Intervention de Alain Houpert

Réunion du 5 mai 2009 à 15h00
Débat sur la formation des hauts fonctionnaires de l'état

Photo de Alain HoupertAlain Houpert :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, n’étant pas issu du sérail de la fonction publique, je centrerai mes propos sur les principes du recrutement de la haute fonction publique.

Je viens d’une région dont l’identité a été façonnée non pas tant par ses contours géographiques, ses monts ou ses vaux, son relief ou son climat, que par les hommes.

En effet, la Bourgogne n’est devenue une unité économique, sociale, historique et politique qu’à force de volontés, qui ont fait de ce lieu de passage une terre chérie des hommes, dans un profond sentiment d’unité.

Je veux dire par là que, par-delà la diversité des territoires qui la forment, la diversité des traditions qui l’animent et la diversité des hommes qui y vivent, ce sont des volontés qui ont façonné la Bourgogne.

Quel est le lien avec notre présent débat sur le recrutement de la haute fonction publique ?

Laissez-moi vous rapporter l’un des combats fondateurs pour l’histoire de ma région, qui ne manquera pas de poser les termes du débat.

Un bourguignon fameux, Philippe le Hardi, premier des grands ducs de Bourgogne, a poursuivi un grand projet : celui d’unifier la Bourgogne en fortifiant sa vocation dans le royaume de France.

Or la lutte de Philippe le Hardi ne vit triompher cette vision de « la Bourgogne dans la France » qu’au prix d’un conflit farouche qui opposa le duc Philippe aux marmousets du roi, de proches conseillers qui tendaient alors à disposer de l’ensemble des leviers de pouvoirs dans le royaume.

Ainsi, le projet d’une Bourgogne dans la France soutenu par Philippe le Hardi avait une contrepartie pour Charles VI, celle de concevoir la France plurielle, ouverte à la Bourgogne. Ainsi, la naissance de cette entente féconde eut un prix : la renonciation à une certaine forme de privatisation du royaume de France au bénéfice des seuls praticiens du pouvoir central.

Il fallait que le roi renonce à laisser entre les mains des fameux marmousets l’ensemble des leviers de pouvoirs dont ses propres amis avaient alors la disposition.

Ce bref rappel historique ne manquera pas de jeter des lumières sur la manière dont il convient de poser les termes d’un débat sur le recrutement de la haute fonction publique. Tout État doit disposer d’une fonction publique performante, qui soit garante de sa continuité, de son indépendance et de son efficacité.

Cependant, à cette haute vocation, il convient d’opposer un vice pernicieux : la tendance à la privatisation de l’État au bénéfice de ses hauts fonctionnaires.

Ainsi, la France ne s’est grandie que lorsqu’elle s’est attachée à intégrer de nouveaux profils parmi ses décideurs.

Pour filer l’analogie, je dirais que la France a rayonné lorsqu’elle a su priver les marmousets d’une partie des leviers de pouvoirs dont ils avaient le privilège.

Aujourd’hui encore, la France doit se montrer grande en ouvrant davantage sa haute fonction publique à la diversité du pays. Il ne s’agit pas de dénoncer un corps de privilèges ni une absence de contre-pouvoirs. Il s’agit de faire de la France un pays d’intégration sociale et politique.

Les critiques sont excessives lorsqu’elles véhiculent les clichés suivant lesquels notre haute fonction publique n’est qu’un creuset de reproduction sociale. Ces critiques, quoique fondées à certains égards, sont excessives au sens où elles font peser sur les personnes qui forment l’honorable corps de la haute fonction publique le poids des malaises économiques et sociaux dont souffre le pays.

C’est pourquoi je vous proposerai de voir dans les mécanismes de recrutement de la haute fonction publique non pas un système de reproduction sociale, tant décrié, mais un système de production sociale.

Tout l’enjeu de ce débat n’est-il pas de prendre la mesure des représentations sociales qui se sont ordonnées autour des mécanismes de recrutement de la haute fonction publique, dans un État particulièrement centralisé, où le poids de l’administration réel ou supposé, historique et actuel, nourrit et fait enfler une vision qui est véhiculée de l’administration ?

Il faut savoir jouer des modalités de recrutement de la haute fonction publique comme de forts symboles.

Oui, il faut d’abord avoir conscience du rôle joué par l’administration auprès des jeunes, et par là même dans l’ensemble du corps social. Ce rôle est symbolique.

Aujourd’hui, 75 % des jeunes entendent devenir fonctionnaires.

Ces jeunes aspirent à intégrer la fonction publique, notamment la haute fonction publique, quelle que soit leur formation initiale : il s’agit de jeunes formés dans les Instituts d’études politiques, ou IEP, mais aussi de jeunes formés à l’université, dans des écoles d’ingénieurs, voire dans des écoles de commerce.

Oui, il n’a pas fallu attendre la crise pour que mêmes les plus grandes écoles de commerce préparent aux concours de la haute fonction publique. N’y a-t-il pas là un paradoxe ? La société civile française n’offre-t-elle donc pas aux jeunes la moindre réponse à leur attente de réussite sociale ? En France, la société civile est-elle donc synonyme d’échec social ?

Le véritable problème est que, dans notre pays, le poids de l’administration et ses modalités de recrutement ont fait de la haute fonction publique le moyen prépondérant de réussite sociale. Je veux dire qu’en France, bon gré mal gré, la réussite ne veut voir qu’un visage.

