À une présomption simple il est possible d'apporter la preuve contraire, notamment par le biais d'une expertise. À une présomption irréfragable, il n'est pas possible d'apporter la preuve contraire. « Tant que l'enfant n'a pas de bleus, on ne peut rien faire », c'est ce que l'on peut entendre. Ce que je propose, c'est de renverser le raisonnement selon lequel il faut constater des traces de coups sur l'enfant avant d'intervenir. Pour cela, il faut partir du principe qu'un mari violent est un père dangereux.
J'ai entendu comme vous l'avis des psychiatres, des psychologues et des médecins sur la gravité traumatique des violences conjugales pour les enfants. Le docteur Maurice Berger indique notamment que plus l'enfant est jeune, plus la mémoire traumatique est ancrée. D'où la nécessité de proposer des soins aux victimes. Cependant, il faut considérer que les violences conjugales ne sont pas une pathologie et prendre en compte qu'elles sont unilatérales et asymétriques. Cette asymétrie qui vaut dans les compétences parentales doit se retrouver dans l'offre de soins, car il ne faut pas renvoyer le même message à l'agresseur et à la victime. Ils ne sont pas dans la même position. On risquerait sinon de reproduire sans le vouloir le discours humiliant que l'agresseur a pu tenir à sa victime : « Tu devrais aller te faire soigner ». Les soins ne doivent pas renvoyer la responsabilité sur la victime (« Qu'est-ce qui s'est passé dans votre vie pour que vous soyez victime de violences ? »). Développer les unités de prise en charge pour traiter le psychotraumatisme dont souffrent les femmes et les enfants victimes de violences conjugales, telle doit être notre priorité. Quant aux agresseurs, ils doivent être impérativement soumis à une injonction de soins.
Linda Tromeleue, une psychologue qui travaille sur ces sujets, analyse très justement que l'agresseur « remplace l'interdit de la violence par l'interdit du langage ». Les professionnels ne doivent pas se laisser « infiltrer » par cette « stratégie de l'agresseur ». En tant que juge exerçant dans le champ parental, je considère qu'il faut avancer au rythme des victimes, en prenant en compte la mémoire traumatique et le psychotrauma, plutôt qu'au rythme des agresseurs. Je reste circonspect sur l'idée qu'il suffirait de trois ou quatre séances pour que l'agresseur soit guéri de toute tentation de violence.
D'où la question du retrait de l'autorité parentale. Certes, le retrait de l'autorité parentale pose un risque d'inconstitutionnalité ou d'inconventionnalité ; vous vous prononcez dans votre rapport d'information pour le fait que l'on doive systématiquement se poser la question plutôt qu'en faveur d'un retrait systématique. Les juridictions ont souvent à se prononcer sur cette question, et des progrès importants restent à faire.
Il faut en effet se poser plusieurs questions. Tout d'abord, est-il légitime que l'auteur d'un féminicide soit celui qui va autoriser ou refuser les soins spécialisés dont son enfant a besoin ? La société doit envoyer un autre message. Il convient de penser différemment les champs de la filiation, de l'autorité parentale, du lien, de la rencontre. Je n'ai pas de jugement de valeur à porter sur les personnes, même les auteurs de violences conjugales. Mais en réponse à la question sur la nécessité de visites des enfants à leur père emprisonné pour violences, on entend parfois qu'il faut imposer à l'enfant des visites à son père en prison au nom du lien filial. Je ne nie pas l'importance de ce lien, mais distinguons-le de la rencontre, qu'il ne convient pas d'imposer : encore une fois, il faut aller au rythme des victimes, et non des agresseurs.
En ce qui concerne le logement, il est indispensable, naturellement, de garantir la sécurité du logement familial. Il y a deux manières de le faire : soit en déplaçant la ou les victimes - femme et enfants - dans une autre maison, soit en en évinçant l'agresseur. Encore faut-il que ces deux possibilités soient offertes aux victimes... L'enjeu est que, d'objet de violence, la victime doit devenir sujet de protection d'elle-même et de ses enfants. En d'autres termes, quand la stratégie de l'agresseur est de dévaloriser la victime, la stratégie de protection doit être de la valoriser, notamment à travers les choix qui doivent lui être proposés : quitter la maison ou y rester.
On peut, pour penser cette situation, distinguer deux moments : l'urgence et le temps plus long. Je me réfère ici à Ernestine Ronai. L'urgence est celui de la mise à l'abri ; puis, une fois prises des dispositions protectrices - par exemple une ordonnance de protection - la mère et les enfants peuvent réintégrer la maison familiale après éviction de l'agresseur, matérialisée par une interdiction de se présenter au domicile et d'entrer en contact avec les victimes.
Mais il faut avoir conscience que l'on envoie aux femmes des injonctions contradictoires : on demande aux victimes de se séparer de l'agresseur, sous peine de mettre en danger les enfants, mais une fois séparées, on leur demande de maintenir des contacts avec le père sous prétexte que l'autorité parentale doit être conjointe !
Il existe plusieurs dispositifs pour garantir la sécurité du domicile : éviction, téléphone portable grand danger (TGD), mesure d'accompagnement protégé (MAP), espace de rencontre protégé ou encore droit de visite médiatisé. Ils ont en commun de garantir une frontière face à la violence : c'est la responsabilité qui nous incombe, à vous en tant que législateur et à moi en tant que juge.
Pour autant, l'effectivité des décisions rendues par les juges aux affaires familiales n'est pas toujours garantie. Lorsqu'une victime se plaint que le mari choisit lui-même ses horaires de visite ou passe toujours par les enfants pour communiquer avec elle, il y a de grands risques que la réponse sociale et judiciaire soit la suivante : « Vous n'allez pas nous embêter pour une demi-heure de retard, vous allez bien vous entendre... ».
Faut-il une violence conjugale alléguée, établie - si une juridiction a statué sur la réalité des faits - ou condamnée pour faire échec à la médiation ? À mon avis, il doit suffire pour la victime d'alléguer les violences conjugales pour récuser la médiation.