Intervention de Philippe Marini

Réunion du 5 mai 2009 à 15h00
Débat sur la formation des hauts fonctionnaires de l'état

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini :

Monsieur le secrétaire d’État, je veux vous faire part de toutes les craintes que m’inspire la réforme en cours de la scolarité et, surtout, du régime de sortie de l’École nationale d’administration. À cet égard, je souscris totalement aux excellents propos tenus par M. Josselin de Rohan, puis par M. Yann Gaillard, propos auxquels se sont associés, me semble-t-il, les orateurs suivants, à quelque groupe qu’ils appartiennent.

La République a besoin de hauts fonctionnaires neutres et de haute qualité et la seule méthode qui réponde à cette double exigence, c’est le concours. Le concours est une institution de la République.

Je me permettrai de rappeler que le cheminement qui conduit à l’École nationale d’administration et qui permet d’en sortir se déroule en trois temps.

Il y a d’abord le temps de la préparation. À cet égard, il est bon d’insister sur la nécessaire diversité des candidats. Notre collègue Jean-Pierre Sueur a fait allusion tout à l'heure à l’évolution de l’Institut d’études politiques de Paris et au principe de discrimination positive qui, dans une certaine mesure, s’est appliqué à certaines méthodes de recrutement des étudiants.

On sait par ailleurs que l’École nationale d’administration recrute par plusieurs voies et que cela a résulté de la nécessité d’y faire coexister des élèves de profil, d’origine et d’âge différents.

Le deuxième temps, c’est celui de la scolarité. Il est vrai qu’après des périodes très intenses, après la réussite du concours d’entrée, les élèves ne vivent pas forcément très bien une scolarité qui ne répond pas toujours à leurs vœux et à leur vision des choses.

La scolarité se répartit entre des activités intellectuelles aussi proches que possible de la future réalité professionnelle, mais sans exclure les nécessaires aspects de culture générale et d’ouverture d’esprit, et des stages qui conduisent à prendre contact avec la vie professionnelle et les réalités de l’administration.

Comme ceux qui m’ont précédé à cette tribune, je crois beaucoup aux vertus de ces stages, monsieur le secrétaire d’État. Ce ne sont pas des stages d’information ou de spectateurs, ce sont, pour une large part, des stages d’acteurs. Lorsqu’un stagiaire, jeune ou un peu moins jeune s’il vient du deuxième concours, assure l’intérim du directeur de cabinet d’un préfet ou occupe un poste qu’un diplomate professionnel pourrait tenir dans une petite ou moyenne ambassade, il est confronté à la fois à une expérience irremplaçable et à une véritable épreuve dont beaucoup de choses vont dépendre par la suite.

Avec le double siège de l’École à Strasbourg et à Paris, la conception de la scolarité est assurément très différente de ce que les plus anciens ici ont connu. La localisation à Paris assurait une proximité plus grande avec les administrations et permettait d’accroître la diversité du corps enseignant, mais peu importe puisqu’il s’agit d’une question d’hier ou d’avant-hier.

Le troisième temps, fondamental, celui qui m’a conduit à solliciter la parole, monsieur le secrétaire d’État, c’est la sortie. Le processus visant à remplacer le classement de sortie, qui capitalise toute la scolarité, est totalement insatisfaisant et repose sur de véritables illusions.

En premier lieu, le système retenu est trop complexe. Le classement est simple ; le système de commission, d’approche anonyme puis à visage découvert, en plusieurs temps, est difficile à décrypter, à interpréter.

En deuxième lieu, la complexité de ce système le rendra nécessairement instable, car les leçons de l’expérience conduiront d’année en année à en modifier tel ou tel terme. Que deviendra, dans ces conditions, la nécessaire égalité d’accès des étudiants d’une promotion à l’autre ?

En troisième lieu, inévitablement, quelle que soit la pureté des intentions, ce système sera perméable aux influences – c’est le risque principal, que plusieurs intervenants ont souligné fort bien avant moi.

Le risque de conformisme a été très justement mis en avant par M. de Rohan. Avec le classement, le corps accueille celui qui a reçu de la République le droit d’y entrer. Il n’a pas son mot à dire, et c’est précisément l’utilité du classement que de permettre de faire coexister dans des administrations des personnalités différentes, qui n’ont pas la même vision du monde et de leur propre métier. C’est une nécessaire richesse, alors que cette sorte de cooptation qui ne dit pas son nom, ou cette rencontre de l’offre et de la demande pour trouver une ressource humaine sera nécessairement un facteur de cohésion supplémentaire des corps et des métiers dans l’administration. Par conséquent, celle-ci se privera de beaucoup de richesse.

Monsieur le secrétaire d’État, s’il en est encore temps, revoyons cette question ; évitons, pour des raisons de circonstance, de nous diriger vers un mauvais cap et de créer des complexités entraînant des frustrations qui ne seront pas à l’honneur de l’École nationale d’administration.

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