Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 31 janvier 2006 à 16h00
Parcs nationaux et parcs naturels marins — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai renoncé à prononcer le discours que j'avais préparé : au fur et à mesure des interventions, j'ai pris quelques notes. Vous me pardonnerez donc, j'espère, un propos peu académique et peut-être un peu décousu.

Je ne reviendrai pas sur l'appréciation que porte le groupe socialiste sur ce projet de loi. Mes collègues ont tout à fait clairement expliqué notre position.

J'ajouterai seulement, madame la ministre, que, comme beaucoup d'autres, je suis assez étonné que vous ayez choisi de déclarer l'urgence sur ce texte. Ce dernier vise en effet à donner une inflexion à une loi datant de 1960. Il ne s'agit d'ailleurs pas de la première inflexion, puisque, entre 1960 et 2006, est intervenue une loi fondatrice, une très grande loi qui a fait bouger les choses, la loi du 9 janvier 1985, relative au développement et à la protection de la montagne, dite « loi montagne ».

Cette loi concernait un grand nombre de parcs : cinq parcs nationaux sur les sept que compte la France. Si l'on reconnaît encore unanimement les qualités de ce texte, c'est parce qu'il a fait l'objet d'un travail parlementaire très conséquent au sein des deux assemblées. Un très large débat s'était alors tenu, l'urgence n'ayant pas été déclarée.

Cela dit, vous souhaitez, madame la ministre, que les parcs obtiennent un véritable budget pour les années qui viennent. Nous ne pouvons que vous rejoindre sur ce point, au vu notamment des mesures adoptées dans le cadre de la dernière loi de finances.

Au cours de la discussion des amendements, et afin que vous ayez des ambassadeurs qui, chaque année, viennent défendre les budgets dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, je proposerai donc que le Sénat et l'Assemblée nationale soient représentés en tant que tels dans les établissements publics de chacun des parcs. Vous trouverez ainsi, madame la ministre, sur le terrain comme dans les assemblées, des élus nationaux pouvant porter vos propres priorités.

Les communes, qui offrent une part de leur territoire à ces zones, doivent être réellement prises en compte dans le budget de l'État. Les nécessaires règles de protection sont en effet, par nature, contraignantes pour leurs élus.

Ces communes font preuve de solidarité envers la nation, envers les visiteurs, envers les générations futures, en acceptant qu'une grande partie de leur territoire soit dévolue à la préservation de la faune et de la flore. Elles sont également très soucieuses de faire vivre un slogan qui faisait florès voilà quelques années : « vivre et travailler au pays ».

Avant l'existence des parcs, madame la ministre, des activités économiques existaient sur ces mêmes territoires. Puis les parcs ont été créés, tel le parc de la Vanoise, par exemple, qui est celui que je connais le mieux.

Des hommes et des femmes du cru ont alors été embauchés : sans avoir une compétence scientifique, ils n'en possédaient pas moins une connaissance très poussée du terrain, de sa faune, de sa flore, mais également de ses dangers. En montagne comme en mer, nous pouvons en effet nous trouver dans des milieux hostiles. Cette connaissance du terrain, cette expérience leur permettaient d'anticiper les dangers et de remplir les missions figurant parmi les objectifs du parc.

Puis les lois sont entrées en vigueur, et le slogan « vivre et travailler au pays » a peu à peu disparu.

Fréquentant assez régulièrement le territoire d'un de ces parcs, je côtoie encore aujourd'hui des agents issus de deux types de recrutements. Certains ont été recrutés par concours national, qui est aujourd'hui la seule voie d'embauche. D'autres ont été recrutés par le passé sur la base d'un concours local, d'une expérience.

Madame la ministre, savoir où vous pouvez trouver tel ou tel type d'armoise - que vous connaissez peut-être mieux sous le nom de génépi -, savoir si une rimaye, cette cassure entre un glacier et un névé, est praticable, cela ne s'apprend pas nécessairement au cours d'une formation scientifique nationale.

De même, lorsque vous souhaitez savoir si la traversée d'une calotte glaciaire, l'ascension de la Grande Casse ou d'un autre sommet sont possibles, l'expérience locale d'un garde du parc peut vous faire renoncer à une ascension rendue dangereuse par une glace trop vive ou par une absence de neige, au contraire, qui rend les éboulis menaçants. Tout cela s'acquiert par la pratique, sur le terrain.

