Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 20 décembre 2016 à 9h30
Questions orales — Rémunération de l'innovation

Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargée du numérique et de l'innovation :

Je vous remercie, monsieur le sénateur, d’avoir posé cette question. Elle est importante, et vous avez raison de suivre étroitement ce dossier.

Les normes et standards contribuent à structurer le marché et permettent l’interopérabilité entre les produits et les solutions techniques, en définissant des spécifications communes. À l’heure de l’internet des objets, la normalisation et la standardisation seront de plus en plus importantes.

Pour les acteurs privés à l’origine des développements technologiques, la contribution collective à la normalisation améliore le retour sur les investissements consentis, grâce à une diffusion plus large de l’innovation. En contrepartie, afin de prévenir le risque d’abus des droits attachés aux brevets essentiels à la mise en œuvre des normes, les BEN, les organismes de normalisation exigent de leurs détenteurs un engagement à concéder des licences d’exploitation à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires.

Ce principe, dit FRAND pour fair, reasonable and non-discriminatory, propose un équilibre permettant aux contributeurs aux travaux de standardisation de bénéficier d’une fraction juste et raisonnable des profits réalisés en aval par les utilisateurs de la norme. Sa pleine application suppose néanmoins que les détenteurs de BEN puissent exercer réellement leurs droits, en particulier celui de demander une injonction, y compris à titre conservatoire, pour interdire la vente de produits contrefaits. Or les nouvelles règles adoptées par l’IEEE non seulement prévoient un mode de calcul des redevances particulièrement défavorable aux détenteurs de BEN, mais remettent également en cause l’exercice de leur pouvoir d’injonction.

Par leur portée mondiale, ces règles portent préjudice à l’industrie européenne des télécommunications, dont le modèle économique est structuré justement par la normalisation. Elles risquent de pénaliser, en priorité, les petites et moyennes entreprises. Elles vont aussi à l’encontre du projet européen de marché unique numérique, car elles favorisent le développement d’écosystèmes propriétaires, c’est-à-dire fermés, nuisant, à terme, au consommateur, qui est obligé de prendre lui-même en charge le coût des interactions.

Le Gouvernement est totalement conscient de l’importance du sujet. Nous veillons à prévenir l’introduction de telles règles au sein des organismes de normalisation dans lesquels la France dispose d’un siège, notamment l’ETSI, l’European Telecommunications Standards Institute, et l’UIT-T, l’Union internationale des télécommunications.

La position française a été communiquée officiellement à la Commission européenne. Nous proposons l’introduction dans le droit européen de dispositions permettant de garantir l’effectivité des droits des détenteurs de BEN, en particulier à l’occasion de la révision de la directive relative au respect des droits de propriété intellectuelle qui a été annoncée pour l’année prochaine.

La Commission européenne a pris acte des positions exprimées par la France. Elle a rappelé, dans sa stratégie pour le marché unique numérique, l’importance d’une politique de propriété intellectuelle pour les BEN qui soit fondée sur une relation équilibrée. Dans le cadre de sa communication récente sur le passage au numérique des entreprises, elle insiste sur l’importance de ces BEN dans le contexte de l’internet des objets ou de la future norme 5G. Elle a ainsi annoncé le lancement d’une concertation sur le sujet avec toutes les parties prenantes concernées.

L’organisme CEN/CENELEC, l’un des principaux organismes européens de standardisation des technologies électroniques avec l’ETSI, a pris position, en septembre 2016, sur la question des BEN, dans le cadre de la concertation lancée par la Commission européenne. Il s’est déclaré opposé à toute initiative visant à introduire un mode de calcul pour la valorisation ou la fixation de prix pour les licences FRAND et a souligné le risque de telles pratiques.

Je vous remercie une fois encore d’avoir posé cette question, dont je m’entretiendrai avec mes homologues européens et avec la Commission européenne. Je lancerai une mission sur la propriété intellectuelle dans le monde du numérique, qui pourrait inclure ce volet. J’en parlerai au président de l’ARCEP, le gendarme des télécoms français, qui présidera, à compter de l’année prochaine, l’organisme européen qui réunit tous les régulateurs.

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