Réfléchir sur les modalités de recrutement de la fonction publique suppose de bien prendre la mesure des représentations sociales que véhicule, voire que renforce, la haute fonction publique elle-même.

Permettez-moi alors d’esquisser quelques pistes de réflexion.

Tout d’abord, les concours de la haute fonction publique doivent redonner une place aux filières universitaires.

Est-il normal que, en France, un jeune n’ait de réelles chances de succès à un concours de la haute fonction publique qu’en sortant des grandes écoles ?

Autrement dit, est-il normal que, en France, les concours d’accès à la haute fonction publique soient conçus de manière à n’offrir de réelles chances de succès qu’aux étudiants qui proviennent de ces grandes écoles ?

La crise actuelle que traverse le monde universitaire trouverait écho à adapter les concours d’accès à la haute fonction publique à des candidats issus de filières monodisciplinaires, telles que les filières universitaires.

Il faut que l’État reconnaisse le premier la qualité des formations universitaires délivrées en philosophie, en histoire, en sociologie, en gestion, en économie, en droit privé, en droit public, en mathématiques, en physique, en biologie, voire en médecine et en pharmacie.

Les étudiants issus de ces filières universitaires n’ont pas moins de capacités que ceux qui sortent de filières pluridisciplinaires des grandes écoles. Seulement, leur formation initiale ne leur permet pas d’atteindre le même degré de préparation dans chacune des disciplines par lesquelles sont aujourd’hui évalués les candidats aux concours de la haute fonction publique.

Ainsi, il serait plus républicain que les concours de recrutement de la haute fonction publique prennent la forme de trois épreuves dont les coefficients sont encore à fixer : une discipline forte, déterminée selon les catégories du Conseil national des universités ; une note de synthèse ; une langue vivante.

Voilà une proposition concrète qui tendrait à offrir à tout jeune une chance raisonnable de succès à un concours de la haute fonction publique sans qu’il y consacre pour autant un, deux ou, souvent, trois ans de préparation, en plus de sa formation initiale, généralement un master, mais aussi un doctorat.

En outre, il s’agit d’une proposition à moindre frais dans la mesure où il est aisément concevable d’intégrer une formation en note de synthèse et en langue vivante dans l’ensemble des parcours universitaires.

L’idée est bien de créer des parcours de formations communs aux hauts fonctionnaires et aux décideurs de la société civile.

Ensuite, une redéfinition des modalités de recrutement de la haute fonction publique doit être l’occasion de rapprocher la fonction publique des usagers.

En ce sens, ne serait-il pas souhaitable de supprimer tout bonnement le premier concours de recrutement pour ce qui concerne la haute fonction publique ?

Cela dégagerait plus de marge en faveur de la promotion interne au sein de la fonction publique dans le cadre du deuxième concours.

Cela inciterait les jeunes français à s’orienter davantage vers la création de richesse au sein de la société civile plutôt que de faire le choix de prolonger indéfiniment leurs études en vue de présenter des concours.

Cela favoriserait non seulement la promotion interne, mais encore le recrutement dans le cadre du troisième concours à destination des personnes ayant des parcours professionnels significatifs et remettrait en valeur les parcours professionnels.

La philosophie d’une telle proposition consiste à rendre plus efficace l’administration du pays en favorisant le recrutement de la haute fonction publique au sein de deux viviers : soit des fonctionnaires expérimentés dont la qualité du service aurait été reconnue, soit des professionnels issus de la société civile et du monde de l’entreprise afin de rendre plus sensible la haute fonction publique aux évolutions de la société.

La société évolue plus rapidement que l’État. Elle le précède toujours.

Oui, la philosophie de ces propositions est de faire de l’État le prolongement de la vie réelle, et non, comme cela semble trop souvent le cas aujourd’hui, de faire de la vie civile le prolongement de l’État.

Prenons l’exemple du recrutement des magistrats. L’affaire d’Outreau a largement démontré qu’il serait souhaitable que les juges connaissent le métier d’avocat et apprennent l’épaisseur de la vie aux côtés des victimes.

Procèdent de la même philosophie les difficultés posées par le projet de loi « hôpital, patients, santé et territoires » que nous examinerons prochainement ici même. Si l’on conçoit que le pouvoir administratif doit jouer un rôle dans la gestion des établissements de santé, on ne saurait pour autant concevoir qu’il y joue le rôle principal. Dans de tels établissements, le métier de base est la médecine ; la gestion administrative n’en est qu’une fonction « support ».

Enfin, la redéfinition des modalités de recrutement de la haute fonction publique doit prendre en considération quelques archaïsmes.

Le niveau de recrutement de la haute fonction publique ne doit pas non plus conduire à une surenchère des diplômes généralistes.

Il est nécessaire de réduire l’inflation des diplômes généralistes sans perspective professionnelle. Or les modalités actuelles de recrutement de la fonction publique ont pour conséquence directe de faire de l’inflation des diplômes généralistes une norme de réussite sociale.

Il semble donc temps de mettre fin au premier concours de recrutement, au profit des deuxième et troisième concours. Les modalités de recrutement de la haute fonction publique jouent un rôle éminent dans les canons de reconnaissance sociale, qui doivent aujourd’hui mettre à l’honneur des parcours professionnels civils.

Dans le même ordre d’idée, la fonction publique ne doit pas offrir de formation initiale à proprement parler, et ce pour plusieurs raisons.

Il n’appartient pas aux écoles de la fonction publique de délivrer une formation initiale en dehors du cadre normal de l’enseignement supérieur.

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