura supprimé l’écotaxe, ce qui est moins bien. C’est tout le paradoxe et le problème. L’écologie reste une variable d’ajustement.
Dans son récent rapport sur l’efficience des dépenses fiscales relatives au développement durable, la Cour des comptes pointe la grande incohérence et les profondes contradictions des politiques publiques en la matière.
La Cour démontre même que la tendance est malheureusement à la baisse des dépenses favorables à l’environnement et à la hausse de celles qui y sont défavorables !
Voilà quelques éléments d’appréciation généraux du quinquennat, auxquels ce projet de loi de finances rectificative ne cherche pas à déroger. Il se compose d’un grand nombre de dispositions disparates, que nous examinerons dans la discussion des articles.
À l’Assemblée nationale, où la majorité a semblé bénéficier de davantage de mansuétude qu’à l’accoutumée, quelques mesures intéressantes ont été prises. Le groupe écologiste attendra donc de connaître le sort que le Sénat leur réservera avant d’arrêter sa position.