Cela n'enlève certes rien à la qualité des agents embauchés à l'issue d'un concours national. Mais nous sommes de nombreux élus, me semble-t-il, à souhaiter que les qualités des uns accompagnent les qualités des autres en un mutuel enrichissement.

Par les avis que vous formulerez sur les amendements, madame la ministre, vous donnerez corps ou non à deux objectifs que vous citiez vous-même dans votre propos liminaire : le partenariat avec les territoires et l'ouverture d'un dialogue fécond.

Nous avons besoin de ce partenariat, de ce dialogue en effet fécond entre l'État et les acteurs locaux, élus ou responsables associatifs, les deux étant complémentaires.

Plusieurs amendements portent sur la gouvernance. Il ne me semble pas que nous devions avoir peur d'une implication des « autochtones » dans la gestion de leur territoire. Dans le cadre de leurs responsabilités électives et associatives, ils savent quelle richesse ces espaces préservés, protégés, mais non momifiés, représentent pour les générations futures.

Quant au projet de loi dont nous discutons aujourd'hui, je ne souhaite pas qu'il s'apparente à un texte qui chercherait, par une législation nationale uniforme, à gommer les spécificités locales.

Je pense ici tout particulièrement à des pratiques touristiques, sportives ou pastorales qui concourent à faire vivre ces territoires toute l'année, et non exclusivement pendant la période estivale. Les visiteurs n'ont pas toujours conscience que c'est parce que ces espaces d'évasion, de respiration, d'exploration et de ressourcement sont gérés douze mois durant que l'on peut s'adonner à leur découverte.

En ce qui concerne les articles du projet de loi portant sur les travaux possibles ou impossibles à l'intérieur des parcs, je souhaiterais que vous nous apportiez des explications et des garanties quant à leur application.

Il est notamment question de possibles travaux sur les équipements ou constructions d'intérêt général. Nombre d'équipements ou de constructions privés ne sont pas d'intérêt général mais concourent par leur présence à l'entretien et à la praticabilité des espaces. Ils les conditionnent même. Une bergerie, par exemple, est un lieu privé à vocation économique. Dans les zones de montagne, on s'interroge vivement : quelle législation ou réglementation s'appliquera-t-elle quand les propriétaires souhaiteront engager des travaux sur ces bâtiments ?

Tout cela renvoie finalement aux conditions dans lesquelles pourront être élaborées les chartes discutées à l'issue de l'adoption de ce projet de loi, dans la perspective des décrets de création des parcs nationaux renouvelés.

Madame la ministre, les alpinistes savent que, dans l'ascension d'un sommet, quand tel est l'objectif qu'ils se sont fixé ou que l'orage menace, la voie la plus sûre est de « sortir par le haut », expression très utilisée aujourd'hui.

Sortir par le haut est possible parce que, dans une cordée, chacun a sa place, tient son rôle, avec ses propres qualités, l'ensemble faisant la qualité, la force de l'équipe.

Lorsqu'on est sorti par le haut, on éprouve la satisfaction d'avoir atteint l'objectif. Cet objectif atteint, on choisit pour redescendre la voie la plus sûre, surtout si les conditions environnantes sont exécrables. On cherche une voie échappatoire.

Je veux par cette image montrer que, sur le terrain, les véritables volontés des acteurs s'opposent quelquefois. Ces derniers peuvent être extrêmement méfiants les uns envers les autres ; c'est très précisément le cas de l'État, d'un côté, et des élus, de l'autre.

Par les marges de travail collectif, par la reconnaissance des demandes formulées dans les amendements déposés par des élus de ces territoires, vous contribuerez finalement à constituer des équipes qui pourront sortir par le haut, c'est-à-dire élaborer ensemble, en confiance, un projet de territoire pour les parcs nationaux.

C'est dans ce but, pour ma part, que j'aborde le débat, sans arrière-pensée. Je serai très attentif à vos avis sur les amendements issus de tous les groupes. Nous déterminerons alors la nature de notre vote : il n'est pas par nature défavorable.

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